Les Aventuriers de l’arche perdue : journal de tournage

par

Les Aventuriers de l'Arche Perdue

Difficile de croire qu’il y a seulement quarante ans qu’Indiana Jones – Indy pour les intimes -, le professeur-archéologue très séducteur, un peu roublard, faisait ses premiers pas sur grand écran. Sorti de l’imagination de George Lucas, filmé avec brio par Steven Spielberg, Les Aventuriers de l’Arche Perdue a relancé l’engouement pour le film d’aventure et le personnage d’Indiana Jones est devenu presque immédiatement une icône du genre. Pourtant, le véritable aventurier n’est pas forcément celui qu’on croit. Ils sont des dizaines et se nomment Steven, George, Frank, Robert, Howard, Harrison… Retour sur la genèse d’un film hommage qui a marqué l’histoire du cinéma.

À LA RECHERCHE D’INDIANA SMITH

Avant de se rejoindre, les chemins de George Lucas et Steven Spielberg se croisent à de multiples reprises. C’est lors d’un Festival de films étudiants de l’UCLA (University of California, Los Angeles) en 1968 que Spielberg remarque pour la première fois Lucas ; il est stupéfait par le court-métrage que présente ce dernier, THX 1138 4EB. L’admiration est réciproque : quand Lucas tombe sur la diffusion télévisée de Duel (1971) au cours d’une soirée chez Francis Ford Coppola, il reste rivé au poste, abandonnant fête et amis. C’est en 1972 que la véritable rencontre se fait. Les jeunes réalisateurs se montrent instantanément le plus grand respect et se lient à travers leurs ressemblances (ils ont grandi avec les mêmes références), aussi bien que leurs différences : Lucas, contrairement à Spielberg, cultive son indépendance plutôt que ses attaches avec Hollywood et vient de créer sa propre société de production pour se garantir une liberté -quasi- totale. « La seule véritable différence avec Lucasfilm, c’est que la plupart des studios créent des films pour rapporter de l’argent – tandis que le concept de notre société, c’est de générer l’argent pour faire des films. » Au printemps 1973, Lucas se voit pourtant obligé d’emprunter de l’argent pour survivre. Puisqu’un vestige de contrat stipulant qu’il doit livrer un film de science-fiction le lie avec United Artists, il abandonne ses projets concernant une sombre satire sur la guerre du Vietnam intitulée Apocalypse Now, pour se concentrer sur un film appelé Les Guerres de l’Étoile (The Star Wars), finalement acheté par la Twentieth Century Fox… Travaillant plus de 8 heures par jour sur ce film, il ne peut empêcher son esprit de vagabonder vers d’autres contrées, plus terrestres mais toutes aussi fantasques. C’est ainsi que commence à germer l’idée d’une série sur un archéologue pilleur de tombes dans les années 30, qui serait à la recherche d’artéfacts surnaturels, prénommé Indiana Smith… 

On retrouve dans les premiers scripts de The Star Wars des éléments clés d’Indiana Jones : dans la première version le Général Luke Skywalker rencontre, sur une planète envahie par la jungle, Owen Lars de Bestine, « un anthropologue débraillé d’un certain âge ». Dans la deuxième, Luke Starkiller remarque un fossile brillant, le photographie et prend des notes sur sa découverte dans un carnet. « Star Wars et Indiana Smith sont tous les deux basés sur les serials qui passaient en matinée et que j’aimais quand j’étais enfant. Je me demandais pourquoi on ne faisait plus de films comme ça. J’aurais voulu en voir. » Si les séries comme Spy Smasher (1942) ou Don Wislow of the Navy (1942) sont une source d’inspiration évidente, la référence visuelle principale pour Indiana Jones est une carte de Zorro sautant de son cheval sur un camion. Cette image symbolise par ailleurs l’un des thèmes centraux des histoires de Lucas : l’antagonisme entre le monde naturel, et celui de la technologie. Zorro se jette de sa monture de chair et d’os sur un monstre d’acier tout comme Luke Skywalker fait fi de son ordinateur de visée pour faire confiance à la Force et anéantir le monstre technologique qu’est l’Étoile de la Mort. Une autre référence moins orthodoxe, celle-là, fait le lien entre les deux sagas : le chien de George Lucas, Indiana, qui prêtera son nom au personnage -comme le mentionne d’un ton railleur le Professeur Henry Jones Sr à la fin d’Indiana Jones et La Dernière Croisade (S. Spielberg, 1989)-. En effet, le canidé inspire également à Lucas Chewbacca, le Wookie fidèle copilote de Han Solo dans Star Wars… Philip Kaufman assiste Lucas dans l’écriture du scénario. C’est lui qui suggère que l’Arche d’Alliance soit l’objet sacré recherché par les nazis (ils ont réellement mené de telles recherches). Malgré son enthousiasme, lorsqu’on lui propose d’être rémunéré pour écrire le script de Josey Whales Hors la Loi (C. Eastwood, 1976), Kaufman abandonne le projet qui s’intitule à présent Les Aventuriers de l’Arche Perdue.

George Lucas sur le tournage de THX 1138, en 1969 © Zoetrope/Bernie Abramson

Inspiré d’un héros de comics, le serial Spy Smasher réalisé par William Witney en 1942 marque profondément le jeune George Lucas

LES AVENTURIERS DE CECI, LES AVENTURIERS DE CELA…

Eté 1973 : American Graffiti sort sur les écrans et c’est un succès phénoménal au box-office. Deux ans plus tard, Les Dents de la Mer explose le box-office et devient ainsi le tout premier blockbuster de l’histoire du cinéma. Spielberg et Lucas sont comme les doigts de la main : quand l’un termine un film, il traîne naturellement sur le plateau de l’autre. Les deux compères partagent d’ailleurs un rituel à chaque sortie de film : pour échapper à la pression, ils se rendent à Hawaï, construisent un château de sable, et observent le temps que met la marée à le démonter. Selon eux, plus le château tient bon, plus le succès du film est certain. Le 25 mai 1977, date de la sortie de Star Wars – Un nouvel espoir, Spielberg retrouve donc un Lucas exténué sur la plage. « [George] s’est dit qu’un vol de cinq heures et demi le mettait à bonne distance de la sortie de son film. » Le réalisateur est abattu, décidé à ne plus toucher une caméra de sa vie après cette expérience trop éprouvante. Voilà pourtant que la nouvelle leur parvient du continent : Star Wars est un succès phénoménal ! Et Lucas de reprendre soudainement des couleurs, confiant à Spielberg qu’il désire faire une série de film d’aventures « Nous étions sur la plage, en train de construire un château de sable, […] George me demande alors : « Qu’est-ce que tu veux faire ensuite ? ». J’ai répondu : « Tu sais, j’ai toujours voulu faire un film de James Bond avec Sean Connery ». George me dit : « J’ai quelque chose que tu pourrais aimer autant qu’un Bond. » […] Le premier film se nommait Les Aventuriers de l’Arche Perdue. Il ne connaissait pas les titres des films suivants, mais ils s’appelleraient Les Aventuriers de ceci, Les Aventuriers de cela… » Lucas présente à Spielberg l’essence du film : un retour en arrière vers les films à l’ancienne, une histoire pleine d’aventure, dans l’esprit des serials du dimanche après-midi avec un soupçon de modernité toutefois. Il n’en faut pas plus à Spielberg pour être conquis ! Lucas, bien décidé à ne plus réaliser, confie le travail à son ami et se garde le rôle de producteur exécutif. C’est Spielberg, qui songe à Frank Marshall, qui a travaillé sur plusieurs films de Peter Bogdanovich, pour se charger de la production, et à Lawrence Kasdan, dont il a lu et aimé le script de Continental Divide au point de demander à Universal d’en acheter les droits pour lui, pour rédiger le scénario des Aventuriers. Lucas et lui sont séduits par la capacité du scénariste à véhiculer une sensibilité des années 30-40 dans le style d’Howard Hawks, dont les films (Seul les anges ont des ailes, 1939 ; La Dame du vendredi, 1940) incarnent le type d’action physique et verbale qu’ils désirent pour Indiana Jones. Le marché est conclu le jour même de manière officieuse mais bien réelle pour Kasdan et Marshall en vingt minutes, avec une poignée de main de Lucas. En partant, les deux hommes se demandent encore : « Venons-nous juste vraiment de décrocher le boulot ?  – Alors là… Je n’en ai aucune idée… » Le lendemain un appel de Lucasfilm scelle le contrat.

Cary Grant et Rosalind Russell dans La Dame du vendredi réalisé par Howard Hawks en 1940 © Columbia Pictures

Lawrence Kasdan signe en 1981 le scénario de Continental Divide, réalisé par Michael Apted © Peter Sorel/Amblin

