John Carpenter, un cowboy solitaire à Hollywood

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En 1978 sort Halloween, la nuit des masques, un petit film d’horreur budgété à l’époque à 300 000 dollars. Qui aurait cru que cette oeuvre reléguée au rang de série B (voire Z pour une certaine partie de la critique) deviendrait un succès sans précédent, au point accéder au statut de film culte ? Il faudra retenir un nom sur l’affiche : John Carpenter. Le réalisateur, considéré comme un auteur en Europe, encore sous-estimé aux États-Unis, a réussi à mener une carrière prolifique, ponctuée de hauts et de bas, sans concession stylistique aucune.

John a réussi à me convaincre de faire précéder le titre du film de son nom ! Pour quelqu’un d’aussi peu célèbre, c’était gonflé ! 
Irwin Yablans

Producteur

LES PREMIERS FILMS

John Carpenter est avant tout un cinéphile passionné par les films de genre, du western à l’horreur en passant par la science-fiction. Jeune homme, il avait pour habitude de se réfugier dans les salles obscures, s’imprégnant des heures durant de la programmation, quelle qu’en soit la qualité, du plus artistique au plus médiocre. S’il fallait cependant retenir un film à l’origine de sa vocation, ce serait bien Planète Interdite (1956) de Fred M. Wilcox qui fut son premier choc cinématographique. Mentionnons également son engouement sincère pour les productions estampillées Roger Corman, prince de la série B fauchée. C’est à partir de 1959 que l’envie prend au jeune Carpenter d’intégrer les rangs de la grande famille du cinéma alors qu’il vient à peine de découvrir Rio Bravo de John Ford. D’une simple passion s’apprêtait à éclore une prolifique carrière. John Carpenter, encore inconscient du « système mis en place derrière tout ça » n’en soupçonne  pas moins que « quelque chose d’énorme se tramait là-dessous » et qu’il devait en faire partie par tous les moyens. Son père lui offre donc une petite caméra avec laquelle le jeune homme essaie tant bien que mal de mettre ses idées en images. Le résultat, à l’en croire, ne se révéla que bien peu concluant. Reste qu’un cinéaste venait de naître.

© DR

Dans les années 70, John Carpenter intègre la prestigieuse école de cinéma de l’Université de Californie du Sud (USC), véritable vivier de talents (Georges Lucas, Robert Zemeckis ou encore Ron Howard y firent leurs premières armes). La décennie démarre pour lui sur les chapeaux de roue avec une participation au scénario de The Resurrection of Broncho Billy, court-métrage récompensé par un Oscar. Cette distinction lui permettra de décrocher pas moins de 6000 dollars, une somme qui lui servira de tremplin professionnel pour financer son futur film. Dans ce court métrage, John Carpenter cumule également les postes de monteur et de compositeur. Cette double casquette constituera par la suite ce qui deviendra sa « patte ». Il faut attendre 1974 pour que son premier film, Dark Star, voie le jour.  Le jeune réalisateur n’est alors âgé que de vingt-cinq ans. Son film de science-fiction n’aurait dû être qu’un simple court-métrage avant qu’un entrepreneur, Jack H. Harris, ne lui propose de le sortir en circuit commercial. John se débrouille donc pour tourner d’autres séquences sans le consentement de l’USC, propriétaire du film.

Les ennuis judiciaires bloqueront malheureusement la sortie du film. Il faudra alors attendre l’intervention de la BBC qui souhaite le diffuser pour que Dark Star fasse enfin son apparition à l’écran ! John Carpenter envisage ensuite sa prochaine réalisation, Assaut qu’il considère comme son premier film professionnel. Le long-métrage fourmille de gimmicks qui permettront d’identifier clairement son style tout au long de sa carrière. Mais c’est avant tout avec cette oeuvre que le cinéphile se réapproprie le mythe de Rio Bravo. Derrière les influences et l’ancrage de la série B, le film dégage une vision de la violence urbaine relativement sinistre, ce qui ne l’empêche pas de remporter un franc succès critique.

Je voulais faire depuis longtemps un film effrayant et c’est psychose qui m’a donné envie de faire Halloween. J’ai simplement ajouté au film d’Hitchcock une dimension surnaturelle en faisant du tueur masqué une incarnation du mal.
John Carpenter

Réalisateur

L’AUTEUR DE SLASHER

1978 marque l’émergence d’un boogeyman voué à devenir célèbre, le légendaire Michael Myers. En cinéphile obsessionnel, John Carpenter s’inspire du Psychose d’Alfred Hitchcock pour créer Halloween, qu’il qualifie d’œuvre « pure ». Il ne lui faudra seulement qu’une petite semaine pour en écrire le scénario aux côtés de sa compagne, Debra Hill (également productrice). Le film s’intitule à l’époque The Baby Sitter’s Murders, loin de la référence directe à une fête très populaire aux États-Unis. Le film est produit par Mustapha Akkad pour la modique somme de 32 5000 dollars. A sa sortie en salle le 25 septembre 1978, le public américain lui accorde un accueil favorable. Le retour de la presse, quant à lui, s’avère désastreux. Le film récolte 18,5 millions de dollars et devient à l’époque le plus gros succès du cinéma indépendant. Halloween est considéré aujourd’hui comme une œuvre majeure et la référence ultime du slasher movie.

