Stephen King ? Vous avez dit Stephen King ? Qui aurait pu croire que ce jeune garçon issu du fin fond du Maine, au physique étrange, à la santé fragile, insociable et légèrement rond, allait devenir le romancier populaire à l’imagination débordante que l’on connait et qui a conquis Hollywood grâce à ses nombreuses histoires ? Le maître nous offre en effet depuis plus d’une décennie un univers riche, passionnant, mystérieux et étrangement séduisant.
Pour beaucoup, Stephen King est lié irrémédiablement à Carrie, Shining, Stand by me, Ça, Simetierre en passant par La ligne verte, Christine … Ce nom connu de tous en dit long lorsque l’on parle de littérature et de cinéma d’horreur. Au fil de sa carrière, dans les meilleurs comme dans les pires moments, il a su conserver un style qui lui est propre. Sa capacité à installer un décor, à créer une ambiance, à inventer des personnages plus singuliers les uns que les autres, a été saluée tout au long de sa carrière. L’écrivain se montre particulièrement actif au cinéma et à la télévision depuis plus d’une décennie maintenant. Les studios hollywoodiens se l’arrachent depuis son tout premier roman, Carrie, publié en 1974. Stephen King a inspiré bon nombre de réalisateurs. Certains sont devenus des spécialistes de King, allant jusqu’à « piocher » chez le maître leur prochaine réalisation. On pense à des personnalités comme Frank Darabont qui réalisa, pas moins de trois films de l’auteur sans parler des courts-métrages qui l’ont fait connaître ou Mick Garris, fidèle collaborateur auquel le maître voue une totale confiance. Derrière le gros arbre terrifiant tout droit sorti des films de la Hammer se cache une sacrée forêt enchantée. Une fois le masque tombé, l’homme à la plume de sang s’avère d’une générosité et d’une bienveillance sans nulle autre pareilles auprès de la jeune génération qui souhaiterait faire ses premières armes en adaptant l’une de ses nouvelles.
C’est vers 1977 que tout un tas de jeunes – étudiants en cinéma pour la plupart – ont commencé à me demander s’il leur était possible d’adapter mes histoires courtes. Comme cela n’enchantait guère mon comptable, qui n’y voyait que des soucis juridiques, j’ai instauré une formule qui perdure encore aujourd’hui et selon laquelle j’autorise quiconque à adapter l’une de mes nouvelles tant que les droits me reviennent (…) Pour ce marché, il vous en coûtera un dollar.
Stephen King aime le cinéma et trouve dès 1976 une nouvelle approche pour faire découvrir son œuvre. Lui qui a été longtemps méprisé par les critiques littéraires car considéré comme simple auteur « populaire », trouve un moyen pour répondre ouvertement à leurs attaques mesquines. Bien qu’il soit régulièrement critiqué pour son style proprement familier et sa surenchère de gore, son sens de la narration et sa faculté à jouer avec nos peurs sont appréciés. Au-delà du caractère horrifique de la plupart de ses livres, il aborde régulièrement les thèmes de l’enfance (It) et de la condition de l’écrivain (Misery, Fenêtre secrète) et brosse un portrait social réaliste des États-Unis à la fin du XXe siècle et au début du siècle suivant. Ses œuvres les plus réussies et les plus marquantes au cinéma seront justement ses romans « dramatiques » comme The Shawshank Redemption (1994) de Frank Darabont ou Stand by me (1986) de Rob Reiner. Il serait bien difficile de brosser un tableau détaillé de toute son œuvre cinématographique commencée depuis la fin des années 70 à travers de nombreuses adaptations tant elle se révèle d’une complexité et d’une richesse absolues. Intéressons-nous donc à cinq films qui ont marqué la présence de Stephen King dans le 7e art afin d’en souligner son impact sur la production cinématographique, ainsi imprégnée de ses textes et de sa puissante créativité auxquelles sont redevables bon nombre de cinéastes.
CARRIE AU BAL DU DIABLE
Le livre m’avait été conseillé par un ami romancier. Je pense que c’était en 1975. Ça m’a beaucoup plu et j’ai appelé mon agent pour savoir à qui appartenaient les droits. Je me suis rendu compte que personne ne les avait achetés. Beaucoup de studios y pensaient, alors j’ai passé quelques coups de fil aux gens que je connaissais et je leur ai dit que c’était un livre sensationnel, et que je voulais l’adapter.
Le premier roman de Stephen King bénéficie quelques temps après sa sortie d’une adaptation au cinéma sous le simple titre de Carrie au bal du diable (Brian de Palma, 1976), succès critique qui obtiendra les faveurs du public dès son apparition sur les écrans américains en novembre 1976. Brian de Palma, qui sort épuisé de Phantom of the Paradise (1974) et Obsession (1976), adapte donc Carrie dont il réussit à acquérir les droits sans trop de mal par l’intermédiaire des studios United Artists. Lawrence D.Cohen, un jeune scénariste, s’attèle alors à l’écriture. Malgré son impopularité auprès des studios suite aux échecs successifs de ses derniers films, Brian de Palma réussit à s’imposer en tant que réalisateur. Le hasard fait bien les choses : interrogé sur le choix d’un réalisateur, Stephen King cita Brian De Palma car il avait énormément apprécié Sœurs de sang (1973). Le romancier sera ainsi très satisfait du travail du cinéaste. Cependant il faut déjà avouer que De Palma prendra certaines libertés par rapport au livre, s’appropriant le fil conducteur pour en faire sa propre œuvre singulière, éludant certaines exagérations et insistant davantage sur le thème du sacré.