THE RAIDERS COMPANY

En janvier 1978, Spielberg, Lucas et Kasdan s’enferment ensemble une semaine entière afin de définir l’intrigue du futur film. Kasdan enregistre les discussions sur cassette et se chargera de transcrire le scénario. Au fil des échanges, les trois hommes évoquent la possibilité d’un personnage principal féminin agent double allemand… Spielberg apporte l’idée d’un héros ophiophobe et de la séquence d’ouverture dans laquelle l’archéologue affronte une série de pièges, dont le le rocher roulant qui marquera les esprits… « Je ne sais même pas d’où ça m’est venu. […] J’ai juste dit : « Vous savez, à un moment une énorme roche devrait poursuivre Indy et manquer de l’écraser trois ou quatre fois avant qu’il ne s’échappe de la grotte. » » Armé de ses cassettes, des notes de Lucas et d’une discussion de vingt minutes avec Phil Kaufman, Lawrence Kasdan s’attelle à l’écriture du premier jet. Le nom d’Indiana Smith devient Indiana Jones, conservant un nom de famille américain le plus générique possible. Marion Ravenwood apparaît déjà ; c’est l’un des codes du genre du cinéma d’aventure : le héros est flanqué d’une femme, peu adaptée à la vie sauvage. Kasdan souhaite qu’elle porte un nom romantique, aux accents surannés. Pour assister Kasdan, Debbie Fine, la libraire de Lucasfilm, se charge des recherches exhaustives sur l’Arche d’Alliance, la Seconde Guerre mondiale, l’Égypte, l’Amérique du sud, le genre de journaux que l’on lisait dans les années 30…  Le scénariste est ravi : la documentation n’est absolument pas sa tasse de thé. Un beau jour, alors qu’il rend visite à Lucas pour lui soumettre son premier jet datant du 15 juin 1978, ce dernier lui propose d’écrire la troisième version de son futur film, Star Wars : L’Empire Contre-Attaque. Kasdan le prévient : « Peut-être voudrais-tu lire Les Aventuriers de l’Arche Perdue… avant…». Ce à quoi Lucas répond : « Si je déteste Les Aventuriers, j’annule mon offre demain. » Bien évidemment, rien de tel n’est arrivé, et Kasdan se voit embarqué sur deux des plus gros projets cinématographiques du début des années 80.  Le 20 juillet 1978, Lucasfilm Ltd. se dote d’une filiale nommée « La Société des Aventuriers » (« The Raiders Company »), chargée des détails juridiques et des négociations (George Lucas avait également créé la « Star Wars Corporation » pour les films éponymes). À travers ces filiales, Lucas s’octroie la possibilité de réaliser sa vision des films, de contrôler leur exploitation puisqu’il en est propriétaire. Il faut dire qu’après les succès retentissants consécutifs d’American Graffiti, Star Wars, Les Dents de la Mer et Rencontres du Troisième Type, Spielberg et Lucas, qui souhaitent négocier le meilleur contrat jamais signé à Hollywood, sont réellement en mesure de le faire !

Près d’un an plus tard, en mars 1979, Lawrence Kasdan présente le deuxième jet, réduit d’une trentaine de pages. Le personnage de Sallah condense ceux de son fils Abu et de l’archéologue Jules Spencer qui devait aider Indy à déchiffrer le médaillon après la mort de Marion dans le premier script. « C’était probablement ma version préférée du film parce que l’action avançait très vite et que c’était très drôle, ce qui, je pense, était important pour le film.» Lucas vient pour sa part d’engager le célèbre illustrateur de comics Jim Steranko, afin de définir le style visuel des Aventuriers et l’allure d’Indiana Jones. Il lui commande quatre dessins de production, lui donnant pour inspiration la carte de Zorro sautant de son cheval sur le camion, ainsi que des photos de vieux films dont les acteurs portent des chapeaux en feutre. Pour Lucas, ces images représentent l’essence de l’Aventurier. Steranko dessine sans avoir lu le script, ne possédant que des indications de ce qu’il doit représenter : le temple Inca avec les serpents, la scène de l’aviateur nazi, le champ de fouilles et la course poursuite dans laquelle Indy saute de son cheval sur le camion allemand… Ainsi qu’Indiana Jones, qui doit être muni d’un fouet plutôt qu’un pistolet. Le 6 août 1979, il fait parvenir les illustrations définitives à Lucas. « Je me suis imaginé que le héros était une sorte de mélange entre Doc Savage [personnage de fiction créé dans les années 30 par Lester Dent, ndlr] et Bogart [son style dans Le Trésor de la Sierra Madre (J. Huston, 1948) est une inspiration certaine, ndlr], dans l’aventure la plus pulp qui soit. » La silhouette iconique d’Indiana Jones est née.

De g. à dr. : Irvin Kershner, Gary Kurtz, George Lucas et Lawrence Kasdan sur le tournage de L’Empire contre-attaque, en 1980 © Lucasfilm Ltd.

Humphrey Bogart dans Le Trésor de la Sierra Madre (1948) de John Huston est une inspiration certaine pour le personnage d’India Jones © Warner Bros.

UN SERIAL À GROS BUDGET

Ce même été 1979, tandis que Frank Marshall organise le tournage et Lawrence Kasdan finalise le troisième jet, les négociations commencent pour de bon entre Lucasfilm et les studios. Le 15 août, à sa demande expresse plus d’un an auparavant, le script est envoyé en premier à Michael Eisner, président de la Paramount – ainsi qu’à Universal et Warner. Eisner en voyage d’affaires en Europe, c’est Frank Wells de la Warner qui saute sur le projet. Heureusement pour Eisner, Wells, avocat de profession, prend le temps de scruter le moindre détail du contrat, sans le signer officiellement. Il faut dire qu’avec le retard pris par Spielberg sur 1941 (1979), on commence à imaginer que la bonne étoile du réalisateur a perdu de son éclat et certains studios refusent de financer Les Aventuriers si Spielberg est à la réalisation ! De plus, on qualifie le marché proposé par Lucasfilm d’« insultant », de « suicidaire pour l’industrie du cinéma », les majors cherchant à en négocier les termes et faire renoncer Lucas et Spielberg à une partie de leurs droits. Mais Lucas tient bon. C’est à ce moment qu’Eisner prend tout le monde de court, acceptant les conditions sans tergiverser. En novembre 1979, le contrat est signé entre Paramount, Lucasfilm et La Société des Aventuriers. Il y est stipulé qu’une fois que le studio aura récupéré ses fonds, les recettes devront être divisées à 60% en faveur de la Paramount, à hauteur de 35 millions de dollars. Ensuite ce sera 50-50. Les droits du merchandising et des suites appartiennent à la Société des Aventuriers mais la Paramount est prioritaire pour les négociations futures. Ayant la défaite amère, la Warner prévient la Paramount : « Vous allez détruire l’industrie du cinéma en leur accordant tout ce qu’ils souhaitent ! » Michael Eisner n’en a cure : « Si nous allons dans le mur avec cet arrangement, nous voudrions que cela arrive deux à trois fois par an de la même manière ! » Dès la fin du mois, le magazine Variety annonce le film réalisé par George Lucas (et ses quatre suites !) comme l’un des plus attendus d’Hollywood ! George Lucas et Steven Spielberg savent à présent qu’ils doivent impérativement s’en tenir au planning de production, sous peine de lourdes compensations financières. Ils se mettent d’accord pour tourner à la manière d’une série télévisée : très rapidement, avec des techniques rudimentaires, pour un budget de 17 millions de dollars.  Il faut pourtant attendre fin janvier 1980 pour que soit formalisé le contrat de Spielberg comme réalisateur. Il s’y garantit le final cut et précise que les suites et remakes seront à négocier s’ils se présentent. Enfin, après la signature de « certificat d’auteur » pour Philip Kaufman attestant de sa collaboration sur « l’histoire originale non publiée » des Aventuriers de l’Arche Perdue et celle d’une demi-douzaine d’accords, Paramount débourse les deux premiers millions de dollars : le film est lancé.

Afin de réduire les coûts, Lucas choisit de tourner dans un lieu qu’il apprécie, où se trouve une équipe qui le connaît parfaitement puisqu’il y a réalisé les deux premiers Star Wars : les studios Elstree, en Angleterre. Le producteur associé des Aventuriers, Robert Watts y officie, ainsi que le chef décorateur Norman Reynolds. Pour gérer le tournage de ce côté de l’Atlantique, une nouvelle filiale de Lucasfilm est créée : « Les Productions de l’Arche Perdue ». Lucas, alors attaché à plusieurs productions en même temps (L’Empire contre-attaque est en pleine post-production), désigne Howard Kazanjian pour le représenter en tant que producteur sur L’Arche Perdue et faire la liaison entre Lucasfilm et la Paramount. L’un des premiers problèmes que rencontre Howard Kazanjian lors d’une réunion de production en janvier 1980, est lié à l’avion Flying Wing qui figure dans la scène où Indiana Jones affronte un gigantesque mécanicien nazi. Il n’existe alors plus qu’un seul prototype du Flying Wing développé pour la Seconde Guerre Mondiale, mais il est trop petit et ne vole pas. L’équipe du film doit donc créer un avion de toutes pièces, qui n’a pas à voler pour de vrai mais doit laisser penser qu’il le peut, tout en se déplaçant réellement. Le hic ? La construction de l’appareil coûterait un million de dollars et Kazanjian n’en a que 750 000… Le producteur se rappelle : « […] George a saisi [la maquette du] Flying Wing à quatre moteurs entre deux doigts, a dit : « C’est magnifique » – et cassa aussitôt deux des moteurs extérieurs, n’en laissant qu’un sur chaque aile. Steven a réagi en disant quelque chose comme : « Qu’est-ce que tu fais ? » Et George : « Ça a de l’allure comme ça. Combien pouvons-nous économiser, Howard ? » J’ai répondu : « Probablement 250 000 dollars. » Et il a dit : « Faites-le comme ça. » Tout le monde était choqué, moi y compris. Mais c’était la manière de George de trouver une réponse aux problèmes. »

George Lucas et Steven Spielberg à Beverly Hills, le 11 mars 1978 © Frank Edwards/Getty Images

Christopher Lee, Steven Spielberg et Toshiro Mifune sur le tournage de 1941, en 1979 © Peter Sorel/Universal

