L’année 2022 s’ouvre sur un masque que tout adepte de cinéma d’horreur connaît parfaitement : celui de Ghostface, visage de plastique iconique inspiré du Cri d’Edvard Munch. Ce cinquième épisode de la saga Scream, le premier sans le duo créatif Craven-Williamson, mis en boîte par une équipe de néophytes issus du cinéma d’horreur bricoleur et sans prétention, réussit l’exploit d’insuffler une nouvelle aura à la franchise à la fois malicieuse, divertissante et respectueuse. Dans cet exercice d’équilibriste de l’extrême, la franchise Scream fait peau neuve et s’adapte à un nouveau public plus friand d’un cinéma d’horreur loin de l’ultra-violence des boogeymen.
ON NE DÉCONNE PAS AVEC L’ORIGINAL
La sonnerie de la ligne fixe retentit, une jeune adolescente, interprétée par la magnétique Drew Barrymore, décroche le combiné et une voix inconnue résonne : « Jouons à un jeu, quel est ton film d’horreur préféré ? » Ces premières interactions ont marqué définitivement l’histoire du cinéma avec la sortie de Scream (W. Craven, 1996), véritable renouveau du slasher où étude méta du genre horrifique et empouvoirement féminin se mêlaient à des événements tragiques dans une petite ville tranquille américaine. Sidney Prescott, en final girl next-gen, accompagnée de Gale Weathers, une journaliste badass et de Dewey Riley, un shérif-adjoint un peu gauche mais empli de courage, incarnent la résistance face aux actes malveillants de ce tueur masqué. Suite au succès stratosphérique du premier opus, un second épisode sort une année plus tard. L’approche méta de l’oeuvre repousse cette fois les limites en questionnant l’exploitation rapide d’un phénomène culturel. Quelques années plus tard, un troisième épisode, avec toujours Wes Craven aux manettes, vient clore la trilogie de Ghostface, et au-delà d’un slasher classique dans la veine de la teen horror. La mise en abîme est à son paroxysme : un nouveau tueur mystérieux au masque blanc s’attaque aux acteurs de l’adaptation cinématographique des événements du premier épisode. Un quatrième opus au début des années 2010 ramène le scénariste historique et le réalisateur à Woodsboro pour clôturer les arcs narratifs de notre trio. La saga Scream passe à l’heure des réseaux sociaux où l’hyper-violence est devenue si commune, avec une toute nouvelle génération de protagonistes, dont la cousine de Sidney. Le duo créatif renouvelle sa critique acide de l’époque en rappelant que seule l’ancienne génération a le droit de survivre à Woodsboro (« On ne déconne pas avec l’original »). Wes Craven et Williamson mettaient alors un point final à la saga horrifique. Le réalisateur rendra son dernier souffle quatre ans plus tard, léguant à une nouvelle génération de cinéastes son épopée macabre.
Dans une époque où le requel (fusion d’un reboot et d’une suite), abonde dans toutes les sagas cinématographiques, le bébé de Craven n’est pas épargné dès lors qu’une jeune équipe artistique se met à plancher sur un nouvel épisode de Scream. La réalisation tombe entre les mains du duo Tyler Gillett/Matt Bettinelli-Olpin. Le scénario sera confié à un certain Guy Busick. Ces trois noms plutôt inconnus du grand public sont responsables de la charmante comédie horrifique Wedding Nightmare sortie en 2019, succès très honorable au vu de son budget restreint. La distribution et la production changent aussi de mains, les quatre épisodes précédents ayant été financés par les frères Weinstein via Dimension Films. Le métrage en boîte, la promo commence et les premières affiches s’exposent dans les rues, un message sous les visages des acteurs : « Le tueur est sur cette affiche. » Tout le casting ainsi que Ghostface sont visibles, le jeu de fausses pistes est lancé. Dès sa sortie, Scream 5 prolonge la danse des requels commencée l’année précédente. 2021 s’était finie en apothéose du combo reboot/suite/nostalgie avec S.O.S. Fantômes : L’héritage de Jason Reitman, West Side Story de Steven Spielberg, Spiderman : No Way Home de John Watts et Matrix Resurrections de Lana Wachowski, le tout en, à peine un mois …


LA NOUVELLE GÉNÉRATION
Retour à Woodsboro donc, vingt-cinq années après les premiers meurtres commis par Ghostface, événements portés à l’écran dans un défilé de suites jusqu’à l’épuisement (la saga Stab), faits divers devenus une ancienne histoire locale. Une jeune adolescente, Tara Carpenter, seule chez elle, découvre que le téléphone de sa maison, relique d’un autre âge, se met à sonner. A l’autre bout du fil, une voix étrange lui propose un jeu autour de films d’horreur. Un homme vêtu d’une cape noir et d’un masque blanc, reconnaissable entre mille, s’infiltre dans la maison et l’attaque. Tara parvient à lui échapper, mais elle est amenée d’urgence à l’hôpital. Apprenant la tentative de féminicide dont a été victime sa petite soeur, Sam, décide de revenir à Woodsboro, ville où elle s’était jurée de ne jamais remettre les pieds.
