The Suicide Squad : James Gunn orchestre un spectacle régressif jubilatoire

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The Suicide Squad

Cinq années. Voilà ce qu’il aura fallu attendre pour avoir un film sur l’escouade suicidaire digne de ce nom. Exit les violents différents créatifs entre réalisateur et producteurs qui engendrèrent l’immonde et difforme Suicide Squad (D. Ayer, 2016). James Gunn reprend les rênes de l’équipe de magnifiques losers criminels avec une totale liberté et l’envoie en pleine jungle tropicale. Régressive, violente, hilarante, cette nouvelle monture dynamise le genre et se positionne directement en tant que mètre-étalon du blockbuster estival où gore, humour potache et action débridée sont poussés à leurs extrêmes.

Suite à son licenciement de l’empire Disney à cause de tweets polémiques ressortis des abysses des Internets, James Gunn atterrit dans les filets de Warner Bros qui lui propose de relancer la franchise Superman. Le réalisateur ne souhaite réaliser pour la concurrence qu’à une seule condition : avoir carte blanche pour un film Suicide Squad. La nouvelle équipe dirigeante de la Warner accepte sans broncher. Malgré son succès au box-office, le premier opus réalisé en 2016 par David Ayer avait non seulement déplu mais aussi accéléré la violente chute du DCEU (DC Extended Universe). Bridé par un cahier des charges pachydermique, James Gunn insiste : son film sera violent, sale, fou, viscéral, récréatif… En somme une vraie lettre d’amour à l’univers bariolé inventé par John Ostrander au milieu des années 80.

Une mise au point s’impose avant de creuser plus avant.

Qu’est-ce que la Suicide Squad ? Des super-vilains enfermés dans la pire prison étasunienne sont recrutés par Amanda Waller, fondatrice de The Agency, une organisation fédérale, pour des missions confidentielles hautement périlleuses, de celles dont on ne revient que très rarement vivants. Une puce explosive est insérée dans le cou de chacun de ses membres afin d’éviter tout dérapage. Dans le film de James Gunn, Waller se retrouve contrainte par chantage de recruter puis d’envoyer deux équipes surarmées sur l’île fictive de Corto Maltese, régie par un système autoritaire des plus vicieux.

UN SPECTACLE RÉGRESSIF JUBILATOIRE

Aux mains de Gunn, passé maître dans la mise en scène des grands spectacles décontractés et musclés, The Suicide Squad renoue avec le gore et la décontraction bis de ses origines, la pyrotechnie en plus. La violence y est graphique et stylisée pour notre grand plus grand plaisir (régressif) : ça déchiquette, ça explose et ça démembre à tour de bras. Ces nombreuses effluves de sang donnent au film un ton cartoonesque qui rappelle les dérives japonisantes du cinéma bis de l’illustre Quentin Tarantino. La caméra de Gunn appuie cette violence par l’utilisation importante de zooms sur la chair qui rompt, se déchire, explose, etc. Le rouge du sang contraste radicalement avec le tonalités vertes de la jungle et les nuances de gris de la ville. L’explosion de couleurs, un choix de mise en scène assumé, en dit long sur la volonté de James Gunn de se démarquer de son prédécesseur. Là où le travail d’Ayer avait pâti des interférences des producteurs pour rendre son film plus fluorescent  – lui donnant ainsi un aspect hybride incohérent – Gunn, lui, a obtenu une totale liberté esthétique. Le réalisateur privilégie les prises de vues en décors réels, reléguant les effets numériques à l’arrière-plan. En s’inspirant de vieux films de guerre comme Les Douze Salopards (R. Aldrich, 1967) et De l’or pour les braves (B. G. Hutton, 1970), il a demandé à son chef décorateur de construire une jungle luxuriante, une plage grandeur nature, une forteresse directement inspirée de l’imaginaire nazi… En montrant des personnages unis par une certaine complicité dans un univers violent, Gunn reprend également la structure narrative et les codes visuels de ces deux classiques.

James Gunn tient en main les thèmes qui lui sont chers. Sa filmographie regorge de personnages atypiques et dérangés, parfois ridicules, souvent imprévisibles. Que ce soit grâce à leurs pouvoirs, leurs actions ou leurs répliques, ses protagonistes subliment leur étrangeté pour embrasser une destinée plus glorieuse. L’humour gore, potache et déphasé, marque de fabrique de son usine à cinéma, est ici à son paroxysme pour le plus grand plaisir du public.

