Evil Dead II & III : Ash et diamants

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Il était une fois un septième art respectueux de la vie d’autrui. Puis Ash fut. Récit (divulgâchant) d’un sacre à la tronçonneuse.

Evil Dead, c’est l’histoire sempiternelle d’un groupe d’amis, dont le spectateur n’a que faire, qui va passer un week-end, pour un prétexte dont on se moque éperdument, dans une cabane, choisie sait-on comment. Pas de chance (sauf pour le spectateur aux pulsions basses et avides) : un livre diabolique traîne par là, un livre qui va éveiller un diabolique esprit des forêts et faire surgir, pour faire simple, des zombies. A partir de là, s’enchaînent les morceaux (de bravoure) qui font le sel de la saga : Ash Williams, le survivant en chef incarné par le jouissif Bruce Campbell, un fusil à canon scié et, au sens propre, une tronçonneuse en main, va bouter maman hors de ce monde ; une main mordue puis découpée va se retourner contre les vivants, dans une version psychopathique de La Famille Adams

Evil Dead (1981), premier du nom, est un des succès surprises de l’année 1981. Soyons honnêtes : sa première heure, à la facture bien plus classique que celle de ses suites, a maintes et maintes fois été copiée, fréquemment égalée, souvent dépassée. La chair est partout, sauf dans l’écriture des personnages, ni dans les dialogues, ni dans le rythme : heureusement, elle transparaît avec bien plus d’allant dans les effets visuels. En somme, peut-être manquait-il encore à ce premier opus la véritable Evil Dead touch… Si l’on excepte les vingt dernières minutes, à la gloire du personnage à peine principal : vingt minutes purement ashesques.

Evil Dead II (1987), sorti en salles six ans plus tard, s’en souviendra, en inventant le concept de la suite qui n’en est pas une. Son réalisateur, Sam Raimi, a manifestement éprouvé le même désir que son spectateur : pourquoi s’embarrasser de personnages-fonctions et ne pas plutôt se concentrer sur ce qui fonctionnait tant dans l’épilogue du premier opus, à savoir la généreuse rencontre entre Bruce Campbell et l’hémoglobine ? Du point de vue narratif, l’ouverture d’Evil Dead II s’embarrasse donc peu de son prédécesseur. En guise de pied de nez, le film évacue toute liaison directe avec son premier épisode d’aïeul, résumant en quelques minutes ce qui prenait jadis une heure vingt ; revisitant librement l’intrigue, la resserrant autour d’un personnage qui, dans le premier opus, s’avérait tantôt central, tantôt secondaire, du fait de sa retenue et de son premier degré. Ash, désormais, va pouvoir pleinement se lâcher, avec quelques vannes lourdingues en prime. En quelques minutes, Sam Raimi nous fait comprendre qu’il va aller, au pas de course, au cœur de son propos : la boucherie-charcuterie artisanale.

Du point de vue stylistique, la mue d’Ash Williams marque une rupture nette. Là où le personnage répugnait à découper à la tronçonneuse sa morte-vivante de petite-amie, son homologue de 1987 va volontiers se prêter à l’exercice, et, sans états d’âme, enterrer sa Dulcinée et son deuil en trente secondes. Mieux encore : il va littéralement ne plus faire qu’un avec son auguste instrument de découpe, fixant – idée inégalable – une tronçonneuse au moignon de sa main coupée. Là où le pâle Ash de 1981 subissait, celui de l’épisode II accepte presque volontiers son destin : celui d’être malmené, à condition de malmener en retour ; un fatum fertile grâce auquel toute effusion de sang devient, sur le visage de Bruce Campbell, une euphorie destructrice mais prodigue.

Evil Dead incarne bien l’art de pervertir le concept de suite et les attentes afférentes, grâce aux ruptures de narration et de ton. Le premier du nom était un film d’horreur. L’épisode II est un heureux mélange, qui réunit avec brio la veine de l’horreur avec celle de l’humour. Le troisième, Army of Darkness (1992), quant à lui, penchera sévèrement vers la comédie, dans une dernière rupture de ton qui achèvera la mue. Le raccord narratif avec l’épisode II y sera certes plus affirmé, mais pas des plus respectueux de l’enchaînement logique promis par l’épilogue de son prédécesseur. Le lien stylistique lui-même sera lâche, avec les zombies à la chair décomposée de l’épisode II laissant place à de plus sympathiques squelettes, davantage tous publics. Le mélange entre éviscération et abondance bouffonne laissera place à une sympathique comédie puisant ses ressorts davantage dans le heurt culturel entre époques, ainsi que dans la personnalité cartoonesque de son personnage, plutôt que dans l’inventivité sanglante.

