Bad Boys for Life

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Bad Boys for Life

« Bad boys, bad boys / Whatcha gonna do, whatcha gonna do when they come (back) for you ». Dix-sept ans après la sortie du second volet réalisé par Michael Bay, les bad Boys mythiques de la police de Miami reviennent à l’écran dans un troisième opus plus digeste et remis au goût du jour, tout en respectant les codes de la saga. Plus de lisibilité et bien moins de potacheries sont donc au rendez-vous pour Bad Boys For Life.

UN PARCOURS SEMÉ D’EMBÛCHES

En 1995, Jerry Bruckheimer et Don Simpson, célèbres producteurs hollywoodiens, donnent sa chance à Michael Bay, un jeune réalisateur alors issu des clips et de la publicité, pour mettre en scène une histoire de policiers à Miami. Côté casting, ils font appel à Will Smith et Martin Lawrence, tous deux couronnés de succès à la télévision américaine, pour faire leurs premiers pas au cinéma. Michael Bay, qui deviendra par la suite le roi des explosions, des contre-plongées circulaires et des blagues de beauf, insuffle un vent de nouveauté dans le monde éculé des comédies policières. Ici, un duo de policiers noirs : l’un classe et célibataire, l’autre grotesque et père de famille. Mike Lowrey (Will Smith) et Marcus Burnett (Martin Lawrence) s’en vont chasser les narco-trafiquants de Miami. Le succès est retentissant et lancera un partenariat de cinq films d’action explosifs entre Michael Bay et Jerry Bruckheimer. Le second volume sort quant à lui en 2003. La même équipe est donc rappelée au service. Mais cette fois-ci, la production déplace les curseurs jusqu’à leur extrême limite, quitte à faire exploser le compteur. La caméra de Michael Bay n’a jamais été aussi virevoltante, enchainant les angles les plus improbables d’après un scénario faussement alambiqué, avec un niveau de testostérone crevant le plafond. Les critiques atomisent le film en conséquence. Bad Boys deuxième du nom restera néanmoins à la postérité « grâce » à ses plans iconiques en même temps qu’il signera la fin du partenariat entre le réalisateur et le producteur. Bay rejoindra les rangs de l’écurie Spielberg tandis que Bruckheimer décidera de s’allier à Disney pour mettre en scène une aventure de pirates.  

On a grandi avec le cinéma de Bruckheimer des années 80 et 90 mais aussi avec LArme Fatale et Die Hard. On kiffe ce genre et ça fait longtemps qu’on a pas vu un film comme celui-là. Bad Boys c’est ce genre-là. Ce film est un hommage à ce cinéma, à Michael Bay, à Tony Scott, à ces films d’action qui ont beaucoup d’humour mais aussi un fond émotionnel. Notre histoire était néanmoins totalement différente. Il n’était pas question de faire une vulgaire copie de Bad Boys 1 ou 2.

Adil El Arbi

C’est un secret de polichinelle : raviver des franchises dormantes est devenu monnaie courante à Hollywood. Ainsi des come-back inespérés des Men In Black ou des Ghostbusters mais aussi de l’équipe de Danny Ocean, sans oublier l’incontournable Star Wars… Chaque saga y passe inévitablement, comme si le cinéma américain ne se repaissait que de suites  après suites. Nombreuses ont d’ailleurs raté leur remise à jour, soit dit en passant. L’épisode 3 de Bad Boys échappe en revanche à la règle. La genèse de ce volet n’en demeure pas moins un long parcours semé d’embûches, malgré le succès mondial de Bad Boys II en 2003. Le problème ? Le salaire demandé par Will Smith. L’acteur, alors au top de sa carrière il y a encore quelques temps, requérait des sommes affolantes, freinant ainsi la réalisation de cette suite. Michael Bay quitte le navire pour aller s’amuser avec de gigantesques jouets transformables. Le cinéaste Joe Carnahan (Narc, L’Agence tous risques…), un temps réquisitionné, écrit la première mouture du scénario avant de devoir se retirer du projet pour des problèmes de calendrier.

