Certains films ne prennent pas une ride. La Famille Addams, œuvre culte des années 90, n’avait sûrement pas besoin d’un lifting, même en animation. En 1991, Barry Sonnenfeld, qu’on ne connaissait pas encore comme « le réalisateur de Men in Black »,nous plongeait dans une ambiance gothique parodiée à l’extrême grâce à son humour cynique et une galerie de personnages attachants. Gomez, Morticia, Mercredi, Pugsley, Fétide, Cousin Machin : chacun a marqué à sa manière la génération « jean-bandana-casquette ». La Famille Addams deviendra un succès critique et public, confirmé par ses 191 502 426 de dollars au box-office mondial. L’exploit sera reproduit deux ans plus tard avec une suite portée par le même casting. La Famille Addams peut enfin tout bonnement être considéré comme l’une des rares séries TV brillamment adaptées pour le cinéma. Quelle autre bonne raison avancer pour vous convaincre de revoir ce film culte ?
UN CHEF D’ŒUVRE D’HUMOUR NOIR
Flashback en novembre 1991. La Famille Addams partage l’affiche avec Les Nerfs à vif de Scorsese et Fievel au Far West. Les enfants s’apprêtent à découvrir un classique de la comédie fantastique quelques semaines avant Noël. Leurs parents et grands-parents se souviennent sûrement des personnages comiques (mais alors sans nom) croqués par Charles Addams à partir de 1938 dans The New Yorker, ou encore de la série TV qu’elle a inspirée dans les années 60. Un temps confié à Steven Spielberg, puis refusé par Terry Gilliam et Tim Burton, le projet échoue entre les mains Barry Sonnenfeld grâce au producteur Scott Rudin (Sleepy Hollow, The Firm, Sister Act). « Je ne cherchais pas à devenir réalisateur. Scott Rudin m’a envoyé le scénario de La Famille Addams et m’a forcé à le réaliser » se souviendra plus tard le cinéaste. Sonnenfeld a en effet débuté dans l’industrie du cinéma au poste de chef opérateur attitré des frères Coen pour leurs trois premiers films : Blood Simple (1984), Arizona Junior (1986) et Miller’s Crossing (1990), puis de Rob Reiner sur les tournages de Quand Harry rencontre Sally (1989) et enfin Misery (1990).
Pour ses premiers pas de metteur en scène, Barry Sonnenfeld signe un chef-d’œuvre d’humour noir bourré d’effets spéciaux réussis, de décors typiquement « burtoniens » et de gags tordants à souhait. On se souvient encore des répliques qui fusent à tout-va dans l’univers non-sensique habité par une bien étrange famille. L’histoire de la nouvelle famille Addams se démarque par son originalité, le scénario ne s’attardant pas sur les origines des personnages quitte à prendre quelques libertés avec eux. Barry Sonnenfeld nous embringue dans une intrigue lancée à vive allure, soutenue par des aventures burlesques, des créatures bizarres et autres freaks hilarants. Les Addams vivent paisiblement dans leur manoir glauquissime mais convoité pour le mystérieux trésor qu’il renfermerait. Gomez, le ténébreux chef de famille, reçoit un jour « presque » par hasard la visite de Fétide, son frère aîné disparu vingt-cinq ans plus tôt. L’intrigue s’articule autour de l’identité réelle du fameux oncle chauve afin de déterminer si oui ou non, les Addams n’auraient pas affaire à un usurpateur intéressé par la fortune familiale. La réussite du film repose surtout sur son casting : la magnifique Angelica Huston (Morticia), le regretté Raúl Juliá (Gomez), le désopilant Christopher Lloyd (Fétide) plus barge que jamais, la toute jeune Christina Ricci (Mercredi), Carel Struycken (le majordome Max) aperçu récemment dans Doctor Sleep (M. Flanagan, 2019) et la fameuse « Chose », maniée par Christopher Hart, « l’homme aux grandes mains ». Marc Shaiman, un professionnel de la comédie et du musical, se charge de réadapter en studio le thème cultissime de Vic Mizzy rythmé par des claquements de doigts. Avec une pareille équipe, Barry Sonnenfeld tire facilement son épingle du jeu dans un genre déjà accaparé par Tim Burton – dans la même veine, le réalisateur a déjà réalisé à l’époque Beetlejuice (1988) et Edward aux mains d’argent (1990). Le comique de situation absurde et l’humour satirique de La Famille Addams ne manquent pas de nous faire mourir de rire quand ils ne nous invitent pas à une relecture politique du film. En effet, cette anti-famille idéale renverse autant qu’elle nous renvoie à l’envers de l’american dream et son mode de vie capitaliste. En salle, le divertissement familial triomphera finalement de la critique acerbe : les spectateurs américains se ruent dans les cinémas à l’hiver 91. Paramount Pictures, son distributeur, rentre dans ses frais grâce aux seules recettes cumulées aux État-Unis (plus de 110 millions de dollars, soit plus de 3 fois le budget de la production).