Rosebud Pictures
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LA NAISSANCE D’UNE PASSION

Resserrer l’intrigue d’Evil Dead, à partir du deuxième épisode, sur le personnage d’Ash Williams, était au départ une contrainte : il s’avérait impossible, en termes de budget, de faire revenir les cinq acteurs originaux… Tant mieux : seul demeure le développement de ce qui fonctionnait le mieux dans l’original, tout en conservant à l’arrière-plan, pour mieux souligner l’écart, l’histoire d’amour contrariée. Une fois évacuée (rapidement) cette intrigue amoureuse, ne restent que le survival et le slapstick, l’horreur et le burlesque, un burlesque perceptible tant dans le gore que dans le jeu de Campbell. Car, avant même que le jeu de massacre ne commence, le spectateur ne peut qu’être saisi de la différence d’interprétation qui est celle de Bruce Campbell par rapport au premier opus. Face à Linda, dans la cabane, dès le début du deuxième épisode, son sourire si caractéristique le rend d’ores et déjà plus vivant que dans l’ensemble du premier film.

Evil Dead II n’assume son statut de suite qu’à partir du moment où, toujours dans cette introduction, l’aube se lève sur Ash, venant clore la possession du personnage qui était entrevue dans l’épilogue de l’original. Lorsque Campbell ouvre les yeux, la caméra semble saisie par le vertige qui s’annonce, à travers un travelling arrière tourbillonnant : Ash, débarrassé de tout lien avec le premier film, peut pleinement déployer sa folie et embrasser son destin. De quel destin parlons-nous ? Souffrir, encaisser, et recommencer. La malédiction infligée à l’acteur dans Doctor Strange in the Multiverse of Madness (S. Raimi, 2022) sonnera comme un hommage appuyé du réalisateur à sa victime fétiche. Car le réalisateur l’assume : Ash « s’offre en pâture aux spectateurs », « il en bave un maximum pour la joie du public », et c’est sa figure, davantage que les effets visuels ou l’écriture, qui est le véritable moteur du film. Evil Dead II est bien un festival de sévices infligés par Bruce Campbell à Ash, par Ash à Bruce Campbell, à grands coups de ce que les Nuls appelleraient des « effets normaux » : du maquillage, du trucage, beaucoup d’endurance, et le tour est joué.

Des bras de morts-vivants jaillissent-ils vers Ash ? C’est un beau prétexte pour mieux pousser l’acteur à se cogner la tête contre des planches. Sa main est-elle possédée par le mal ? Une belle occasion permettant à Campbell de se fracasser des assiettes contre le visage. Cette mise en péril du corps de l’acteur, en particulier durant cette scène, n’est pas sans rappeler les surenchères physiques et visuelles des films de Buster Keaton : comment ne pas associer ces deux figures quand Bruce Campbell, feignant de se faire attraper les cheveux par sa main zombie, s’envoie de lui-même, dans un saut périlleux, violemment contre terre ?

Voilà le sel d’Evil Dead : Bruce Campbell fait de la fête foraine avec son propre corps. Et, comme dans toute fête foraine, le principe qui régit l’ensemble est celui de la surenchère. Dans le premier film, il arrive au détour d’une scène qu’Ash tombe sur une marche, dans les escaliers de la cave ; dans le deuxième : il les dévale franchement. Même quand une benoîte poubelle traîne, sur le perron de la cabane hantée, il faudra qu’Ash lui tombe dessus. Des humains viennent-ils lui apporter un peu de compagnie ? Leur premier réflexe, bien vite, est de le cogner au sol. Quand Ash, libéré du démon, peut enfin soupirer un : « Je vais bien ! », afin que sa compagne d’infortune ne lui envoie pas un coup de hache, à peine a-t-il le temps de reprendre son souffle que la dite hache, après réflexion, retombe près de son visage. Dire que, dans le premier film, Ash est littéralement tétanisé face à la violence qui se déploie… Le point commun stylistique entre les deux premiers épisodes demeure la règle suivante : tout liquide intracorporel finira immanquablement sa course au visage de Bruce Campbell. Ash va, littéralement, être poussé « jusqu’en enfer », pour reprendre le titre d’un film ultérieur du même réalisateur dans lequel l’héroïne, elle aussi, va devoir passer par toutes les cases du supplice et des stigmates pour s’affirmer pleinement.