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Pour bien comprendre la force de ce film, il faut le replacer dans son contexte. Nous sommes au début des années 70. Le relâchement de la censure permet à des auteurs plus ou moins chevronnés (Wes Craven ou encore George A. Romero) d’accorder davantage d’exubérance et de surenchère graphique dans leurs mises en scène. Les spectateurs découvrent alors à l’écran des personnages hors-normes pour ne pas dire radicaux, les psychopathes puisqu’il faut bien appeler un chat. Cerise sur le gâteau, ces personnages, devenus aujourd’hui des archétypes, bénéficient d’un luxe de détails inédits dans leur écriture. Les adolescents, quant à eux, occupent une place centrale dans ces films qui dépeignent la société américaine comme jamais. Loin des révoltes post-pubères de James Dean, nous avons affaire à des êtres pleinement sexués multipliant les expériences et les partenaires. Il n’est donc pas étonnant de voir le thriller s’épanouir à l’époque, histoire de « punir » quelques adolescents bien trop libidineux. John Carpenter, lui, s’empare avec brio du sujet pour châtier comme il l’entend cette jeunesse libertine, en créant une incarnation du légendaire croque-mitaine, Michael Myers. A la frontière entre le thriller classique et le film d’horreur, le cinéaste donne ainsi naissance au sacro-saint slasher. Halloween aura droit par la suite à de nombreuses suites plus ou moins réussies. Quoiqu’il en soit, John Carpenter méritera à juste titre ses lettres de noblesse dans la catégorie. Mais c’est surtout avec ce film que le réalisateur démontre son talent pour la composition musicale. En effet, la musique dicte à John Carpenter le rythme de chacun de ses films. Le cinéaste se prétend modeste musicien, incapable, à l’en croire, de « lire ou de coucher une note sur une portée ». Que dire alors quand un compositeur comme Hans Zimmer porte aux nues le travail minimaliste de John Carpenter ?
John avait une idée très précise du style musical bien avant le tournage. Avant même l’écriture du scénario, il m’a joué le thème principal au piano. A partir de ces quelques notes, nous avons commencé à imaginer des scènes effrayantes, depuis de longues ballades dans les contre-allées jusqu’au paroxysme de la tension.
Debra Hill

Scénariste

Halloween, c’est aussi la découverte d’une jeune actrice, Jamie Lee Curtis, fille du célèbre couple formé par Tony Curtis et Janet Leigh, actrice principale d’un certain film nommé… Pyschose. L’alchimie entre la comédienne et le maître fonctionne si bien que la prochaine production cinématographique du maître se fera avec cette-dernière. Carpenter fait ensuite un passage éclair à la télévision en adaptant la vie d’Elvis Presley qui ne laissera qu’un vague souvenir dans sa filmographie. Le tournage lui permettra cependant de faire connaissance avec son futur acteur fétiche, Kurt Russell.

LE REBELLE

En 1980, John Carpenter poursuit son hommage aux films d’Alfred Hitchcock avec Fog. Le film s’inspire d’une légende d’après laquelle des victimes d’un naufrage reviennent des profondeurs pour se venger des vivants une fois le brouillard levé. Le cinéaste prend ici le temps d’installer une atmosphère si particulière grâce à une mise en scène tirée au cordeau. Le film rencontre un certain succès tout en restant mineur dans l’ensemble de sa carrière. C’est également cette production qui va permettre au réalisateur de développer son projet de western post-apocalyptique mené par l’iconique Snake Plissken qu’interprète Kurt Russell. Nous sommes alors en 1981. New York 1997 s’apprête à devenir l’œuvre la plus marquante de sa filmographie, mais également la plus personnelle tant elle résonne comme une déclaration d’amour parfaite au cinéma. On y suit l’histoire d’un prisonnier, le fameux Plissken, qui est envoyé sur l’île de Manhattan, devenue une immense prison où sont regroupés les détenus les plus dangereux, afin de retrouver le président américain retenu en otage.