ET POUR QUELQUES ADDAMS DE PLUS
Le succès du film incite inévitablement Barry Sonnenfeld à envisage de lui donner une suite. L’idée lui tient tellement à cœur qu’il se permet de refuser un projet que tous les cinéastes s’arrachent à l’époque, un certain Forrest Gump, finalement réalisé par Robert Zemeckis en 1994. Mais pour l’instant, nous sommes en 1992. Barry Sonnenfeld et son équipe – à l’exception de Judith Malina (grand-mère Addams) remplacée au pied levé par Carol Kane – s’apprêtent à reprendre du service pour le plus grand bonheur du public. Les Valeurs de la Famille Addams fera honneur à son prédécesseur. Les Addams s’apprêtent à accueillir un nouveau membre dans la famille : Puberté, bébé malicieux à la moustache déjà bien prononcée. L’oncle Fétide, encore au cœur de l’intrigue, tombe éperdument amoureux de la nouvelle, et aussi mystérieuse que diabolique, nounou Debbie (Joan Cusack, la sort de John), surnommée « la veuve noire ». On lui prête en effet nombre de mariage avec des hommes riches, tous disparus « accidentellement », léguant ainsi leur fortune les uns après les autres à la veuve joyeuse. Si Fétide se laisse amadouer par sa nouvelle épouse, Mercredi et Pugsley se méfient des airs angéliques de leur tante. Debbie parvient à les écarter de son chemin vers la fortune familiale en convainquant Gomez et Morticia de les envoyer dans un camp de vacances peuplé de gentilles têtes blondes. Un véritable cauchemar s’annonce pour les Addams et les jeunes campeurs… La réussite de ce nouveau scénario tient cette fois à la rencontre des Addams avec le commun des mortels. Les répliques cultes sont, elles, désormais radicales (« – Bon, maintenant, vous allez me dire où vous avez caché le bébé ! – Ça dépend quel morceau », ou encore « – Il a les yeux de mon père ce cher ange. – Gomez, enlève-les lui de la bouche. »), les gags inspirés, la réalisation toujours aussi soignée, avec son lot d’actions et de superbes effets spéciaux. La galerie de personnages du premier volet s’enrichit de nouveaux visages parmi lesquels des moniteurs exaspérants qu’interprètent Christine Baranski et Peter MacNicol, l’éternel Dr Janosz Poha de SOS Fantômes 2 (I. Reitman, 1989), mais aussi le jeune David Krumholtz, le drôle de petit ami de Mercredi qui se passionne pour les tueurs en série. Malgré un succès relatif en salle aux États-Unis, la presse, dithyrambique, salue la diatribe cynique de Sonnenfeld à l’encontre d’une Amérique aspetisée. Véritable film-culte des années 90, irremplaçable et toujours aussi génial en 2020, La Famille Addams signé par Barry Sonnenfeld reste gravé dans les mémoires comme l’une des comédies fantastiques les plus réussies dans son genre, grâce à un savoureux cocktail d’humour noir « adulte », de bouffonnerie gaguesque décérébrée et d’aventures étranges hors du commun. Et souvenez-vous : « weird is relative » !
A la production : Scott Rudin, Jack Cummins, Bonnie Arnold, Paul Rosenberg et Graham Place pour Paramount Pictures.
Derrière la caméra : Barry Sonnenfeld (réalisation). Larry Wilson et Caroline Thompson (scénario). Owen Roizman (chef opérateur). Marc Shaiman (musique).
A l’écran : Anjelica Huston, Raúl Juliá, Christopher Lloyd, Christina Ricci, Judith Malina, Jimmy Workman, Elizabeth Wilson, Dan Hedaya.
Disponible sur Ciné + : 21 juillet 2021.