© Sony Pictures

Il faudra finalement attendre début 2018 pour qu’un duo de réalisateurs belges, Adil El Arbi et Bilall Fallah, tous deux issus de la télévision, se retrouve à négocier avec Sony Pictures, histoire de prendre à leur tour la relève. Martin Lawrence et Will Smith annoncent enfin via Instagram que Bad Boys For Life arrivera fin 2019 dans les salles obscures. Reportée d’un mois pour éviter le bulldozer intergalactique de Noël, la reprise de service tant attendue des inspecteurs Mike et Marcus peut enfin ravir les fans de la première heure.

Black [le film, co-réalisé en 2015 par Adil El Arbi, n’a toujours pas été distribué en France] a gagné un prix au festival de Toronto. C’est ainsi que des agents américains nous ont repérés et signés. Ils ont montré le film à Jerry Bruckheimer et à Will Smith qui l’ont adoré.

Bilall Fallah

LES COWBOYS FRINGANTS

L’action de Bad Boys For Life s’ouvre in media res ou du moins en trombe. La luxueuse Porsche 911 Carrera de Mike traverse les rues de Miami, laissant croire à une énième course-poursuite qui s’avère d’un tout autre genre puisque Marcus doit assister à la naissance de son petit-fils.  Si le premier assume son rôle d’agent de police vieillissant, le second, lui, reste toujours égal à lui-même malgré les années : un nigaud toujours prêt à se plaindre de son collègue. Une fois le véhicule à l’arrêtla caméra s’embarque dans un travelling circulaire au ralenti, et en contre-plongée, deux des tics de réalisation de Michael Bay sanctifiés dans Bad Boys II. Mais cette fois-ci, le mouvement se termine par le choc entre la portière et une borne d’incendie. Cette signature visuelle si classe et virile s’achève en simple blague, un modus operandi à l’image de ce nouvel opus, partagé entre  des touches de légèreté dans les moments testostéronés et inversement plus de sérieux dans les questionnements intimes de nos héros. Parce que désormais les principaux enjeux à l’oeuvre concernent surtout le vieillissement et la transmission. Marcus ne souhaite ainsi plus courir après les gangsters et n’aspire qu’à une chose : sa retraite bien méritée. Au contraire, Mike, lui, ne se voit pas vieillir et se pense même toujours aussi fringant qu’il y a vingt ans. Les deux compères passeront leur temps à se chamailler à propos de leur situation, sublimée par la dynamique toujours aussi efficace entre Will Smith et Martin Lawrence. Car oui, le temps passe inévitablement. Les poils blancs s’immiscent dans la barbe de Will Smith. Lawrence a pris des joues. Leur talent comique demeure fort heureusement intact. On se souvient que l’humour des deux premiers films se plaçait particulièrement en-dessous de la ceinture. Le déni de l’un et l’acceptation trop volontaire de l’autre constituent ici les véritables moteurs humoristiques de ce troisième volet. Autre grand absent de cet opus, la drogue. Au coeur des épisodes précédents, les stupéfiants ont disparu du paysage de Miami. Les enjeux se concentrent autour de la vendetta d’une ancienne tueuse professionnelle que Mike, au début de sa carrière, avait réussie à mettre derrière les barreaux. Isabel Aretas (Kate del Castillo), surnommée la Bruja (comprenez « la sorcière »), ancienne compagne d’un chef de cartel, parvient à s’échapper de son enfer carcéral avec une seule idée en tête : faire payer le flic qui l’a fait tomber bien sûr. Son évasion des plus imaginatives et violentes laisse présumer une vengeance que  rien ni personne ne pourra arrêter.  

Quand on pense à Bruckheimer, on pense aux blockbusters bourrés d’action. Mais on oublie que ses personnages, que soit Jack Sparrow dans Pirates des Caraïbes, Maverick dans Top Gun, Axel Foley dans Le Flic de Beverly Hills, c’est ce que l’on retient de ses films. Ce sont les personnages qui rendent les scènes d’action intéressantes. Il a toujours insisté sur les personnages. Plus que sur l’action au final.

