Sans un bruit 2 : John Krasinski convoque le cinéma muet

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Sans un bruit 2 de John Krasinski, deuxième épisode de la franchise initiée en 2018, nous immisce au cœur de la famille Abbott dont la jeune fille est malentendante. Attaquée par une horde de créatures extraterrestres uniquement sensibles au bruit, la petite ville américaine est réduite aussitôt à néant. Le mari disparu, la cellule familiale, chère aux classiques du genre, est portée à bout de bras par une Emily Blunt remarquable. Cillian Murphy le voyou paranoïaque de Peaky Blinders, sera malgré lui embarqué dans la destinée survivaliste des Abbott. 

Qu’on le classe dans la catégorie du thriller d’horreur ou du film catastrophe, peu importe. La suite directe de Sans un bruit suscite immédiatement l’angoisse. Création hybride aux références nombreuses, le film se nourrit aussi bien des univers sériel et cinématographique que du jeu-vidéo. Le sous-genre vidéo-ludique survival horror et son titre iconique Silent Hill viennent tout de suite à l’esprit – mais c’est peut-être les séries Stranger Things et The Walking Dead qu’on retrouve le plus dans l’atmosphère du film de Krasinski. On en veut pour preuve ses créatures effrayantes – qu’on soupçonne d’avoir été empruntées au teen movie horrifique de Netflix – mais aussi les références aux décors désolés et post-apocalyptiques de la série à succès d’AMC, dont l’auteur reprend ça et là quelques éléments scénaristiques. Le cinéma n’est pas en reste avec quelques clins d’œil bien sentis au premier Jurassic Park (S. Spielberg, 1993), et de manière plus générale, à la trame de La Route (J. Hillcoat, 2009) qu’on devine par endroits. Sans un bruit 2 est un film qu’on pourrait facilement ranger dans la case des œuvres purement cinématographiques. A l’heure où les plateformes de streaming sont en train d’étendre leur monopole sur la création audiovisuelle, le film de John Krasinski sonne comme une vraie réponse aux défis imposés par Netflix et consorts. Film à la puissance sensorielle vivifiante, le deuxième opus de la série Sans un bruit tire avec brio son épingle du jeu et remet la salle de cinéma au centre des préoccupations du spectateur. A l’évidence, l’immersion auditive et visuelle offerte par ce film d’horreur-catastrophe donne le sentiment de vivre avec une plus-value certaine le ressenti des personnages, ce que peinent toujours à offrir écrans d’ordinateur et autres postes de télévision.

Afin de bien s’imprégner du tour de force de la franchise de Krasinski, un coup d’œil au casting s’impose. A côté de la performance remarquable des jeunes adolescents Regan Abbott et Noah Jupe, qui portent presque à eux seuls le film, Emily Blunt s’invite avec ce rôle magnétique dans le cercle fermé des bad girls du cinéma US — au même titre que Sigourney Weaver (éternelle Ellen Ripley) et Linda Hamilton (impayable Sarah Connor). Mais par-delà l’esquisse des destinées chaotiques de son équipée sauvage, Krasinski investit avec habileté un cinéma du corps. On se plaît par exemple à s’immiscer dans celui de la jeune fille Abbott qui, croyant être abandonnée par son acolyte, se retrouve à tâtonner à la recherche d’indices visuels pour confirmer son pressentiment. Cette séquence ou respiration audiovisuelle – le son se coupe pour mieux ressentir la subjectivité du personnage — évoque par instants la puissance incantatoire du cinéma muet. A l’opposé, les ponts en acier, les trains et voies ferrées à l’abandon sont autant d’éléments de décor qui renvoient aux figures de l’absence. L’absence d’un passé immémorial que l’usine de sidérurgie à l’arrêt dans laquelle se planque le personnage de Cillian Murphy prolonge elle aussi. C’est aussi la nostalgie d’une Amérique en plein essor que nous esquisse par endroits John Krasinski, une époque où l’industrialisation massive ne posait pas question, une période faste où l’économie tournait à plein régime. La persona de l’acteur Cillian Murphy résonne étrangement avec cet épisode du monde occidental où l’acier régnait en maître et où les peuples cherchaient du mieux que possible à disposer d’eux-mêmes. Du Tommy Shelby tout puissant de Peaky Blinders au Cillian Murphy éreinté de Sans un Bruit 2, voilà peut-être la voie souterraine qu’emprunte insidieusement le cinéaste américain.

A la production :Michael Bay, Andrew Form, Bradley Fuller, John Krasinski, JoAnn Perritano et Allyson Seeger pour Paramount Pictures, Platinum Dunes & Sunday Night.

Derrière la caméra : John Krasinski (réalisation & scénario). Polly Morgan (cheffe opératrice). Marco Beltrami (musique).

A l’écran : Emily Blunt, John Krasinski, Kilian Murphy, Millicent Simmonds, Noah Jupe, Dijon Hounsou, Lauren-Ashley Cristiano, Zachary Golinger.

Sur Ciné + en : janvier 2023.

Copyright photos : Paramount Pictures / The Ringer.