Pourquoi faut-il revoir Desperado ?

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Entendez-vous ces accords qui exultent la passion torride ? Et ces paroles qui réveillent le Conquistador en vous ? « Je traverse les montagnes / Les étoiles et la lune me guident »… C’est la « Canción del Mariachi » en préambule de Desperado (1995), film ô combien culte sorti à l’été 1995 quelque part entre Mortal Kombat et Showgirls. Ce véritable western-spaghetti à la sauce piquante renouvelle au beau milieu des années 90 un genre tombé en désuétude depuis la génération des Leone, Corbucci et consorts. Robert Rodriguez nous concoctait là une recette explosive faite d’humour cartoonesque, d’action débridée et d’hémoglobine avec un soupçon de pasión caliente. Nombre de bisseux s’essaieront à la reproduire dans la foulée… Sans grand succès. 

UN FILM DE FAMILLE

Fidèle comparse du gringo Tarantino, Rodriguez ne démérite pas ses galons de bricoleur touche-à-tout. Si le public l’attendait au tournant l’année dernière avec l’adaptation du manga culte de Yukito Kishiro (Gunnm devenu Alita: Battle Angel sous la plume de tonton Cameron), c’est surtout parce qu’on lui connaît aujourd’hui un certain talent à réunir des castings 5 étoiles dans des blockbusters « graphiques », dont l’incontournable Sin City (2005). C’est bien vite oublier les deux grandes décennies créatives du plus mexicain des réalisateurs texans et ses toutes premières productions quasi fauchées de l’autre côté de la frontière. Pleinement impliqué dans l’ensemble du processus créatif de ses films, le cinéaste a su marquer de son empreinte le versant « bis » des coteaux hollywoodiens entre succès publics retentissants (Planète Terreur en 2007) et sorties de route inattendues (la saga Spy Kids). Retour à Desperado donc, second opus d’une trilogie entamée avec El Mariachi. 7000 dollars en poche et une poignée de bonnes idées dans la caboche avaient suffi à l’ingénieux Rodrigez pour imaginer en 1992 l’histoire d’un gratteux mexicain qu’on embringue par erreur dans une guerre des gangs. A partir d’un budget dérisoire, le « Rebel Without a Crew » autoproclamé posait là les canons d’une esthétique sans concession, attirant l’attention des pontes de Columbia Pictures par la même occasion. Le succès est au rendez-vous : El Mariachi conquit le public par-delà les frontières au point de persuader les studios californiens de passer commande d’une suite à Rodriguez, avec cette fois un budget plus conséquent. Ainsi naquit Desperado, consacré à la vengeance du Mariachi, désormais précédé d’une réputation du plus féroce hombre aux alentours. Rien ni personne ne pourra plus le détourner de la route qui le mène droit vers le sadique Bucho, le narcotraficante qui lui a tout pris : sa femme et sa musique. Rodriguez confie la narration à un grand weirdo du cinéma indé des années 90, l’impayable (Steve) Buscemi. Une cerveza en main, l’acteur raconte l’histoire dont il a été témoin dans un patelin du coin, celle d’un guitariste qui trimballe plus d’un instrument dans son étui… Bref, on connaît la chanson. Rodriguez passe le costume de son Mariachi vengeur à Antonio Banderas, alors acteur fétiche d’Almodovar, et sans passeport international. A ses côtés, il convoque également pour la première fois les futurs familiers de son cinéma, parmi lesquels son cousin Danny « Machete » Trejo et Cheech Marin, jusqu’ici surtout connu pour une poignée de stoner movies tournés avec son acolyte Tommy Chong dans les années 80. Le rôle féminin principal donne enfin du fil à retordre au cinéaste qui hésite entre deux jeunes prétendantes au charme latin incandescent. D’un côté, Jennifer Lopez. De l’autre, Salma Hayek. La première ne ferait-elle pas assez couleur locale ? Le réalisateur lui préférera les boucles sombres de la seconde. Hayek ne le lâchera désormais plus d’une semelle. Rodriguez complète le casting de son véritable petit film de famille en offrant un rôle à Tarantino dont il avait filmé l’apparition en peignoir dans Pulp Fiction un an plus tôt.

© Rico Torres

© Rico Torres

UN WESTERN TEX-MEX

Desperado, c’est aussi une bande originale endiablée qui porte la signature d’un « petit » groupe local, Los Lobos, propulsés du jour au lendemain sur le devant de la scène grâce à leur reprise de « La Bamba ». A l’écran, le Mariachi Banderas donne ainsi l’illusion de décocher indifféremment les accords et les balles, ajoutant un cachet folkorique supplémentaire à une comédie d’action déjà bien sur-vitaminée. Rodriguez fait lui aussi de vrais petits miracles avec sa caméra. Le sang coule à flot, la sueur perle sur les fronts. Le réalisateur stylise minutieusement chaque scène d’action et met à profit le moindre détail du décor, déconstruisant ainsi une mythologie à mesure qu’il lui rend hommage. Son Mariachi solitaire marche sur les traces de l’illustre aventurier anonyme de Sergio Leone. Son mystère restera impénétrable jusqu’à la fin. Mieux : il en irradie.

Desperado accomplit le dernier miracle à sa sortie en salle où il rencontre un succès tout-à-fait « décent ». Son miracle ? Devenir culte et donner ses lettres de noblesse à la mexploitation. Ce proto-western Tex-Mex se concluera « en beauté » dans un dernier opus huit ans plus tard. Sorti en 2003,  Once Upon a Time in Mexico met en effet un terme aux pérégrinations vengeresses du « lonesome » Mariachi avec un casting encore plus clinquant (Johhny Depp, Mickey Rourke ou encore Eva Mendes). S’il faut enfin revoir Desperado, c’est parce qu’il contient la matrice du cinéma de Roberto Rodriguez, fidèle à ses premiers amours pour le cinéma de genre, à ses origines mexicaines, à ses compagnons de route, et à son goût si particulier pour l’hémoglobine et les saccages de bar. Le film nous nous prouve enfin qu’on ne peut comparer à tort et à travers l’œuvre de Rodriguez à celle de Tarantino, un autre « movie buff » abonné aux citations à tout-va et aux pluies de sang. Par-delà l’hommage irrévérencieux à une culture et son folklore, Desperado nous donne les clés pour ouvrir les portes de l’univers explosif et grotesque d’un vrai cinglé de cinéma.

Desperado (1995 – États-Unis et Mexique) ; Réalisation et scénario : Robert Rodriguez. Avec : Antonio Banderas, Salma Hayek, Steve Buscemi, Joaquim de Almeida, Quentin Tarantino, Cheech Marin, Danny Trejo et Tito Larriva. Chef opérateur : Guillermo Navarro. Musique : Los Lobos et Tito Larriva. Production : Bill Borden, Robert Rodriguez, Carlos Gallardo et Elizabeth Avellan – Columbia Pictures Corporation. Format : 1.85:1. Durée : 104 minutes.

En le 25 août aux États-Unis puis le 27 septembre 1995 en France.

Disponible en VHS le 16 juillet 1996.

Copyright illustration de couverture : Pond5/Rico Torres/Paramount Pictures.

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