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THE HOLY GROOVE

L’épisode III de la trilogie va achever le double mouvement connu par le personnage d’Ash : son ascension à la fois vers la sanctification et… La beauferie. Ash est, dès le début de la trilogie, un jeune américain moyen. Il sera poussé vers une dimension quasi mythologique dans l’épisode II, du fait de l’épilogue tragique qui le met à genoux, terrassé par ce constat amer : il n’y a pas de figure mythologique capable de vaincre les morts, aucun salut extérieur tant espéré, en dehors de ses propres forces. Le film s’achève sur un hurlement qui, pour une fois, ne provient pas d’une douleur physique. Prenant acte et tirant toutes les conséquences de ce fait, Sam Raimi réalise avec Army of Darkness une ode à un anti-héros qui, désormais, se considère lui-même comme messianique, faute de mieux. Accumulant les bévues dues à sa confiance démesurée en ses propres capacités, il va aller jusqu’à réveiller « l’armée des ténèbres », promise par le titre, par simple incapacité à retenir trois mots.

Plus globalement, le syncrétisme opéré par le héros entre culture consumériste états-unienne et la mythologie arthurienne crée les véritables moments de grâce de ce troisième épisode, comme lorsque Ash extrait l’étendue de son savoir du coffre de son Oldsmobile Delta 88, la voiture devenant le prolongement de son être, la source de son intellect, l’alpha et l’omega de ses capacités. Plus explicitement encore, Ash en vient à réaliser une véritable ode publicitaire à son fusil à canon scié, à travers sa fameuse tirade sur sa « baguette magique calibre 12 » (This… is my boomstick ! The twelve-gauge double-barreled Remington). Son fusil est annoncé comme ayant été acheté, dans la VF, « à Prixbas, car les prix y sont vraiment bas : c’est clair ?! » (S-Mart’s top of the line. (…) That’s right, this sweet baby was made in Grand Rapids, Michigan. (…) That’s right : shop smart, shop S-Mart. You got that ?!) : la publicité tient lieu de mysticisme au rabais. De retour dans le futur, au royaume des supermarchés, il en viendra à se considérer comme plus grand qu’un roi, du fait de sa simple présence dans les rayons.

Army of Darkness porte par conséquent un arrière-plan textuel bien différent de ses prédécesseurs. Derrière la pochade médiévale, que Raimi envisageait pour l’épisode II, il s’agit de montrer comment le récit – symbolique – de la Nouvelle Jérusalem états-unienne fait tache au milieu de la cour – véritable – du roi Arthur. Là où le ton de l’épisode II inscrivait Evil Dead dans la lignée d’un Loup-garou de Londres (J. Landis, 1981), pour ce mélange d’humour et d’euphorie gore, l’épisode III apparaît comme une version très américaine du Sacré Graal ! (1975) des Monty Python, où le groove du personnage ponctue les séquences, où la bouffonnerie du personnage deviendra porteuse d’une vision satirique de l’Américain moderne, une satire déjà latente dans la lente stallonisation du héros dans l’épisode II.

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ASHES TO ASHES

Ce mouvement de sanctification d’un Américain très moyen dans ses capacités, d’un héros promu antihéros et réciproquement, sera poussé jusqu’au bout dans la série Ash vs. Evil Dead (2015-2018), dont l’épisode-pilote est signé par Sam Raimi. Au risque d’une complicité dans le propos, frôlant parfois l’adhésion à ses valeurs rétrogrades, le héros s’y vautrera dans sa vulgarité, tout en se complaisant à l’évocation de sa propre dimension légendaire (devenant « l’Elu », « el Jefe »), révélant le vrai visage du rêve américain : un rêve d’américain. Ash y sera prêt à éveiller les forces des ténèbres suite à une beuverie un peu trop prononcée, dans le seul objectif d’une partie de jambes en l’air ; il vendra l’humanité en échange d’un week-end à Jacksonville. Cet élu regorgera d’autres qualités particulières. Au détour de blagues lourdingues, il révélera tout son imaginaire raciste auprès de celui qu’il qualifie comme son fidèle faire-valoir mexicain (« You know I am not Mexican, right? -That’s the spirit! »). Ash deviendra un avatar de Rambo bedonnant, beauf, sexiste et raciste, traduisant visuellement le véritable visage de l’Amérique rêvée par Stallone, où les individus font (littéralement) corps avec leur arme, devenant un prolongement de leur masculinité vieillissante et branlante.