DANS LA CUISINE DE LUCASFILM

À la même période débute le casting, dans les quartiers généraux de Lucasfilm,  surnommés La Société des Œufs, pour que personne ne sache que la société de production de Star Wars s’y trouve. Si Harrison Ford est aussitôt envisagé par Spielberg, Lucas l’élimine d’office n’ayant pas réussi à lui faire signer de contrat pour les trois Star Wars et ne voulant pas former avec l’acteur un duo « à la Scorsese/De Niro ». Ils partent donc à la recherche d’une nouvelle tête. Pour mettre les acteurs à l’aise, Spielberg, que le processus de casting formel ennuie, a l’idée saugrenue de les recevoir dans la cuisine de Lucasfilm et de leur demander leur aide pour réaliser des biscuits ou des gâteaux… Tandis que d’autres membres de l’équipe, caméra au poing, capturent quelques plans des préparatifs. « Je voulais vraiment apprendre à cuisiner. Alors tous les acteurs reçus entre 9h et 13h aidaient en cuisine. Nous avons tout fait : de la charlotte au chocolat au pain à la citrouille maison. Ensuite, tous les acteurs qui venaient entre 14h et 19h aidaient à manger. Et la nouvelle s’est répandue […] Les acteurs appelaient leurs agents leur disant : « Je ne veux passer qu’après deux heures. » » Après un mois et demi de casting, les acteurs se présentent avec leurs recettes et leurs ingrédients ! Ont ainsi défilé plus de 300 comédiens, dont entre autres Jane Seymour, Debra Winger, Michelle Pfeiffer, Sam Shepard, David Hasselhoff… N’ayant toujours pas eu de coup de cœur, Frank Marshall et Steven Spielberg se rendent à New York pour y rencontrer des acteurs de théâtre. Dans la matinée, ils font la connaissance d’une certaine Karen Allen. Spielberg se rappelle : « Personne n’a pu tenir la distance, après elle. Nous ne faisions que répéter : « Pas aussi bien que Karen. » » Elle est invitée début avril 1980 à venir faire des essais de lecture à Los Angeles. Face à elle, une autre actrice arrive de New York : Sean Young (que l’on retrouvera face à Harrison Ford dans Blade Runner). « Nous avons fait un bout d’essai avec Tom Selleck et Sean Young et c’était vraiment très très bien. J’ai montré le test à George, et il a dit : « Oui, il ressemble parfaitement au dessin de Steranko. » Et c’était un sacrément bon acteur. » Pour Spielberg et Lucas, Selleck est l’interprète idéal.

Pour le rôle de Marion, en revanche quatre actrices (dont Debra Winger et Maureen Teefy) sont retenues. Ne réussissant pas à les départager en regardant les essais, il est décidé de faire un vote à main levée dans les bureaux de Lucasfilm. C’est Karen Allen qui l’emporte, c’est le cas de le dire, haut la main. Mi-avril, Tom Selleck et elle reçoivent leurs contrats. « C’était très mystérieux. […] Un messager est arrivé avec [le script du film]. Chaque page était marquée. Il reprenait chaque page après que je l’avais lue. Mais je suis tombée amoureuse de Marion ; c’est l’égal d’Indiana Jones. C’est un rôle sexy. » Le choix de Karen Allen influe beaucoup sur le rôle de Marion. Spielberg et elle en discutent longuement. Le 5e jet de Lawrence Kasdan datant du 25 avril 1980 inclut, à la demande de Spielberg, « plus de badinage entre Marion et Indy ». Y est ajouté le concours de boisson dans la taverne de Marion, et sont supprimées deux scènes majeures qui ne seront pas tout à fait perdues… : Shanghai, et une poursuite en chariot sur voie de chemin de fer… Kasdan se remémore : « Nous voulions tous que ce soit plus réaliste, en allant juste un petit peu au-delà de ce qui est crédible […]. La séquence dans laquelle Indy et Marion s’échappent alors que l’île explose et tous les Nazis sont tués – j’ai toujours détesté ça, parce que pour moi c’est la manière dont se termine tous les films de James Bond. » C’est finalement l’Arche elle-même qui détruit tout, y compris les Nazis -une fin qui convient beaucoup mieux au scénariste. Exit, donc, la course-poursuite qui devait avoir lieu après l’ouverture de l’Arche. Cette concession permet de faire de belles économies de budget et sert définitivement le film puisque l’Arche en devient le climax final.

Le 15 mai 1980, un mémo de Debbie Fine parvient à Spielberg : pour des raisons légales et pour éviter la confusion avec des personnes réelles, il faut modifier les noms de certains personnages. Ainsi, le prénom de Belloq, Émile, se transforme en René et le Colonel Schlieman devient le Colonel Dietrich. Le National Museum de Washington doit être appelé « un grand musée à Washington » et les acteurs devront toujours dire « Marcus Brody » ou « Marcus », mais jamais « Brody », car il existe un véritable Brody administrateur de musée. Le tournage est à quelques semaines de débuter. Malheureusement (?), Tom Selleck se désiste car le contrat qu’il a signé pour la série Magnum, relancée en catastrophe par CBS qui craint de perdre son acteur au profit du nouveau film du réalisateur de Star Wars, l’en empêche. La solution s’impose à Spielberg alors qu’il regarde un premier montage de L’Empire contre-attaque : « Il nous restait trois semaines pour trouver le rôle, et personne en vue. […] J’ai appelé George et je lui ai dit : « Il est juste sous nos yeux. » Et George a répondu : « Je sais de qui tu vas parler : Harrison Ford. » » Lucas appelle aussitôt l’acteur, lui propose le rôle du prochain Spielberg et lui annonce tout de go qu’il y aura trois films à faire, si le premier a du succès. À l’occasion d’une soirée chez Spielberg, l’acteur fait connaissance avec le réalisateur. « Steven était pétillant et passionné et il me semblait que ce serait vraiment amusant de travailler avec lui. Puis j’ai lu le script, et j’étais emballé par les deux : le script et le réalisateur. […] Un bon début, non ? » À la surprise de Lucas, le 15 juin 1980 Ford signe pour les trois films ! 

Harrison Ford rentre dans la galaxie George Lucas avec une courte apparition dans American Graffiti, en 1973 © Universal Pictures

Karen Allen fait l’une de ses premières apparitions sur grand écran dans American College de John Landis, en 1978 © Universal Pictures

Pour le rôle de René Belloq, l’antagoniste, Spielberg s’arrête sur Paul Freeman qui lui semble parfait. Il choisit ensuite Alfred Molina pour Satipo et Denholm Eliott, qu’il a toujours admiré, pour jouer Marcus Brody. Ronald Lacey, le Major Arnold Toht, est engagé bien qu’il ne ressemble pas du tout au personnage : c’est une photographie de l’acteur sur laquelle il ressemble à un croisement entre Peter Lorre et Vincent Price qui décide Spielberg. Pour le rôle de Sallah, le réalisateur souhaite engager Danny DeVito mais l’acteur travaille alors sur la série Taxi, et coûte bien trop cher. C’est donc John Rhys-Davies qui prend sa place. « Je suis allé voir Steven : « Sallah est décrit comme un excavateur maigrichon d’un mètre soixante. Maintenant, qu’est-ce que tu proposes. De la chirurgie ? » » Le budget des Aventuriers est désormais arrêté à 20 590 643 dollars et la Paramount accepte d’accorder 88 jours de tournage à Spielberg. Dans le plus grand secret, Lucas et lui se lancent un défi : boucler le film en 73 jours, pour économiser, bien sûr, et surtout savoir s’ils en sont capables. Tandis que Frank Marshall supervise les plateaux en Angleterre, en France, en Tunisie, se débattant avec les problèmes logistiques causés par les douanes, les langues, le transport des équipements et des équipes dans les trois pays simultanément, Steven Spielberg se rend à Londres pour préparer le tournage. Pendant le vol, il est accompagné d’Harrison Ford. Les deux hommes passent les dix heures de trajet à discuter du personnage d’Indiana Jones. « J’ai toujours imaginé le personnage d’Indiana Jones comme un vrai héros de cinéma à l’ancienne, un tombeur un peu mufle, un vrai voyou. Ce qu’Harrison a apporté au personnage, ç’a été de le sortir du moule à la James Bond.» La personnalité d’Harrison Ford influence également Deborah Nadoolman, la chef costumière, qui adapte le costume d’Indiana Jones pour mieux lui correspondre. Pour donner aux vestes de l’archéologue leur patine caractéristique, elle use dessus le couteau suisse de l’acteur, ainsi qu’une brosse en acier. Ses chaussures sont des chaussures de travail Red Wing, assouplies et vieillies. Quant au célèbre Fedora, il devait s’accorder au visage d’Harrison Ford et permettre à la lumière de transparaître. Le rebord ne devait donc pas être trop large. Une fois le bon chapeau trouvé, Nadoolman en achète dix, les roule, s’assoit dessus, demande à Ford de s’asseoir aussi et les salit autant qu’elle peut…  Lucas, de son côté, fignole les détails des storyboards avec l’équipe d’Industrial Light & Magic (ILM), la société d’effets spéciaux qu’il a créée pour le premier Star Wars. Edward Verreaux et David Negron dessinent en premier les scènes d’action. 

Dessin préparatoire de la costumière Deborah Nadoolman © Lucasfilm Ltd.

Un storyboard réalisé par les équipes d’ILM © Lucasfilm Ltd.

JOURNAL DE TOURNAGE : DE LA ROCHELLE À ELSTREE

Le tournage des Aventuriers débute le 19 juin 1980, à La Rochelle. Le port de la ville a été choisi lors des repérages par Robert Watts et Norman Reynolds car c’est là qu’est entreposé le U-Boat allemand construit pour le film et la série télévisée Das Boot, un bâtiment de béton impossible à déplacer qui servira de décor pour la base nazie. En arrivant sur place, Spielberg trouve Reynolds, en plein marasme : le bateau à vapeur « Abeer Delta », renommé « Bantu Wind » pour le film, et déniché à Belfast, abimé, rouillé, parfait pour le rôle, est bien là… Mais il a été repeint ! Il faut donc dépêcher en urgence une équipe de peintres à La Rochelle pour remettre le bateau en (mauvais) état au plus vite. En général, un tournage débute par les scènes les plus simples. Sur Indiana Jones, Spielberg écope de scènes avec une soixantaine de figurants ou de scènes en pleine mer – c’est la météo qui décidera. Le mauvais temps le contraint de filmer les scènes de la base allemande dans le sous-marin. Pour compliquer les choses, le service météo français se met en grève (!) Frank Marshall doit donc se lever à 4 heures du matin pour vérifier l’état de la mer avec les capitaines et équipages des bateaux sur le port… Le troisième jour, la mer est calme, l’équipe embarque et tourne toute la journée. Seulement le lendemain la houle monte, causant le heurt de deux embarcations, tandis qu’une partie de l’équipe, dont Lucas et Kazanjian, se voit terrassée par le mal de mer. Dernier jour de tournage sur le port : tout comme le soldat nazi avait improvisé quelques jours auparavant la scène du mégot de cigarette jeté dans la bouche d’aération où se cache Indy, John Rhys-Davies se lance soudain dans la petite danse réalisée par son personnage après le baiser de Marion. Ces plans marquent la fin du tournage à La Rochelle. Il est bouclé avec 15 minutes d’avance !