La nouvelle monture des aventures de Ghostface se détache d’emblée de ses concurrents dans le genre de l’épouvante. Scream 5 assume une totale conscience de son identité. Dialogues et personnages rappellent ainsi les limites cinématographiques du requel. L’équipe créative déconstruit ce mode opératoire et rappelle la dangerosité de pareille pratique. Les requels sont scrutés par des fans extrêmes biberonnés à la nostalgie de leurs franchises préférées. Chaque seconde qui ne respecte pas le cahier des charges instauré par la guilde du fan ultime est vilipendée sur la place publique numérique. Cette furieuse intensité sera au coeur du film. Scream 5 choisit de prendre ses distance avec cette pratique toxique, préférant faire un état des lieux de l’industrie cinématographique contemporaine et d’en montrer ses limites créatrices. Le scénario, quant à lui, nous offre un véritable jeu de fausses pistes et pousse la suspicion à son paroxysme au sujet de l’identité du tueur. Tous les personnages deviennent de potentiels assassins. Le montage et le climat de défiance entre les personnages font monter la tension à son maximum. Le trio de tête des quatre précédents opus n’est désormais plus le moteur de l’histoire et cède sa place à une nouvelle génération d’acteurs « solides », menée par Melissa Berra (Sam) et Jenna Ortega (Tara). Sidney n’est plus la priorité numéro un de Ghostface, au mieux : elle vient ici en renfort.


LES ADIEUX AU SLASHER
Dans la première scène de Scream 5, Tara Carpenter évoque sa préférence pour un autre cinéma d’horreur, bien loin des slashers. Au lieu d’offrir un discours méta et pédant sur ladite non-qualité du genre, les réalisateurs privilégient le décalage afin d’apporter un peu de nuance dans un cinéma horrifique si codifié. La veine creusée par Jordan Peele devient même une référence pour un nouveau public sensible aux frisons moins primaires que les tueries graphiques et naïves des slashers des nineties. A l’image de cet autre cinéma horrifique, la réalisation semble plus relevée que celle de Wes Craven, qui privilégiait toujours une mise en scène fonctionnelle. Dans cet opus, la caméra est plus volante et organique. Elle s’attarde sur le couteau qui pénètre la chair. Ces gros et longs plans sur les « déchirements charnels » redonnent un aspect plus réel aux attaques et moins cartoonesque comme cela avait pu être le cas dans les épisodes précédents. Afin de faire honneur au metteur en scène disparu, les réalisateurs réutilisent certaines habitudes de montage comme le faux suspense autour des portes, poussant jusqu’à l’absurde ce jeu autour des jump-scares. Ils recopient la scène d’attaque de Randy du premier épisode de Stab, en plaçant celui-ci à la place de la scène d’attaque Michael Myers dans le première Halloween (1978) de John Carpenter. Le fan service oscille entre le subtil et le tape-à-l’oeil. L’utilisation du tube de Nick Cave « Red Right Hand », morceau phare de la saga, est astucieuse sous forme diégétique, en passant à la radio. La réutilisation de la maison de Stu Macher, théâtre macabre du premier opus, semble plus paresseuse pour faire écho à l’épisode original, donnant ainsi l’amère impression que la saga ne résume qu’à ce lieu de désolation.
Ainsi, la nouvelle équipe de création à l’œuvre sur Scream 5 remplit aisément son contrat en offrant un épisode malin, divertissant et critique envers son époque et son statut. Le trio passe le témoin à cette nouvelle génération en toute sérénité. A l’image d’un message de fin « For Wes », les réalisateurs rendent un hommage à la fois humble et respectueux au maître disparu en 2015. Craven n’est plus, mais Ghostface est prêt à renaître encore de ses cendres.
A la production : Paul Neinstein, William Sherak & James Vanderbilt pour Paramount Pictures & Spyglass Entertainment.
Derrière la caméra : Matt Bettinelli-Olpin & Tyler Gillett (réalisation). James Vanderbilt & Guy Busick (scénario). Brett Jutkiewicz (chef opérateur). Brian Tyler (musique).
A l’écran : Neve Campbell, Courteney Cox, David Arquette, Marley Shelton, Melissa Barrera, Jenna Ortega, Dylan Minnette, Jack Quaid.
En salle le : 12 janvier 2022.