Ce n’est pas innocent si Ash, dans l’épisode II, l’épisode III et dans la série, en vient régulièrement à affronter son double sous forme de mort-vivant. Dans Evil Dead II, un miroir prend vie et conduit Ash à s’affronter lui-même dans un combat mi-réel mi-imaginaire. Dans l’épisode III, les comiques Ash miniatures (tiny Ash) laissent place à un être de chair (en lambeaux) qui sera la véritable némésis du personnage et la meilleure trouvaille du film du côté de ses adversaires, revenant au mélange entre comique et gore de l’épisode précédent. Dans la série, enfin, quand Ash retrouve la masure où tout a commencé, c’est pour s’y affronter lui-même, le tout se terminant avec délicatesse sur une scène de repossession de soi passant par un corps démembré à la tronçonneuse, avec, en guise de bande son pour célébrer le tout : « Just the two of us ». C’est qu’Evil Dead n’est jamais tant une véritable histoire d’amour que lorsque effusions de sang et de rire se côtoient. A partir d’Army of Darkness, le grossier tutoie le sublime, mais le sublime, dans son arrière-plan culturel, est lui-même démasqué, se résumant à donner une ampleur policée à un imaginaire grossier, étroit, conformiste.

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LA MORT VIENDRA ET ELLE AURA DES YEUX

La générosité d’Evil Dead est dans le jeu de Campbell, dans l’écriture outrancière de son personnage… Mais aussi dans le festival qui se déploie du côté de l’inanimé. Evil Dead II gagne beaucoup en rythme par rapport à son prédécesseur grâce à son ouverture qui, aussitôt, crée une véritable mythologie et instaure une atmosphère poisseuse : il y est présenté le mal incarné, qu’affrontera Ash, à savoir, tout diabolique soit-il, un livre. Affronter un livre vivant n’est pas la seule géniale incongruité de la trilogie. Un des passages les plus réussis du premier épisode voyait la forêt prendre vie lors d’une scène dérangeante où des arbres se changent en agresseurs sexuels. L’esprit du mal, qui s’incarnera finalement dans Evil Dead II, sera lui aussi un esprit de la forêt, accompagné d’arbres marcheurs sylvestres.

Plus encore, la cabane hantée et son mobilier deviennent peu à peu de véritables personnages à part entière. La flèche de l’horloge, autre idée des plus réussies présente dans l’épisode I, s’arrête de son propre chef pour annoncer le pire ; l’épisode II reprendra cette trouvaille en la poussant plus loin : c’est désormais l’ensemble de l’habitat qui prend vie, à travers une scène dantesque de glauque fou rire généralisé, qui touche tant les animaux empaillés qu’une sympathique lampe à la Pixar ou des chaises… Pire : Ash finira par percevoir, en surimpression, que, dans cette maison qui prend vie(s), la porte et les fenêtres forment le dessin d’un visage. Enfermé, faute de mieux, dans cette cabane semi-vivante, la réalisation se plaît à souligner la position de faiblesse du personnage : un plan va ainsi laisser entendre qu’il est au sol, avant qu’un travelling arrière ne révèle que la caméra était simplement penchée ; Ash, présenté à terre, était bien debout, mais le spectateur ne peut s’en apercevoir qu’à condition de prendre du recul hors de la maison, dès lors que la caméra retrouve une inclinaison moins tortueuse en filmant par la fenêtre, comme pour échapper au regard déformant des lieux.

Bien évidemment, les morts-vivants méritent une place d’honneur dans ce petit musée des horreurs. Les zombies, en 1981, sont encore un sujet relativement neuf ; George A. Romero les a inventés dans une perspective politique. Sam Raimi, de son côté, entend en faire un pur objet visuel en même temps qu’un ressort comique, comme d’autres sales gosses du cinéma d’alors ayant fourbi leurs armes du côté du gore : il est impossible de ne pas comparer le personnage de la mère zombie d’Evil Dead II, Henrietta, à celle du Braindead (1992) de Peter Jackson. Ainsi, quand Ash, contrairement au premier épisode, entend accomplir sa destinée en comptant bien utiliser, au plus vite, une tronçonneuse, c’est pour mieux voir le cadavre décapité de sa bien-aimée s’en emparer et, par mégarde, s’automutiler : l’inventivité dans l’horreur est patente à travers toute cette scène. Sourire et tripes trouvent également un bel accord dans les punchlines du film s’appuyant sur les échanges, par définition brefs, entre vivants et morts : elles donnent lieu aux sentences d’un Ash s’assumant en Schwarzenegger du pauvre. Son célèbre « Swallow this » ponctué d’un tir en pleine tête en atteste, sans même parler des traits de visage à la Tex Avery de Bruce Campbell, ne pouvant se priver d’une moquerie à l’égard de sa propre main au moment même où il est en train de la mutiler.