Début juillet 1980, l’équipe est de retour en Angleterre. Huit des neuf studios disponibles à Elstree sont utilisés par les plateaux. Le neuvième sert de site de construction et d’entrepôt. Spielberg consacre sept jours de tournage au temple péruvien qui apparaît dans la séquence d’ouverture. Dès le premier jour, Alfred Molina fait une réaction allergique à la fourrure des tarentules dont il est recouvert… Pourtant, les arachnides ne bougent pas suffisamment au goût de Spielberg. « Rien de plus normal », répond Mike Cullings, le responsable animalier, « ce ne sont que des mâles. Attendez que je place la femelle… » Molina se rappelle : « Alors il pose la femelle sur moi – et soudain c’est l’enfer sur terre. Ces araignées couraient, tombaient, se battaient – elles s’agitaient partout sur mon visage, et Steven répétait : « Filmez, filmez, filmez ! Alfred, prends l’air effrayé ! Prends l’air effrayé ! » Faites-moi confiance, j’étais terrifié. » Afin de rassurer son équipe, Spielberg fait poser une petite barrière en plexiglas aux pieds des comédiens pour contenir les araignées et éviter qu’elles ne se répandent partout. Ce qu’il ignore, c’est que les araignées peuvent sauter ou escalader le plexiglas… « Beaucoup d’entre elles se sont attaquées à l’équipe. Tout le monde a pris ses jambes à son cou… »

Comme si les bestioles terrifiantes ne suffisaient pas, la scène est compliquée par une variété d’effet physiques et d’effets spéciaux. La célèbre séquence du rocher qui roule, tournée plus de dix fois, est cause du premier dépassement budgétaire : à elle seule elle coûte 60 000 dollars, et nécessite une vingtaine de mètres de pellicule supplémentaire. Norman Reynolds est chargé de construire le rocher : « Bien que [la boule] était faite de fibre de verre, elle était très lourde, et pouvait faire beaucoup de dégâts. […] Je l’ai montrée à Steven, qui enchanté, m’a immédiatement demandé de la faire plus grosse encore ! » L’autre séquence mobilisant le savoir-faire de Kit West, le superviseur des effets spéciaux, est celle des fléchettes empoisonnées. Pour West, elle doit être réalisée à l’aide d’effets mécaniques, et non avec flèches imprimées par la suite sur l’image. Ce sont donc de véritables flèches – au bout caoutchouté, le sadisme de West a des limites – que Ford doit éviter tant bien que mal. Seulement elles vont si vite qu’elles sont à peine visibles à l’écran. Pour clarifier l’action, Spielberg ajoute quelques gros plans des flèches sortant du mur dans des nuages de poussière. Pendant les pauses, pas de repos pour Harrison Ford : il apprend le maniement du fouet sous la coupe du coordinateur des cascades, Glenn Randall, qui lui montre « comment ne pas se fouetter à mort ».

Harrison Ford et Steven Spielberg à La Rochelle, en juin 1980 © Lucasfilm Ltd.

En plateau aux studios d’Elstree, en juillet 1980 © Lucasfilm Ltd.

Lundi 14 juillet 1980 : l’heure est au tournage dans le Puits des Âmes, le décor le plus complexe du film s’élevant à 9 mètres du sol et ayant mobilisé plus de deux-cent personnes pendant six mois pour sa construction. Pour s’assurer de disposer d’un nombre suffisamment effrayant de serpents pour la scène, Norman Reynolds en a réservé plusieurs centaines auprès d’un spécialiste animalier avant même leur naissance. Une fois sur le plateau, il réalise qu’il n’y en a pas assez. « Nous avions, je crois, 3000 serpents, mais ils ne recouvraient pas le plateau. Il nous en fallait sept mille de plus pour que la scène fonctionne. »  Est-il utile de préciser que l’équipe n’était pas plus à l’aise en présence des reptiles que des araignées ? Le problème qu’ils rencontrent est différent, toutefois : pour les besoins de l’histoire, les serpents devaient avoir peur des flammes. Or c’est tout l’inverse : ils adorent le feu qui réchauffe leur sang froid ! Spielberg doit trouver rapidement une solution pour les faire fuir. Il demande alors à l’équipe qui s’occupe des inserts de venir filmer les serpents par petits groupes, en tentant de les faire reculer…  David Tomblin, le premier assistant réalisateur, se fait mordre par un python. Les reptiles réellement dangereux, les dix cobras, arrivent quelques jours plus tard. Frank Marshall se rappelle : « Tout le monde avait fini par s’habituer aux serpents. La tension était retombée. Hé bien elle est remontée à pic avec les cobras. Un python – celui qui essayait de mordre les gens – a mordu le cobra. Le cobra a tué le python. » Un problème majeur se pose : le sérum anti-venin qui devait leur être apporté, commandé deux mois auparavant en Angleterre, ne peut être livré. À l’hôpital, les réserves sont périmées. Le plateau est prêt pour la scène du cobra mais Spielberg hésite : faut-il tourner malgré le danger ? Le réalisateur choisit l’option de continuer de tourner avec des serpents non venimeux pendant que Frank Marshall tente désespérément et en catastrophe, de dénicher de l’anti-venin : un vrai film à suspense ! Il cherche à Paris, en Angleterre – et tombe sur la même personne qui leur a fait faux bond quelques jours auparavant -, auprès de l’Hôpital américain de l’Armée de l’Air et Maritime… L’anti-venin français arrive enfin. Il est périmé depuis deux ans. Il faut donc faire venir en urgence du sérum depuis… L’Inde !

Lundi 21 juillet, le tournage peut reprendre, avec près de 7000 serpents arrivés de Hollande, et le cobra. Deux infirmiers et une ambulance sont postés devant les studios pour soigner la moindre morsure. On installe cependant une vitre entre Harrison Ford et le cobra pour assurer la sécurité de l’acteur. Depuis le deuxième jour du tournage, à Londres, Michael Kahn, le monteur de Spielberg, travaille sur le film. « Je n’avais jamais autorisé personne à monter aucun de mes films pendant le tournage auparavant […] Pendant que je tournais la deuxième semaine du Puits des Âmes, Michael avait déjà réalisé un assemblage de la première semaine de travail. Je pouvais voir tout ce que j’avais tourné et faire les corrections ou les additions la deuxième semaine. C’était une aide visuelle remarquable. » Malgré la nette avancée du tournage, les producteurs des Aventuriers ne sont pas rassurés et Michael Eisner reçoit tous les dimanches un appel de son patron, Barry Diller, lui assurant de le virer lorsque le film sortira – car il n’y a aucune chance qu’il rapporte de l’argent !

Le Puits des Âmes en construction à Elstree, en 1980 © Lucasfilm Ltd.

7000 serpents de Hollande seront exportés à Elstree © Lucasfilm Ltd.

JOURNAL DE TOURNAGE : D’ELSTREE À TUNIS

Dès le premier jour sur le plateau de la Taverne Raven, Douglas Slocombe, le directeur photo choisi par Spielberg car il a déjà travaillé avec lui sur l’Édition Spéciale de Rencontres du Troisième Type et sait parfaitement retranscrire le style des années 30, est brûlé par une des machines à fumée. Sur le plateau se trouvent un expert en Népalais, soixante figurants pour le concours de boisson et un pompier prêt à intervenir. Il faut dire que le Plateau numéro 3 sur lequel ils sont a pris feu peu de temps auparavant lors du tournage de Shining… (C’est d’ailleurs ce qui a bouleversé le planning de tournage des Aventuriers, qui devait commencer dans les studios et non à La Rochelle.) Pour Karen Allen, cette scène est la plus excitante en tant qu’actrice. Spielberg la rejoint : il s’agit d’un tournant pour Marion. Pour le concours de boisson, le réalisateur décide au dernier moment d’installer les deux femmes autour d’une table et non d’un bar. Pour relever le rythme, il supprime le dialogue de Kasdan, quatorze pages de développement de personnages, dont Karen Allen et Harrison Ford ont déjà apporté des éléments dans les scènes précédentes. Du point de vue technique, le réalisateur utilise une caméra Louma (à télécommande sur une perche). Pour Karen Allen, le dispositif permet aux acteurs d’incarner le mouvement et le dialogue, de soutenir le rythme, plutôt que de dépendre du mouvement d’une caméra et des coupes pour créer la tension. Spielberg se rappelle : « Comme Karen était une actrice de théâtre, je sentais qu’elle pouvait habiter le personnage et l’amener très loin en une prise de cinq minutes […] »  La scène est effectivement tournée en une seule prise de quelques minutes.

Par la suite, le tournage ralentit puisqu’il s’agit des scènes de combat très chorégraphiées, à la manière d’une danse. Chaque percuteur simulant les impacts de balles possède un numéro différent, auquel est associé un numéro de plan. Plus le combat est joué lentement, plus les impacts des balles semblent rapides et orientés.  Spielberg est ravi : « Aujourd’hui j’ai tourné mon premier combat au pistolet. […] C’était vraiment amusant. » Le 11 août est le dernier jour de tournage dans la taverne. L’équipe enchaîne alors avec la scène où Indy et Marion se retrouvent dans la cabine du bateau. Spielberg modifie la fin de la séquence, dans laquelle Indiana Jones devait faire semblant de dormir pour s’attirer les faveurs de Marion, et conserve la réplique improvisée par Ford : « Le temps ne fait rien à l’affaire, c’est le kilométrage. » « Harrison Ford est en réalité un très bon écrivain, un écrivain « dans le placard » ; il en sort de temps en temps quand il a un souci avec le dialogue, et trouve de superbes et piquantes réparties. » C’est alors qu’une mauvaise nouvelle se répand : Robert Watts est à l’hôpital avec l’appendicite pour plusieurs semaines. Pour compliquer les choses, les affaires envoyées en Tunisie pour y continuer le tournage sont bloquées aux douanes. Frank Marshall doit donc s’y rendre pour remplacer Watts.