De la monture de 2016, seules quatre têtes connues reprennent du service : Margot Robbie en Harley Quinn – la folie lui va toujours comme un gant – Viola Davis en Amanda Waller – dont l’autorité et la dureté naturelles transforment les pires criminels en véritables agneaux – Joel Kinnaman en Rick Flagg – qui a l’immense tâche de veiller sur cette bande de dégénérés – et Jai Courtney en Captain Boomerang. Les nouveaux venus arrivent à prendre leurs marques grâce à de savoureux moments de bravoure. Idris Elba, contrairement à Will Smith, sait mettre son ego de côté pour le bien de son personnage Bloodsport, leader naturel badass engoncé dans un costume qui doit bien receler plus de mille armes. John Cena (Peacemaker), sympathique armoire à glace, débite des âneries à chaque prise de parole. Du haut de ses 25 ans, Daniela Melchior, véritable révélation du film, contrôle les rats, comme l’indique le nom de son personnage (Ratcatcher II). On peut compter aussi sur David Dastmalchian en Polka-Dot Man – protagoniste obsédé par sa mère détestable – dont le pouvoir consiste à envoyer des pastilles de couleur explosives. Ce parfait casting de losers magnifiques rivalise d’intensité, de générosité et de sincérité. 

The Suicide Squad
The Suicide Squad

JAMES GUNN, PLUS SINCÈRE ET GÉNÉREUX QUE JAMAIS

Généreux, James Gunn l’est aussi dans toutes les séquences plus musclées. La mise en scène nerveuse, aidée par une caméra à l’épaule et des zooms, se concentre sur l’action et sur les personnages. Filmée de manière viscérale, dynamique et puissante, chaque scène explosive régale le public de cette satisfaction que peu de films savent donner. Privilégiant la « vraie » cascade à la débauche d’effets numériques, la réalisation donne un cachet plus sincère à cette superproduction estivale. En plein carambolage, la caméra préfère se concentrer sur l’intérieur d’une voiture et donc ses personnages, accentuant ainsi l’immersion et l’implication du spectateur dans la survie des protagonistes. Le mixage sonore amplifie aussi l’action avec une certaine précision et un naturel bien loin des productions concurrentes du moment. La réalisation propose des choix visuels insolites pour le simple plaisir, comme ces marques de sang qui se transforment en fleurs animées en 2D dignes de Roger Rabbit (R. Zemeckis, 1988). Comme à son habitude, Gunn rythme son film à l’aide d’une bande originale pop « du tonnerre », en privilégiant sa diffusion par voie intradiégétique (autoradio, etc.) Les tubes FM accompagnent avec brio les scènes, à l’opposé de son prédécesseur qui empilait les hits comme si on avait ajouté une playlist iPod sans lien avec l’action à l’écran.

James Gunn réussit à insuffler l’esprit des comics originaux à son Suicide Squad avec une sincérité et un coeur énormes. Certaines scènes et plans semblent même être composées pour une version papier. Refusant l’iconisation à la manière de Zack Snyder, Gunn privilégie la transparence et l’humanité de ses personnages. Ce choix lui permet de détourner à sa manière les codes des superhero movies et de mettre en scène une vision toute personnelle, pure et généreuse. Plus proche de la série héroïque The Boys que de ses productions cousines, The Suicide Squad réalise l’exploit d’offrir un divertissement haut en couleur, empli de générosité, de débordements esthétiques et d’hémoglobine, dont l’humour omniprésent ne freine pas l’empathie du spectateur à l’égard d’une bande de doux dingues. En somme, un divertissement au grand coeur, cool et rock’n’roll, à l’image d’un vieux tube country de l’illustre Johnny Cash.

A la production : Michael De Luca, Charles Roven, Chuck Roven, Peter Safran, Nikolas Korda, Walter Hamada pour Warner Bros. et DC Entertainment.

Derrière la caméra : James Gunn (réalisation et scénario). Henry Braham (chef opérateur). John Murphy (musique).

A l’écran : Margot Robbie, Viola Davis, Joel Kinnaman, Jai Courtney, Idris Elba, John Cena, David Dastmalchian, Sylvester Stallone, Daniel Melchior, Pete Davidson.

En salle le : 28 juillet 2021.

Copyright photos : Jessica Miglio / Warners Bros. / DC Entertainment.