Les morts-vivants deviendront pleinement des faire-valoir comiques dans Army of Darkness, avec ses squelettes à la Ray Harryhausen et le jeu plus encore poussé vers la série B de mi-XXe siècle. Il manque toutefois à cet épisode l’inventivité visuelle d’Evil Dead II où, dès lors que du sang jaillit, un festival de couleurs transparaît. Car, dans ce deuxième épisode, le sang est fourni avec ses palettes d’arc-en-ciel, de couleur tantôt verte, bleue ou rouge ; ses textures mêmes sont toujours des plus bigarrées : il se fait tour à tour poisseux ou jet vif. Cela n’empêche pas l’hémoglobine de prendre des teintes plus réalistes : il ne l’est jamais autant que lorsque c’est la cabane elle-même qui fournit le sien. Les ampoules se remplissent ainsi d’hémoglobine pour créer des filtres de lumière rouge particulièrement bienvenus ; les prises électriques invitent par leur suppuration à ne pas y mettre les doigts, quand ce n’est pas la tuyauterie qui suinte du sang. Différence notable avec Shining (S. Kubrick, 1980) : ici, en guise de doigt d’honneur, les vagues de sang arrivent en plein visage.

Ash n’est rien sans ses bourreaux, qui en le malmenant le révèlent ; mais son premier bourreau est la réalisation de Sam Raimi elle-même. L’art de la douleur se consomme ici avec des petits bouts de ficelle : une ficelle grasse et prodigue, outrancière, toujours d’une originalité ciselée et purement cinématographique. Car, idée brillante du premier opus, la caméra elle-même est la reine de toutes les entités diaboliques, à travers les travellings grondants qu’elle réalise afin de poursuivre des acteurs qui la fuient ; un peu comme si ces derniers fuyaient le public lui-même et ses exigences, toujours croissantes et par définition inassouvies, de voir la mort s’emparer d’eux. Evil Dead II en vient même à proposer une course-poursuite, en plan séquence, entre le personnage principal, Ash, et l’entité diabolique qui veut s’emparer de lui à travers la caméra. La cabane devient dès lors un véritable labyrinthe disproportionné, dans ce jeu du chat et de la souris entre le réalisateur et son acteur.

Cette caméra sait ce qu’elle veut : elle se fait véritable chef d’orchestre de la terreur. Passe-t-elle devant une poutre ? Une peu rassurante note musicale, étouffée, surgit. Filme-t-elle du mobilier anodin ? Il devient hostile, même quand il daigne demeurer immobile, par des plans en anamorphose soulignant l’étrangeté de tous ces diaboliques et familiers d’objets. L’inventivité des bruitages fait également le sel d’Evil Dead, tant du côté de la peur que du comique : pensons, toujours dans le deuxième épisode, aux corps démembrés qui tombent dans un bruit de baudruche dégonflée… Même lorsque le montage cherche à pencher vers le romantisme, le spectateur sent l’entourloupe : la très belle idée du premier épisode consistant à alterner les gros plans entre le regard d’Ash, feignant de dormir, et celui de sa bien-aimée, se doutant de quelque chose, ne semble être là que pour annoncer l’enterrement de Dulcinée, enterrement au cours duquel les gros plans sur les regards semblent indiquer que quelqu’un ne dort pas pour de bon…

Une telle inventivité, une telle variété dans l’horreur, s’inscrit dans toute une lignée de vilains petits nanars : si les griffes de Freddy sont présentes dans Evil Dead au détour d’un plan, c’est pour mieux souligner à quelle famille Ash appartient. D’autres films, exploitant la série B pour tutoyer la A, viendront reconnaître la prodigalité de leur prédécesseur : que ce soit Blood Simple (1984), des frères Coen, au détour d’un travelling, ou Donnie Darko (R. Kelly, 2001), dans lequel Evil Dead est explicitement cité. L’excellent La Cabane dans les bois (D. Goddard, 2012), hommage plus qu’assumé à Sam Raimi, saura faire sienne la mise en scène – littérale – de toute une galerie de créatures cauchemardesques uniquement destinée à assouvir le plaisir sadique des spectateurs. Evil Dead, épisode II en particulier, est bien une pépite, mais une pépite calibre 12, dans laquelle le masochisme est reconnu, pleinement, comme septième art.

La saga Evil Dead (1981-1992) de Sam Raimi est disponible en août 2022 sur Ciné + Frisson.

Copyright illustration en couverture : travis knight.