À Elstree, le tournage continue avec la scène entre Belloq et Marion, mais Paul Freeman, à qui Spielberg avait pourtant fait passer des tests en urgence avant le premier jour de tournage pour s’assurer qu’il puisse prendre l’accent français, rencontre certaines difficultés à le faire : « On dirait de l’espagnol, du mexicain… » Spielberg ne s’en formalise pas et annonce avec flegme que l’on réenregistrera les dialogues à Los Angeles. Il enchaîne avec les séquences de l’Université et du bureau de guerre aux États-Unis. C’est David Tomblin qui suggère un matin à Spielberg d’inscrire « I Love You » sur les paupières d’une étudiante d’Indiana Jones. Le réalisateur a maintenant plus de six jours d’avance sur le tournage. Reste à filmer l’ouverture de l’Arche. Richard Edlund intègre des ampoules de flash aux costumes des Nazis pour simuler les éclairs – par la suite animés par ILM – qui les traversent. Selon la suggestion de Debbie Fine, un rabbin rompu à l’usage de l’hébreux supervise la scène durant laquelle Belloq fait des incantations et rituels hébraïques. Freeman se rappelle : « Le problème pour les acteurs avec cette séquence finale, c’est qu’il fallait qu’on nous décrive chaque moment. Nous n’avions pas la moindre idée de ce qui se passait. […] J’ai passé un certain nombre de prises à crier, crier, et crier… Je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer. » On prépare le déplacement pour Tunis. La seconde équipe, qui a enfin récupéré les accessoires bloqués à la douane, commence à y tourner la séquence de la course-poursuite en camion.

Spielberg décide au dernier moment d’installer le concours de boisson autour d’une table © Lucasfilm Ltd.

Spielberg dirige les comédiens qui s’apprêtent à ouvrir l’Arche à Elstree, en 1980 © Lucasfilm Ltd.

JOURNAL DE TOURNAGE : INDY DANS LES VESTIGES DE TATOOINE

Le 30 août 1980, Spielberg, Lucas et Ford arrivent dans la ville de Nefta, en Tunisie, où Frank Marshall a installé les bureaux de production. C’est un pays qu’une partie de l’équipe connaît bien, pour y avoir filmé Star Wars. Le tournage doit commencer le lendemain sous un record de chaleur (54°C !) Pour la scène des fouilles de Tanis, 600 figurants sont mobilisés sur un plateau de 40 hectares. Des vacanciers Européens séjournant dans les parages sont engagés pour jouer les nazis. La route employée pour se rendre sur les lieux a été construite quatre ans auparavant pour Star Wars. Le département costume y transporte 100 uniformes nazis, tandis qu’un atelier local est chargé de produire les 500 djellabas nécessaires au tournage. On y achemine également les 42 véhicules créés spécialement pour le film, auxquels s’ajoute tout un bestiaire – chameaux, chevaux, ânes, chèvres, moutons… Et le fameux Flying Wing de plus de deux mètres, construit avec l’aide avec la société britannique de l’Aérospatial de Vickers. Tout ce qui est sur place, de l’électricité aux équipements sonores, doit être apporté par camion, bateau et avion : les coûts sont considérables. Ce jour-là, chaque membre de l’équipe de 150 personnes descend près de 7 litres d’eau en bouteille. Les 600 figurants seraient-ils mis de côté ? Spielberg s’en aperçoit en fin de matinée et fait venir en catastrophe un camion de pompier qui déverse les deux tiers de l’eau – brûlante car réchauffée dans la citerne – sur le sol, sans que personne ne puisse la boire. Excédé, le réalisateur s’assure qu’une telle bévue ne se reproduise pas.

Heureusement, l’entente entre Harrison Ford et Steven Spielberg est au beau fixe – une bonne chose, car Ford ne bénéficie que de deux jours de repos en deux mois. « L’interaction entre nos idées est stimulante. Je crée plus ou moins le personnage à partir des circonstances physiques dans lesquelles je me trouve, les personnes avec lesquelles je travaille. […] Il faut seulement inventer le comportement qui définit le personnage – et pour cela, le réalisateur et l’acteur travaille de concert. » Spielberg renchérit : « J’aime beaucoup plus le personnage d’Indiana Jones qu’auparavant, et c’est entièrement grâce à la contribution d’Harrison. […] Il apporte une délicatesse grossière à tout ce qu’il fait, une colère ingénieuse au personnage. D’une certaine façon, je pense qu’il était né pour jouer Indiana Jones. » Le 4 septembre, l’équipe, qui souffrait déjà d’insolation et de méchantes gueules de bois suite aux soirées endiablées autour de la piscine de l’hôtel commence à tomber sérieusement malade. Spielberg en réchappe, sans doute, dit-il, parce qu’il a déjà subi les méfaits des intoxications alimentaires lors de son second tour de reconnaissance en avril et a eu la présence d’esprit de venir avec l’équivalent d’un mois de provisions en boîtes de conserves qu’il entrepose dans sa chambre et dont il se nourrit exclusivement. C’est pourquoi il décide d’ajouter au planning ce jour-là la scène dans laquelle Sallah s’échappe du site de fouilles grâce au jeune officier nazi qui l’épargne (Martin Kreitt, un étudiant en vacances en Tunisie). Pourtant, John Rhys-Davies, lui, est au bord du malaise. « Je n’ai jamais été aussi malade sur un plateau… Je devais avoir plus de 40°C – j’étais en train de mourir. » Nous ajouterons simplement qu’après que l’acteur se soit penché vers son partenaire à la demande de Spielberg, un changement de costume s’est imposé… Le lendemain, c’est au tour de Karen Allen de se sentir mal. Ford et Lucas aussi. « Ce n’était pas inhabituel de voir soudain une personne de l’équipe, ou l’un des acteurs, lâcher tout ce qu’ils étaient en train de tenir pour filer vers les caravanes à n’importe quel instant. »

Les humains ne sont pas les seuls à être malades. Frank Marshall se rappelle : « Nous avions deux singes jumeaux, Snuff et Puff, en Tunisie. A son arrivée, Puff a fait une dépression nerveuse, on l’a donc placé dans le service psychiatrique de l’hôpital pour animaux de Tozeur. » Heureusement, Snuff prend la relève. La petite bête aura pourtant bien du mal à faire le salut nazi… Après quatre jours de nombreuses tentatives et avec beaucoup de patience on trouve la bonne technique : lui mettre des raisins au-dessus de la tête, pour qu’il tente de les attraper ! Dire que le plan aurait dû être bouclé en vingt minutes ! Malgré ces imprévus, Spielberg attaque enfin la séquence du Flying Wing. L’engin ne fonctionne pas comme désiré. Il roule même sur la jambe d’Harrison Ford ! Heureusement pour l’acteur cependant, la chaleur a fait fondre les pneus du mastodonte, lui évitant ainsi d’avoir les os brisés. Au lieu de partir se faire soigner, Ford fait bander sa jambe, place de la glace dessus, et reprend là où il avait été interrompu. Le combat est chorégraphié sur l’instant par Spielberg, Ford,et le coordinateur des cascades Vic Armstrong. Pat Roach, un cascadeur-lutteur-propriétaire de gymnase, interprète l’immense mécanicien nazi (et le gigantesque Sherpa dans la taverne Raven), mais pour ne rien faciliter pour la suite du tournage, tous les autres cascadeurs sont malades, si bien qu’il n’y a personne pour jouer le pilote du Flying Wing. En désespoir de cause, Spielberg demande à Frank Marshall d’enfiler le costume, et d’aller dans le cockpit. « [J’ai pensé] : « Oh, ça va être amusant ! ». Je ne savais pas qu’il allait falloir passer trois jours recouvert d’une combinaison, dans un cockpit où il faisait à peu près 60 degrés. Je soupçonne les cascadeurs d’avoir été volontairement malades ce jour-là ! »  Lorsqu’est filmée l’explosion du Flying Wing, tout se passe relativement bien, si ce n’est que les tuyaux servant à éteindre l’incendie se sont pris dans les flammes. Il a donc fallu étouffer le feu des tuyaux servant à l’éteindre !

Harrison Ford et Karen Allen en Tunisie, en 1980 © Lucasfilm Ltd.

Steven Spielberg face à Pat Roach © Lucasfilm Ltd.

En parallèle, la seconde équipe de Michael Moore en est à sa quatrième semaine de tournage sur la course poursuite en camion. Spielberg et lui avaient storyboardé la séquence entière à Los Angeles, avec près de 200 dessins, mais Moore fourmille de propositions nouvelles une fois sur place. Il faut dire qu’il s’agit de s’adapter : la scène devait à l’origine avoir lieu dans les montagnes, sauf qu’il n’y a pas de décor correspondant là où ils tournent… C’est une petite équipe d’une cinquantaine de personnes, dont la plupart sont cascadeurs (le coordinateur des cascades sur Star Wars, Peter Diamond, en fait partie) auquel on ne donne que le strict nécessaire : pas de caravanes, peu de parasols. Pour Spielberg, ils sont tout simplement « en première ligne ». L’expression n’est pas usurpée : le coordinateur des cascades, Glenn Randall, se retrouve dès le premier jour avec 7 points de sutures, le lendemain c’est un électricien, Mike O’Connell, qui est assommé par un morceau d’échafaudage tandis qu’en repérant les lieux de tournage, le cameraman Paul Beeson roule sur un pont de bois qui s’effondre sous ses pieds… La doublure d’Harrison Ford est jouée par Vic Armstrong, une idée de David Tomblin, qui n’a besoin de rien pour convaincre Spielberg de la ressemblance frappante du cascadeur avec l’acteur, puisque le réalisateur le prend tout simplement pour Ford lorsqu’il l’aperçoit de dos lors de leur première rencontre. 