© United Artists
Tout était déjà dans le livre, que j’ai suivi fidèlement, une fois la structure en flashback éliminée. J’en ai rajouté un peu dans l’imagerie catholique, parce que c’est quelque chose que je connais et qui m’a toujours impressionnée.
Le film raconte l’histoire de Carrie, une adolescente timide se découvrant des pouvoirs de télékinésie, véritable mouton noir de son collège et de sa propre mère, symbole même du puritanisme fondamentaliste chrétien. La jeune fille finira par se venger de ses oppresseurs. Sissy Spacek interprète le rôle principal, parfaite en adolescente torturée et au physique atypique. Piper Laurie s’avère également fantastique en mère violente et oppressante. La comédienne obtiendra même l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle en 1977. Parmi les seconds rôles justement, on retrouve une pléiade d’acteurs charismatiques, comme Nancy Allen qui deviendra une fidèle collaboratrice du réalisateur, mais aussi le jeune John Travolta qui signe là une de ses premières interprétations au cinéma. Le final est cependant très éloigné du roman de Stephen King. La crucifixion aux couteaux et l’onirisme macabre de cette ultime scène restent particulièrement réussis. Stephen King affirmera ainsi qu’à bien des manières « le film est plus stylé que le livre ». Carrie demeure un grand classique du cinéma d’horreur et une première adaptation qui dresse le tapis rouge à Stephen King en guise de bienvenue à Hollywood.

Sissy Spacek dans le rôle de Carrie, en 1976 © United Artists
DE SHINING à maximum overdrive
C’est en 1980 qu’un grand cinéaste dénommé Stanley Kubrick s’intéresse de près à un roman de Stephen King, Shining, l’enfant lumière (1977). Au contraire de De Palma, le génie du 7e art trouve son livre de qualité moyenne avec une écriture plutôt faible et des personnages manquant cruellement de profondeur. Mais peu importe, le cinéaste affirme avoir eu « l’impression que cela n’avait pas d’importance pour une histoire comme celle-là, où l’intrigue était un élément primordial, et que l’on pourrait toujours par la suite améliorer le travail sur les personnages ». Sa version de Shining (1980) possède la particularité d’être à la fois considéré comme un chef d’œuvre et d’être très critiqué par Stephen King. La guerre entre les deux hommes est déclarée. Le romancier fera en sorte de mettre en chantier bien plus tard une nouvelle adaptation du roman par Mick Garris pour la télévision, bien plus fidèle au roman.
Le vrai problème est que Kubrick a entrepris de faire un film d’horreur sans aucune compréhension apparente du genre. Tout en lui crie cela du début à la fin…
Du côté du réalisateur d’Orange Mécanique (1971), cette première ébauche lui permet de se projeter et de repousser davantage les limites qu’il avait déjà brisées auparavant. Shining nous raconte donc l’histoire de Jack Torrance, un romancier qui devient le gardien improvisé d’un hôtel fermé pour l’hiver, sa femme Wendy et son fils Danny s’apprêtant à vivre de longs mois de solitude. L’enfant, qui possède un don de médium, est effrayé à l’idée d’habiter ce lieu, théâtre de tragiques événements par le passé. Jack, quant à lui, bascule peu à peu dans une folie meurtrière qui le voit s’en prendre directement à sa propre famille. Beaucoup de films d’horreurs se sont déroulés dans des endroits sinistres, inhospitaliers laissant de même entrevoir le carnage à venir. Mais Stanley Kubrick filme des couloirs interminables, vastes pièces richement décorées, d’une manière tout à fait particulière en expérimentant les travellings en Steadicam, n’usant presque jamais de zoom, en déplaçant la caméra à une allure feutrée, comme pour laisser le soin au spectateur d’inspecter par lui-même l’hôtel.