Bilall Fallah

Grande nouveauté, le casting de Bad Boys, jusqu’ici très masculin, se féminise ! Kate del Castillo prend les pleins pouvoirs dans son rôle de mère démoniaque, habitée par un ardent désir ardent de vengeance qu’elle remet entre les mains de son fils, un tueur sanguinaire . Aretas convoque tout à la fois le folklore mexicain et le stéréotype de  la sorcière véhiculé par la culture populaire dans notre petit imaginaire collectif occidental. Du côté de nos deux bad boys, il faudra compter sur une équipe d’intervention spéciale sous les ordres de Rita  (Paola Núñez). Ces nouveaux visages – Kelly (Vanessa Hudgens), Dorn (Alexander Ludwig) et Rafe (Charles Melton) – aussi talentueux qu’intrépides disposent chacun de leur moment de bravoure, en harmonie parfaite avec la dynamique bien huilée de Smith et Lawrence. Le film reflète ainsi dans son ensemble la multiculturalité de la ville de Miami en proposant un casting inclusif et des péripéties réparties entre le Mexique et la Floride. 

© Sony Pictures

© Sony Pictures

DÉRAPAGES CONTRÔLÉS

A l’écran, le chef op’ Robrecht Heyvaert, fidèle collaborateur des cinéastes, respecte la palette colorimétrique définie dans les précédents opus, apposant comme à l’accoutumé un filtre jaune-coucher de soleil permanent. Dépaysement garanti ! Ces tonalités de carte postale changent cependant lorsque l’action se délocalise de l’autre côté de la frontière pour se poser sur le haut plateau de Mexico City, nimbé d’une lumière blanche opaque. Même si la caméra reste dynamique, on est bien loin des pirouettes visuelles auxquelles nous avait habitué le précédent réalisateur à l’oeuvre. Heyvaert, lui, se laisser guider par des impératifs de sobriété et de lisibilité. Finis les prises de vues improbables, le montage ultra nerveux, clipesque et dopé aux ralentis ! La mise en scène du duo flirte bien plutôt aves les classiques du genre, tout en respectant les codes esthétiques de l’univers de Michael Bay dont ils se réapproprient les canons par la même occasion.  Et c’est peut-être bien là aussi le seul petit bémol de ce retour sous le soleil de Floride. Les réalisateurs, pris entre entre nostalgie old school et réalisme décontracté, délivrent une oeuvre qui lorgne ici et là vers certains des épisodes les plus kitch des Experts à Miamizooms improbables, enchaînements de séquences malheureux, etc. L’omniprésence de la musique, certes en adéquation avec l’environnement urbain de Miami, finit par nous assourdir à la longue, allant même jusqu’à nuire au montage.

Que dire enfin du caméo anecdotique de DJ Khaled, responsable du tube estival « I’m the One » en collaboration avec Justin Bieber, mais surtout producteur exécutif de la bande originale, sinon qu’il ne nous prouve rien d’autre que le métier d’acteur ne s’improvise pas, tout simplement ? A contrario, l’apparition rapide de Michael Bay au mariage de la fille de Marcus fait office de véritable passage de témoin entre deux générations. La franchise Bad Boys nous aura ainsi offert un épisode par décennie depuis 1995. Le premier propulsa la carrière de Bay et Smith. Le second exposait à la vue de tous les stigmates des plus grands excès des films d’action des années 2000. Le troisième, en ce début de décennie, s’affirme comme un spectacle des plus divertissants. Optant pour une histoire plus simple, une réalisation plus sobre et un humour centré sur la vieillesse, El Arbi et Fallah délivrent un film d’action de bonne facture, respectueux des codes saga tout en y injectant un peu de sang neuf. En somme, un film pop-corn bien plus digeste que ses prédécesseurs et certains mastodontes du box-office avec lesquels il entre aujourd’hui en compétition. 

© Sony Pictures/Rahul Jha

Bad Boys For Life (2020 – États-Unis et Mexique) ; Réalisation : Adil El Arbi et Bilall Fallah. Scénario : Chris Bremner, Joe Carnahan et Peter Craig. Avec : Will Smith, Martin Lawrence, Vanessa Hudgens, Alexander Ludwig, Charles Melton, Paola Nunez, Kate del Castillo et Nicky Jam. Chef opérateur : Robrecht Heyvaert. Musique : Lorne Balfe. Production : Jerry Bruckheimer, Doug Belgrad, Melissa Reid, Will Smith, Chad Oman, Barry H. Waldman, Mike Stenson et James Lassiter – Sony Pictures. Format : 2,39:1. Durée : 124 minutes.

En salle le 22 janvier 2020.  

Copyright photo de couverture : Sony Pictures/The Ringer illustration.

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