Le 8 septembre, on tourne la grosse cascade créée par le légendaire Yakima Canutt pour La Chevauchée Fantastique (J. Ford, 1939), et améliorée la même année dans la série Zorro ses légionnaires, dans laquelle un personnage glisse sous les sabots des chevaux et les roues d’une carriole, pour grimper dessus par l’arrière. C’est le cascadeur Terry Leonard qui fait la suggestion de cette cascade à Spielberg, après avoir lu le déroulement de la séquence, frustré de s’être blessé en la réalisant dans Le Justicier solitaire (W. A. Fraker, 1981). Le réalisateur adore l’idée. La seule condition pour que Leonard réalise la cascade : que Glenn Randall conduise le camion. C’est en effet un travail de précision. Le conducteur ne doit pas aller trop vite pour ne pas faire vaciller le véhicule et balloter le cascadeur, qui risque alors à tout moment de passer sous les roues du véhicule… Ce jour-là, Michael Moore reproduit à l’identique sur pellicule la vignette de Zorro qui a inspiré Lucas depuis les balbutiements d’Indiana Jones… Lucas et Spielberg rejoignent la seconde équipe le 13 septembre, pour les gros plans (Indy trainé par le camion accroché à son fouet, ou assénant des coups aux nazis…) En fin d’après-midi, la première équipe part filmer le plan large de l’arrivée des camions sur le site de fouilles dans le soleil couchant. Un plan qui peut sembler mineur mais qui donne beaucoup de fil à retordre à Spielberg : « La première fois, un camion s’est arrêté juste au milieu du soleil. La deuxième, il s’est arrêté trop loin du soleil, donc je ne pouvais pas avoir le camion et les acteurs dans le même plan. La troisième, les chameaux étaient absents. La quatrième, les moutons s’en étaient allés, et la cinquième, le soleil était couché ! »

Le lendemain, Michael Moore est saisi de violentes convulsions et transporté d’urgence à Londres. Tomblin le suit de près. C’est l’hécatombe. Heureusement, Robert Watts est de retour, remis de son appendicectomie. Pour remplacer Tomblin, Spielberg demande de l’aide à Howard Kazanjian « Je me suis souvenu qu’il avait travaillé comme assistant réalisateur pour Sam Peckinpah. S’il a pu travailler pour Sam Peckinpah, il pourra sans aucun doute travailler avec moi. » C’est Frank Marshall qui remplace Michael Moore sur la course-poursuite et la termine en deux jours. Il aura fallu 23 jours de tournage pour ces 7 minutes de film… Mardi 16 septembre, c’est une équipe diminuée par la maladie qui se déplace à Kairouan (le « Petit Caire »). Pour préparer le panoramique du balcon de Sallah, le régisseur tunisien, Habib Chaari, passe une bonne partie de la journée à organiser le retrait des 350 antennes télévisées qui paraîtraient déplacées dans le décor des années 1930. Puis on s’occupe de la séquence de combat dans le marché, avec la mémorable scène du vilain au cimeterre. Pour Spielberg, le tournage est éprouvant car se faire comprendre de la foule de figurants n’est pas aisé  :  « Le résultat, c’est que je voulais tant partir de là que j’ai laissé tomber une bonne moitié de mes plans et j’ai juste filmé l’histoire. Pas de style, pas de fioriture, parce que je ne voulais pas rester un jour de plus. ». C’est pourquoi la scène est réalisée d’après le storyboard (dans sa rage, le méchant tranche sans le vouloir la viande d’un étal non loin de là, délestant le boucher de son travail), l’alternative préférée de George Lucas ; puis avec le fameux coup de feu qui écourte significativement la bataille – et le tournage : la solution préférée par Spielberg. (Les deux versions seront montées, et testées auprès public. Celle du réalisateur créant l’hilarité générale, c’est celle qui est conservée.)

S’ensuivent les scènes entre René Belloq et Marion, quand l’archéologue la retient captive sous sa tente. Spielberg écoute ses acteurs qui lui suggèrent une approche plus légère, et improvisent la plus grande partie des dialogues. À travers l’interprétation de Paul Freeman, Belloq devient sensiblement plus sympathique et civilisé qu’il n’était censé l’être dans le scénario original. Lorsqu’Arnold Toht (Ronald Lacey) pénètre dans la tente et semble sortir un appareil de torture s’avérant être un cintre, Spielberg reprend un gag qu’il destinait à l’origine à Christopher Lee dans 1941 (1979). Toht devait mourir dans la scène de la course-poursuite, mais il en est finalement décidé autrement, et il apparaît dans la scène tournée dans le Star Wars Canyon où Indy tient l’Arche d’Alliance dans le viseur de son bazooka. Ce passage, qui ne faisait que 4 croquis, en a finalement nécessité 24 tant il y avait de monde. Mais il est tourné très rapidement par Spielberg désireux d’en finir, qui se promène parmi les acteurs caméra à la main. Il enchaîne avec une scène coupée du montage final mais visible dans les bonus du film : Indiana Jones s’accrochant au périscope d’un sous-marin. La filmer n’est pas une sinécure, l’équipe devant pénétrer l’eau peu engageante à la surface de laquelle flottent ce qui ressemble à des poches d’urine pour se rendre sur le « plateau ». Le 22 septembre marque le dernier jour de Karen Allen. Spielberg prévient Robert Watts qu’il va finir le tournage un jour plus tôt. Watts doit donc organiser le transport de l’équipe vers Hawaï avec un jour d’avance. Le réalisateur filme alors les derniers plans : le camion qui quitte le Caire avec le panier supposé contenir Marion à son bord qui se retourne et explose. Pour Spielberg, ce plan final reflète parfaitement son désir le plus cher : « Sortez-moi de Tunisie ! »

Indiana Jones, dans le désert depuis trop longtemps © Lucasfilm Ltd.

Tournage de la fameuse séquence du Flying Wing © Lucasfilm Ltd.

JOURNAL DE TOURNAGE : UN AUTOMNE À HAWAÏ

À Hawaï, le tournage doit commencer le 30 septembre à 7h30. Otages d’une grève aérienne, Spielberg et son équipe n’arrivent que la vieille sur place. C’est donc complètement épuisés qu’ils se rendent sur les lieux quasiment inaccessibles des scènes d’ouverture à tourner, descendant des falaises abruptes dans lesquelles on vient de leur creuser un escalier (il leur est recommandé de porter des chaussures aux semelles de caoutchouc pour ne pas glisser sur les marches toutes neuves), tentant d’éviter les moustiques assoiffés de sang qui n’ont que faire des répulsifs dont ils s’aspergent. Spielberg se souvient : « Nous étions sous la canopée d’arbres, quand soudain, tout s’est assombri […] Je ne faisais que répéter à Dougie : « Je veux voir les yeux de tout le monde. Faisons comme un film d’aventure à l’ancienne. » » Plutôt que d’attendre les véritables rayons du soleil, Slocombe en reproduit l’effet lumineux avec des lampes à arc et l’on allume des fumigènes pour les souligner à l’image. Le 3 octobre 1980, l’équipe principale menée par Spielberg a bouclé le tournage avec 15 jours d’avance sur les 88 programmés par Paramount. Un défi que le réalisateur n’aurait sans doute pas remporté sans l’aide précieuse de David Tomblin et Douglas Slocombe. « Je n’ai jamais pris autant de plaisir à faire un film […] J’étais Indiana Jones derrière la caméra. J’avais besoin de ce film pour sortir d’une routine dans laquelle je m’étais embourbé, qui m’empêchait de terminer un plan tant qu’il ne ressemblait pas à cent pour cent à ce que j’attendais. Je pense que c’était suffisant pour ce que nous essayions de faire, et ça a été la leçon de cinéma la plus importante que j’ai apprise sur une production. » Tout n’est pas tout à fait terminé cependant. Pour faire un fondu sur l’ouverture du film (une idée qu’il reprendra dans chaque opus), Spielberg, revenu à Los Angeles, charge Robert Watts de trouver une montagne ressemblant au logo de la Paramount et envoie une seconde équipe la filmer. Cette équipe s’occupera également de réaliser les plans sur l’avion Waco de la première scène, qui s’était abîmé contre le rivage quelques jours auparavant mais est enfin réparé. Ford se rappelle : « Quand [Spielberg] a reçu les rush la semaine suivante, il m’a dit après les avoir regardés qu’il n’y avait qu’une bonne prise. J’ai dit : « Qu’est-ce que tu veux dire ? On a trois bonnes prises […] » « Hé bien, il n’y en a qu’une bonne, et les autres c’est juste toi en train de marteler la carcasse de l’avion, en disant [au pilote] qu’il exagère. » « Quoi ? » Il me répond : « Oui, tu tapes sur l’avion en lui hurlant dessus. » […] « Steven, c’était ça. C’était mon interprétation ! » » 

Spielberg, ou l’art du placement de produit © Lucasfilm Ltd.

La bande à Lucas et Spielberg à Hawaii © Lucasfilm Ltd.

COMMENT OUVRIR UNE ARCHE ?

Au retour des aventuriers globe-trotteurs, c’est au tour de deux des bureaux prêts à toutes les inventions pour le bien du film de mettre leurs compétences à profit. Les Aventuriers de l’Arche Perdue est le premier projet externe à Lucasfilm sur lequel travaille Industrial Light & Magic. Entre le 1er juin et le 27 septembre, ILM a déjà dépensé plus de 400 000 dollars en dessins, caméras, optiques, vérification de film, matte paintings (décor peint sur une plaque de verre placée devant la caméra) et animation. Plus de 80 scènes comportent des effets spéciaux physiques et numériques ajoutés : l’île repaire des nazis, réalisée en matte painting puisque le bateau qui doit emmener l’équipe sur place est non seulement trop petit pour l’accommoder entièrement, mais ne démarre pas ; le livre dans lequel on aperçoit le pouvoir dévastateur de l’Arche est créé par ILM ; les plans extérieurs du sous-marin, pour lesquels on rhabille une maquette de sous-marin japonais employé par Spielberg dans 1941, sur laquelle est accrochée une figurine d’Indiana Jones… Pour la scène finale de l’archivage du coffre renfermant l’Arche d’Alliance, on crée un matte painting, qu’on surimprime sur une maquette de plusieurs caisses. Selon Spielberg, il s’agit sans doute de l’une des scènes les plus longues durant laquelle on voit un matte painting au cinéma !