© Kim Gottlieb-Walker/Mark Groseclose
Kurt Russell et Debra Hill prétendent qu’ils me ressemblent intimement. Je n’irai pas jusque-là mais il y a effectivement du John Carpenter en lui. A Hollywood on me perçoit comme un hors-la-loi. Je suis rebelle, comme Sam Peckinpah l’était par le passé. Je revendique ce titre. Et c’est vrai que c’est ce qui m’a attiré dans le personnage de Snake. 
John Carpenter

Réalisateur

Carpenter rend ici hommage aux westerns qui ont bercé sa jeunesse, notamment les films de Howard Hawks et John Ford, valorisant les anti-héros, prônant ainsi l’anticonformisme et la liberté absolue. Le film se révèle être un nouveau succès commercial pour John Carpenter. Le voici aimé du Tout-Hollywood. Le cinéaste acquiert une confiance totale dans la maîtrise de son art, quitte à prendre des risques artistiques et financiers. Le remake de The Thing voit ainsi le jour en 1982 et pour la première fois, le réalisateur travaille avec un gros studio, Universal Pictures. Il s’entoure des meilleurs techniciens de Los Angeles : le chef décorateur John Llyod (The Blues Brothers), Albert Whitlock pour les effets-spéciaux (Les oiseaux), le chef opérateur Dean Cundey (Indiana Jones, Rencontre du troisième type) ou encore Ennio Morricone à la musique. Le tournage s’avère plus compliqué que prévu, la post-production chaotique. John Carpenter ne fait aucun compromis. Le film sera noir, sombre, sans espoir. A sa sortie en salle, la critique ne manque pas de l’égratigner. « J’ai été attaqué par l’ensemble des critiques, par les fans et le studio qui n’était bien évidemment pas satisfait » confie John Carpenter. Pire, le film sort à une semaine d’intervalle d’un certain E.T… Exit The Thing donc, qui se soldera par un échec avant de devenir culte à son tour quelques années plus tard.

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John Carpenter, jusque-là indépendant, maître de ses histoires et de ses décisions, se retrouve par la suite réalisateur de commande pour les studios avec des films honorables comme Christine en 1983, énième adaptation d’un roman Stephen King puis Starman en 1984, une comédie romantique mâtinée de fantastique. Ces deux derniers films faisant la part belle aux producteurs, John Carpenter retrouve une liberté dans la création et se penche alors sur une comédie loufoque rendant hommage aux films honkhongais de la Shaw Brothers. Il retrouve à cette occasion son acteur fétiche, Kurt Russell. Big Trouble in Little China marque les esprits par sa légèreté, ce dont John Carpenter ne se cachera pas en avouant avoir pris plaisir à le réaliser. Cette incursion inédite dans la comédie pure ne lui réussit malheureusement au box-office en 1986, rejoignant à ce titre les recalés du genre, parmi lesquels Steven Spielberg avec 1941.

LE PRINCE DES TÉNÈBRES

John Carpenter est effondré et se jure de ne plus travailler avec les studios hollywoodiens. En 1987 et 1988, il se lance donc dans des productions indépendantes. La première sera Le Prince des Ténèbres. John Carpenter signe une œuvre d’épouvante obsédante, baroque et cauchemardesque. Il remonte à sa source, s’interroge sur l’origine du Mal et la matière qui l’incarne. Car l’homme n’est qu’un intermédiaire agissant, qu’un corps à posséder ; ainsi le réalisateur affirme – telle est sa thèse – que le Mal absolu réside dans les tréfonds de l’âme humaine, par-delà tout essence spirituelle. Une majorité de fans considère Le Prince des Ténèbres comme l’œuvre la plus aboutie dans sa mise en scène, choisissant le cadre d’un quasi huis-clos (qui par certains aspects n’est pas sans rappeler The Thing). Carpenter distille une atmosphère oppressante par sa mise en scène, et se permet de temps à autres des envolées spectaculaires.

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Le second film, Invasion Los Angeles, film politique sur la loyauté et la morale, se rapproche du western. Puis en 1992, John Carpenter retravaille à nouveau pour un studio, la Warner, avec Les aventures d’un homme invisible, un film mineur qui n’en reste pas moins une expérience pour lui, voire un défi sur le plan professionnel. Le film réalise finalement de bons scores au box-office. Toujours en contrat avec Universal, studio auquel il doit délivrer un autre long-métrage, Carpenter s’intéresse au Village des damnés pour en réaliser un remake. Cette commande ne marquera pas non plus la carrière du cinéaste qui peut quand même se targuer d’avoir dirigé le charismatique Christopher Reeve, quelques années avant un accident qui aura raison de la vie du comédien. L’Antre de la folie, sorti en 1995, marque non seulement un retour vers des productions aux budgets modestes, mais demeure surtout la dernière grande oeuvre du réalisateur. Le film s’inspire de l’univers des auteurs de littérature fantastique Stephen King et H. P. Lovecraft.

La fin de la décennie, marquée aussi bien par Los Angeles 2013 que VampiresGhost of Mars ou encore The Ward, trahissent une certaine lassitude dans la création. John Carpenter s’avoue à bout de souffle. Il reste néanmoins un très grand réalisateur qui aura marqué tout un pan du cinéma de genre comme le firent ses idoles John Ford et Alfred Hitchcock pour le western et le thriller. Lorsque l’on regarde l’un de ses films aujourd’hui, on s’apprête à se laisser transporter dans un autre monde, dans une autre époque, dans une autre dimension, souvent apocalyptiques, dystopiques pour ne pas dire kafkaïens. Ce monde, c’est celui de John Carpenter.