© Warner Bros
Jack Nicholson donne vie au personnage principal de la plus belle des manières. Sourire satanique, jeu de sourcils terrorisant, attitude implacable, le comédien se déchaine sous les yeux de sa compagne (Shelley Duval), de l’équipe du film et des spectateurs, démontrant toute l’étendue de son talent. La décennie des années 80 voit ensuite défiler un grand nombre de grands cinéastes au service d’une histoire de Stephen King : George Romero, John Carpenter, David Cronenberg, Tobe Hooper… C’est donc probablement l’ego qui a poussé le romancier à réaliser pour la première fois le désastreux Maximum Overdrive en 1986, une incartade inédite qui lui laissera un goût amer. « Si vous voulez que les choses soient bien faites, faites-les vous-même » : telle est la devise mise en avant par l’auteur pour vendre son film. Fasciné par les voitures, Stephen King pense que l’idée de raconter une histoire de véhicules semble de bon aloi, surtout après le succès de Christine (John Carpenter, 1983). Mais malheureusement il ne parviendra pas à égaler le cowboy solitaire d’Hollywood. Plagiant allègrement Duel (1971) de Steven Spielberg, le scénario se résume en une phrase : les machines (les camions, les tondeuses à gazon… ), devenues folles en raison du passage d’une comète ou plutôt du dysfonctionnement d’un satellite soviétique, se mettent à attaquer les humains.

Stephen King sur le tournage de Maximum Overdrive, en 1986 © Everett Collection
D’aucuns affirmeront que Stephen King aurait dû s’atteler à l’écriture d’un énième roman au lieu de délivrer une adaptation aussi décevante. L’idée originelle s’avère certes singulière, mon son traitement reste bancal. Reste de Maximum Overdrive le souvenir d’un huis-clos ennuyant, sans suspens aucun, qui essaie tant bien que mal de lorgner du côté de La Nuit des Morts-vivants (1968) de George A. Romero. Stephen King tentera, non en vain, d’instaurer une tension tout du long par sa musique qui rappelle celle du Psychose (1960) d’Alfred Hitchcock et des plans de caméra techniquement acceptables. Mais le romancier-cinéaste semble ici totalement perdu. L’auteur avouera même la qualité médiocre de son travail, jurant de ne plus jamais retenter l’expérience. Maximum Overdrive restera sans nul doute la pire adaptation de son œuvre.
Mes relations avec le cinéma ? Tout sauf sexuelles. Quoique je me suis souvent fait baiser.
MISERY
L’œuvre de Stephen King intéresse de plus en plus les réalisateurs « bankable » dont Rob Reiner qui tenta l’expérience avec Stand by me en 1986. Stephen King, qui a adoré l’adaptation, l’autorise alors à mettre en scène une autre de ses grandes œuvres, Misery (1990) un huit clos suffoquant à l’esprit hitchcockien. Le film reste l’œuvre la plus fidèle au roman et une réussite artistique qui ravit les fans de l’auteur. Misery est un thriller psychologique terrifiant d’une efficacité redoutable. Paul Sheldon, romancier et créateur du personnage de Misery dont il a écrit la saga, en est satisfait faisant mourir son héroïne pour en finir avec cette histoire. Il quitte alors l’hôtel de montagne où il a l’habitude d’écrire ses romans et prend la route pour New York. Pris dans un violent blizzard, sa voiture dérape dans la neige avant de tomber dans un ravin. Paul Sheldon doit son salut à Annie Wilkes, infirmière retraitée qui vit dans un chalet isolé. Annie est justement une admiratrice inconditionnelle de Misery. En recueillant l’auteur, elle va donc pouvoir prendre connaissance du manuscrit.

© Columbia Pictures
Sa déception sera telle qu’elle va se comporter en terrifiante psychopathe jusqu’à séquestrer Paul afin qu’il réécrive son roman. Le film se passe dans les montagnes enneigées, dans une maison totalement isolée du reste du monde. Rob Reiner installe une atmosphère pesante et glaciale, grâce à des ficelles cinématographiques efficaces, comme la musique, terrifiante à souhait, qui permet de créer un climat de peur et d’angoisse chez le spectateur à chaque tentative d’évasion du personnage de James Caan. Ce dernier évoque d’ailleurs James Stewart en chaise roulante dans le chef d’œuvre Fenêtre sur cour (Alfred Hitchcock, 1954), et la maison d’Annie Wilkes celle de la mère de Norman Bates dans Psychose (Alfred Hitchcock, 1960). Misery s’avère être un film vraiment fascinant notamment grâce à un scénario brillamment servi par la mise en scène. Le film est également porté par deux excellents acteurs, James Caan et Kathy Bates qui reçut l’Oscar de la meilleure actrice en 1991 ainsi que le Golden Globe tout comme le scénariste William Goldman. Misery restera l’alliance parfaite de l’univers de Stephen King et des adaptations du maitre au cinéma. Le romancier ne sera désormais plus considéré comme un auteur pour série B. Le voici devenu respectable et mondialement courtisé. Rob Reiner, quant à lui, trouvera le nom de sa société de production, Castle Rock Entertainment, dans l’univers de Stephen King. C’est en effet dans cette petite bourgade fictive que l’auteur plante le décor de bon nombre de ses oeuvres : Dead Zone (1979), Cujo (1981), Bazaar (1991)… Aussi Rob Reiner produira-t-il par la suite grâce à sa société une poignée de films inspirés de ses livres : Misery donc, mais également Le Bazaar de l’épouvante (Fraser Clarke Heston, 1993), Les Évadés (Frank Darabont, 1994), La Ligne verte (Frank Darabont, 1999), Dreamcatcher, l’attrape-rêves (Lawrence Kasdan, 2003)…