Reste pourtant à réaliser le plus gros défi : la séquence de l’ouverture de l’Arche. Tout comme les acteurs jouaient dans le vide, les artistes et ingénieurs ne possèdent que quelques storyboards de la scène et l’indication qu’il y doit y avoir des fantômes et des flammes. C’est Richard Edlund, directeur de la photographie multi-effets, qui est en charge de la scène. Il se rappelle : « George m’a dit : « Lis la séquence finale. » À ce moment-là, tout ce que ça disait c’était : « Ils ouvrent la boîte, l’enfer se déchaîne » et le plan suivant, Indy embrassait Marion. » Il lui faut montrer « la colère de Dieu » d’une manière organique et biblique. « Cela signifie que nous devons détourner ce qui est accepté comme étant naturel et réel pour le rendre différent, mais pas étrangement différent. » Edlund engage un animateur qui travaille sur la séquence des fantômes pendant des mois. Malheureusement le résultat final n’est pas à la hauteur de ses attentes et il reste si peu de temps avant la fin de la post-production qu’ILM envisage sérieusement de déléguer la tâche. C’est Steve Gawley, concepteur de maquettes, qui a l’idée de génie pour obtenir les fantômes fluides et tourbillonnants souhaités par Spielberg et Lucas : utiliser une poupée de soie, avec une tête sculptée. « Nous avions un gros aquarium à nuages rempli d’eau, nous filmions à travers la paroi de verre – sur l’autre se trouvait un fond bleu. J’étais suspendu au-dessus de l’eau, et jouais aux marionnettes avec un certain nombre de ces fantômes, allant et venant, d’un côté et de l’autre, de bas en haut. […] Les poupées avaient cette capacité à remuer l’eau et les éléments autour d’elles de manière légère et fluide. » Bruce Nicholson, le superviseur de la photographie optique n’a plus qu’à intégrer ensuite les plans tournés au film. Reste encore à réaliser le visage du fantôme, qui, de belle femme, se transforme en squelette hurlant filant droit sur le spectateur. Ils habillent de soie l’actrice Greta Hicks, l’installent sur un trapèze, puis la projette loin de la caméra. En passant le film à l’envers, il semble qu’elle arrive à toute vitesse dessus.

Autre challenge, et pas des moindres : la tête de Toht qui explose. On recrée celle de Ronald Lacey en alginate dentaire, le produit employé par les dentistes pour mouler les dents, que l’on garnit de bouts de viande et de foie. En chauffant la texture à l’aide d’une lampe, elle fond naturellement. Pour accélérer l’effet de liquéfaction, la séquence est tournée à une image seconde. ILM ajoute toutefois une colonne de feu pour diminuer l’effet gore de la scène et éviter le classement R (interdit aux moins de 17 non accompagnés). C’est également à ILM que l’on tourne certaines séquences comme celle du China Clipper, l’avion PanAm dans lequel embarque Indiana Jones (Solent IV de son vrai nom, qui a été construit par Howard Hughes) et certains raccords de scènes.  En janvier 1981, une partie du plateau de l’ouverture de l’Arche est reconstruite à l’aide de morceaux de décor récupérés par Richard Edlund à Elstree pour y tourner les gros plans avec vingt figurants locaux jouant les nazis et Harrison Ford et Karen Allen, filmés sur fond bleu. Afin de créer les effets de nuages désirés, les techniciens mélangent des liquides colorés dans un aquarium, puis les déplacent à l’aide d’un bras pneumatique. On monte également une réplique miniature du plateau, remplie de poupées Ken habillées en nazis qui sont aspergées de kérosène, puis enflammées et lancées en l’air… Et voilà réalisée la séquence au ralenti des nazis tourbillonnants et se consumant !

Belloq subjugué par la puissance de l’Arche © Lucasfilm Ltd.

« Ils ouvrent la boîte, l’enfer se déchaîne. » © Lucasfilm Ltd.

RECRÉER LE SON DU DANGER

Au moment où le tournage est définitivement bouclé avec la scène finale du film tournée à la mairie de San Francisco, l’enregistrement des dialogues additionnels se termine lui aussi. Même Spielberg donne de sa personne : « J’ai perdu ma voix avec Harrison l’autre jour à essayer de faire des cris et des hurlements pour le film. Nous étions tous les deux sur le microphone à faire : « Aah ! Ooh ! Aah ! » ». » Le film étant dans la boîte, c’est à Michael Kahn d’en finir l’agencement en lui insufflant son rythme. « Il y a beaucoup de petits trucs pour influencer le public. Parfois c’est juste une petite touche, une mesure différente. Ou une mesure de trop. Tout cela est très délicat, et cela affecte psychologiquement le public. » Kahn monte sous la supervision de George Lucas. C’est néanmoins Spielberg qui a le final cut. « Je peux tout modifier de nouveau si je n’aime pas ce que George fait du film. […] Mais j’aime toujours ce que George fait. » Lors des projections test, le réalisateur enregistre les réactions du public sur cassette, puis les écoute pendant ses trajets en voiture, s’appuyant dessus pour monter le film de la manière la plus efficace possible. La musique est indissociable du montage pour Spielberg : il passe du classique aux acteurs sur le plateau pour les aider à trouver l’émotion juste et préfère monter le film en fonction de la musique et non l’inverse. L’enregistrement de la bande originale par l’Orchestre du London Symphony commence donc aux Anvil Abbey Road Screensound Ltd. Studios sous la houlette de John Williams. La collaboration entre Williams et Spielberg commencée en 1973, est déjà couronnée de succès : Williams a remporté l’Oscar de la Meilleure Musique de Film pour Les Dents de la Mer et y a été nommé pour Rencontres du Troisième Type. Les deux hommes s’épaulent et se complètent. Il n’est pas rare que le réalisateur indique au compositeur le tempo qu’il attend dans chaque scène. Sur 110 minutes de film, 80 seront mises en musique. Quatre thèmes principaux se répètent : « L’Arche : c’est un thème religieux, orchestre et chœur, mais les deux se fondent en un seul son : vous n’entendrez pas le chœur. Le thème d’Indiana Jones, c’est l’héroïsme. Le thème de Marion est un thème amoureux. Celui des méchants, les Nazis, etc. sombre.»

Si la musique d’Indiana Jones est désormais aussi célèbre que le film, comment parler de Star Wars, et, a fortiori d’Indiana Jones, sans mentionner leur génialissime ingénieur du son Ben Burtt auquel on doit les effets sonores les plus emblématiques de ces sagas ? Sur Les Aventuriers, il partage avec Richard L. Anderson le travail de monteur des effets sonores. C’est à eux que revient la tâche ardue de trouver le bruit de la pierre qui manque d’écraser Indiana Jones dans la séquence d’ouverture : il leur faut un son lourd, qui reflète l’accélération.  Les deux hommes pensent d’abord au bruit d’une balle de bowling, mais il est trop identifiable. Ils se rendent au ranch de George Lucas (le futur Skywalker Ranch), font mille essais…  Mais c’est au moment de rentrer chez lui, alors qu’il roule au volant de sa Honda Civic sur une petite route poussiéreuse pavée de larges pierres, que Ben Burtt entend un son intéressant. Il coupe alors le moteur, et descend en roue libre le long de la route. Le bruit des pierres concassées par la Honda l’interpelle. Burtt accroche un petit microphone près des roues arrières de la voiture, puis démarre, prenant une telle vitesse que la voiture manque de se renverser. En ralentissant un peu l’enregistrement, et en boostant les fréquences basses, le son de la pierre est trouvé ! La séquence d’ouverture est autrement très silencieuse, à l’exception du bruit des mécanismes qui se mettent en route, que Ben Burtt réalise en capturant tout simplement le son d’une porte de garage. La plupart des effets sonores du film sont ainsi créés : à partir de rien.  Pour les serpents, par exemple, comme les reptiles ne font en réalité pas beaucoup de bruit, Ben Burtt enregistre le ragoût au fromage de sa femme dans lequel il fait courir ses doigts. « Cela fait un bruit huileux de bouillie. » En mixant ce son-là avec, notamment, le bruit d’éponges humide passées sur le dessus d’un skateboard, il obtient celui de serpents visqueux.

Après plusieurs expérimentations infructueuses, Ben Burtt décide que le son du couvercle que l’on retire de l’Arche, sera celui de la chasse d’eau de ses WC, qu’il fait glisser. Quand l’Arche se referme, c’est cette fois le claquement de la cuvette des toilettes que l’on entend. « Quand nous avons refait la salle de bains, j’ai récupéré la lunette. Je ne pouvais pas jeter le couvercle de l’Arche ! » Le hululement des esprits est un mélange de cris d’animaux (dauphins, lions de mer…) et de vocalises humaines – des bruits que Ben Burtt avait créés pour Alien (1979) mais qui n’avaient pas été employés par Ridley Scott. Il reprend également le son des éclairs et étincelles à partir d’enregistrements qu’il avait faits des appareils ayant servi à bruiter les films de Frankenstein ! C’est Burtt également qui crée tout le répertoire de sons pour les bagarres, en cognant notamment une pile de vestes en cuir avec une batte de baseball. Il est assisté par Gary Summers qui a appris le maniement du fouet d’Harrison Ford lui-même pour pouvoir enregistrer les sons d’un fouet emprunté au département des costumes. Afin de trouver un son vraiment original correspondant à ce qu’il a en tête, Burtt va jusqu’à mêler le bruit d’un fouet qu’on claque avec celui d’un vaisseau spatial. Pour enregistrer le bruit des armes, Ben Burtt fait livrer tout un arsenal au Ranch. « […] On a essayé tous les styles de pistolets, à blanc ou avec de vraies cartouches, pour obtenir le son des balles qui ricochent. […] Nous avions oublié d’en parler au personnel du ranch. Ils sont partis en catastrophe au volant de leurs voitures, en pensant qu’ils allaient tomber sur des terroristes, ou quelque chose de ce genre. » Pendant ce temps, Richard Anderson s’occupe des effets enregistrés en studio, en regardant le film. Pour le bruit des torches dans le Puits des Âmes, il crée une mixture de benzène et de colle au caoutchouc qu’il fait bouillir. Seulement alors qu’il enregistre, le liquide déborde, goutte sur son pantalon et l’enflamme ! Tout le monde se met à hurler, on jette une couverture sur Anderson dont les lunettes s’envolent, on le fait rouler par terre, on l’arrose avec un extincteur. Burtt a précieusement conservé la cassette, malicieusement intitulée : « Richard Anderson en feu. » 

Ben Burtt et Richard L. Anderson enregistrent la voix de Chewbacca, vers le milieu des années 70 © DR

Steven Spielberg et Michael Kahn au début des années 80 © DreamWorks Archives

LES AVENTURIERS À LA UNE

A quelques semaines de l’été 1981, l’heure est à la promotion du film du côté des équipes marketing. Lucas a une idée pour la bande-annonce : on y voit l’arche s’ouvrir, puis apparaît le titre du film : « Prochainement : Les Aventuriers de l’Arche Perdue. » Elle n’est pas du goût de la Paramount, qui décide de la tester sur le public du Grauman’s Chinese Theatre à Los Angeles. Frank Marshall se rappelle : « […] Les titres de films à succès ne sont pas populaires avant qu’ils ne deviennent célèbres. Avec Les Aventuriers de l’Arche Perdue, les gens disaient : « Mais, qu’est-ce qu’une Arche ? Qu’est-ce qu’un Aventurier ? » » Lors de la diffusion du trailer, trop artistique, les gens sortent de la salle. On en tourne donc un nouveau et l’original ne fut plus jamais présenté. En mai 1981, des projections presse sont organisées. Après avoir vu le film, Newsweek choisit d’en faire sa couverture du 8 juin 1981, quand le Time publie un supplément de trois pages à la même date. Pourtant, Les Aventuriers de l’Arche Perdue passent sensiblement sous les radars des critiques les plus avertis tant la production a été discrète. Les gens n’ont pas d’attente par rapport au film, ce qui contribuera sans doute à son succès. David Koepp, scénariste et réalisateur qui a collaboré à quelques-uns des plus gros succès des années 90 se rappelle : « J’avais dix-huit ans. Je suis allé à Milwaukee pour voir un film qui était complet mais ils passaient Les Aventuriers de l’Arche Perdue, un film dont je n’avais jamais entendu parler. On s’est dit : « Allons voir plutôt le film avec le titre rigolo ! » » La stratégie publicitaire est donc à la sobriété. 7 petits millions de dollars sont dépensés pour la promotion du film, lancée quelques semaines seulement avant sa sortie. Une publicité d’une page entière est réalisée par Richard Amsel et on trouve dans les rayons quelques produits dérivés : livres, jeu de société, cartes à collectionner, habits, montres – mais pas de jouets, car les personnages ne semblent pas en adéquation avec ce type de support. Peu avant la sortie du film, la chaîne PBS diffuse des images du tournage des Aventuriers filmées par Phillip Schuman sur une idée de George Lucas, un documentaire de 60 minutes intitulé The Making of Raiders of the Lost Ark, qui remporte un Emmy Award en 1982.

Spielberg, Melissa Mathisson et son mari Harrison Ford, en 1981 © Corbis

Une partie de l’équipe du film à l’avant-première anglaise, en juillet 1981 © DR

Bien qu’il lui en coûte 148 000$, Paramount décide d’avancer stratégiquement la sortie du film au 12 juin 1981, soit une semaine avant la date prévue, pour lui éviter de se retrouver en compétition avec son concurrent direct : Superman II (R. Lester). Le jour de sa sortie américaine dans 1078 cinémas, Lucas et Spielberg, fidèles à leur habitude, se retrouvent à Hawaï et attendent le verdict en construisant leur château de sable porte-bonheur. Il a dû tenir, celui-là ! Si quelques critiques négatives émergent, faisant écho à Pauline Kael du New Yorker pour qui le film est « impersonnel » et soulignant l’absurdité et le manque de profondeur du film (David Denby du New York Magazine : « Il y a beaucoup de drôlerie et d’action, dans ce film, mais il n’en reste pas grand-chose en sortant de la salle »), les retours sont pour la plupart dithyrambiques. Janet Maslin, la redoutable critique du New York Times aurait vu le film trois fois ! Pour Michael Sragow de Rolling Stone, Les Aventuriers sont « […] l’ultime série d’action du samedi matin – un film si excitant, si drôle, qu’il peut être regardé avec plaisir n’importe quel jour de la semaine. » Malgré cela, le premier week-end d’exploitation ne rapporte que 8,3 millions de dollars, soit 3 millions de moins qu’espéré. Pourtant, durant les semaines suivantes, la fréquentation augmente significativement, nourrie par un bouche-à-oreille enthousiaste. À la fin de l’été, Les Aventuriers de l’Arche Perdue dépasse en fréquentation Superman II, qu’il poursuivait. Le 5 octobre 1981, le film devient officiellement le plus gros succès de la Paramount devant Grease (réalisé par un ancien camarade de fac de George Lucas, Randall Kleiser, en 1978), en remportant plus de 135 millions de dollars. Il passe toujours dans 621 cinémas. Le 7 avril 1982, il est le quatrième film le plus rentable de l’histoire du cinéma derrière Star Wars : Un Nouvel espoir, Les Dents de la Mer, et L’Empire contre-attaque (I. Kershner, 1980). Les Aventuriers révolutionne ainsi le genre du cinéma d’aventure, à travers sa mécanique d’action frénétique et ses péripéties infinies. Une formule que l’on retrouve dans les trois autres films du classement, portant tous la patte de George Lucas et Steven Spielberg. Les deux hommes ouvrent ainsi une décennie de cinéma de divertissement pur, axé sur les émotions et les sensations.  

Les Aventuriers de l’Arche Perdue est nommé aux Oscar cette même année dans quatre catégories majeures (Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleure Photographie, Meilleure Musique Originale), et en remporte quatre autres : Meilleure Direction Artistique, Meilleur montage, Meilleur son, Meilleurs Effets Visuels, avec un Oscar pour une performance spéciale pour les Effets Sonores revenant à Ben Burtt et Richard L. Anderson. Il n’y a pas que dans le milieu professionnel que le film fait sensation : en couverture de dizaines de magazines, il sort dans le monde entier – au Japon, c’est un succès phénoménal, et Spielberg et Lucas font les premières pages des magazines pour illustrer le film tant ils y sont célèbres. Le film est parodié, transformé en comic book, en jeu vidéo (ce sera le premier film adapté sur ce médium !) L’éventualité d’une suite n’est donc plus une utopie et les studios s’empressent de décliner la formule d’un genre ressuscité. Indiana Jones devient l’archétype moderne de l’aventurier, tous les prochains héros d’aventure se construiront en référence ou en opposition à lui – Michael Douglas dans le diptyque A la poursuite du diamant vert/Le Diamant du Nil (1984-1985), Richard Chamberlain dans la saga Allan Quatermain (1985-1986), Brendan Fraser dans le reboot de La Momie (1999-2008) ou encore Nicolas Cage endossant par deux fois le costume de l’historien et chasseur de trésors Benjamin Gates (2004-2007). En 1999 c’est la consécration : Les Aventuriers de l’Arche Perdue est ajouté au Registre National des films par la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, où les films sont retenus pour leur « importance culturelle, historique, ou esthétique ». C’est le seul Indiana Jones à y figurer.  Quelques années plus tard, dans un classement du magazine anglais Empire de 2015, Indiana Jones est sacré héros préféré du cinéma devant James Bond ! Il faut dire que l’identification au héros intrépide, courageux est facilitée par son humanité – sa phobie, sa maladresse, son côté enfantin – qui le rend facile à lire et attachant… Quarante ans après sa naissance, Indy a définitivement assis son statut d’icône populaire. C’est la raison pour laquelle il reprendra très prochainement du service, pour le meilleur – ou pour le pire… ?  Alors pourquoi ne pas réviser ses classiques et revisiter la naissance du mythe, une valeur sûre ? Il s’agit d’être fins prêts pour la sortie d’Indiana Jones 5, le 27 juillet 2022.

Les Aventuriers de l’arche perdue (Raiders of the Lost Ark, 1981 – États-Unis) ; Réalisation : Steven Spielberg. Scénario : Lawrence Kasdan d’après une histoire de George Lucas et Philip Kaufman. Avec : Harrison Ford, Karen Allen, Paul Freeman, Ronald Lacey, John Rhys-Davies, Denholm Elliott, Alfred Molina, Wolf Kahler, Anthony Higgins, Vic Tablian, Don Follows, William Hootkins, Bill Reimbold, Fred Sorenson, Patrick Durkin, Matthew Scurfield, Malcolm Weaver, Sonny Caldinez, Anthony Chinn, Pat Roach, Christopher Frederick, Tutte Lemkow, Ishaq Bux, Kiran Shah, Souad Messaoudi, Terry Richards, Steve Hanson, Frank Marshall Martin Kreidt, George Harris, Eddie Tagoe, John Rees, Tony Vogel et Ted Grossman. Chef opérateur : Douglas Slocombe. Musique : John Williams. Production : Howard G. Kazanjian, George Lucas, Frank Marshall et Robert Watts – Paramount Pictures et Lucasfilm Ltd. Format : 2.39:1. Durée : 115 minutes.

En salle le 12 juin aux États-Unis et le 16 septembre 1981 en France.  

Copyright illustration en couverture : Matt Ferguson.