blJames Caan dans Misery, en 1990 © Columbia Pictures
Les évadés
En 1994 sort l’une des meilleures adaptations de Stephen King au cinéma. Et ce chef d’œuvre, on le doit à Frank Darabont. The Shawshank Redemption (Les Évadés, en français) occupe encore aujourd’hui la première place du célèbre Top 250 des spectateurs sur le site internet IMDb, devançant même Le Parrain (1972) de Francis Ford Coppola. Le film nous raconte l’histoire du jeune banquier Andy Dufresne (Tim Robbins) qui est condamné en 1947 à la prison pour le meurtre de sa femme et de son amant alors qu’il clame son innocence. Il est alors enfermé à Shawshank, le pénitencier le plus sévère de l’état du Maine. Le prisonnier va alors découvrir la dure vie du milieu carcéral, mais également se lier d’amitié avec Red (Morgan Freeman), un détenu noir désabusé présent dans les lieux depuis 20 ans. The Shawshank Redemption est une étonnante fresque doucement poétique sur la condition humaine lorsque l’homme se retrouve mis en cage. Entre envie irrépressible de liberté et peur inconsidérée de mettre un pied dehors, dans un monde maintenant inconnu, les détenus de Shawshank, dont bon nombre sont inculpés à perpétuité, voient leurs vies bouleversées par l’apparition d’Andy. Coupable ou victime, peu importe. Seul compte finalement la vie à l’intérieur des murs du pénitencier, grand complexe ou règnent discipline et religion.
Le film de Frank Darabont passe par toutes les étapes nécessaires dans un processus d’humanisation paradoxale de détenus prétendument meurtriers. Ici, les années 90 obligent, la prison n’est pas qu’enfer, elle est aussi le havre des grands penseurs. Inutile pourtant d’en débattre. Peu importe la crédulité dont doit faire preuve le public, toujours est-il que les émotions affluent, notamment à la sortie de prison d’un vieil homme, solitaire et inadaptable à la nouvelle société des années 60, qui choisit au final la seule solution viable. L’œuvre de Darabont est symbolique d’un cinéma qui privilégiait jadis les beaux discours, les belles émotions, aux brutes séquences de réalisme. Icône pour certains du drame dans les années 90, Les Évadés ne semble pas réellement prendre de l’âge. Le film devra se contenter de sept nominations aux Oscars en 1995 avant de trouver une seconde vie en vidéo, devant le film le plus loué et le plus vendu en VHS à sa sortie.

© Columbia Pictures
Stephen King est devenu une référence dans la littérature fantastique en alpaguant le marché du cinéma avec une longévité surprenante. Sa capacité à produire est impressionnante même si parfois ses écrits s’avèrent plus ou moins inspirés. Peu importe, sa patte reste unique. Avec le succès dernièrement des séries Castle Rock (2018) produite par J.J Abrams et Stephen King, et Stranger Things (2016-2019) des frères Duffer, qui rendent ouvertement un hommage à l’œuvre de l’auteur, et au cinéma de Ça (2017) de Andrés Muschietti avoisinant les 700 millions de dollars de recettes, le romancier n’a pas fini de faire parler de lui. La sortie du second chapitre de Ça (Andrés Muschietti) est prévue le 11 septembre 2019 et la suite de Shining, 40 ans après le film de Stanley Kubrick, Doctor Sleep, réalisé par Mike Flanagan (The Haunting of Hill House) le 30 octobre 2019. Le réalisateur s’engage à « rendre hommage au génie de Kubrick et honorer celui de Stephen King ». L’avenir devrait ainsi annoncer de belles perspectives d’adaptations : L’histoire de Lisey (2006), Aire de repos (2003), Marche ou crève (1979)…
