Si l’on vous dit chapeau, veste en cuir, fouet, aventure, à quoi pensez-vous ? A Indiana Jones, pardi ! En inventant ce personnage tout droit sorti des magazines qu’ils lisaient enfants, George Lucas et Steven Spielberg ont créé une icône du septième art. L’humour d’Indiana Jones, ses imperfections, et ses incroyables aventures l’ont hissé dès le premier volet au firmament des héros de légende. A travers une mise en scène magnifique et haletante, Spielberg et son équipe ont réussi l’exploit de réaliser trois films aux ambiances bien distinctes, complètement indépendants, qui forment pourtant une trilogie aboutie et cohérente (le lecteur me pardonnera de ne pas y inclure le 4). Il y a 30 ans aujourd’hui, Indiana Jones entreprenait ce qui aurait pu être sa Dernière Croisade sur les écrans du monde entier, et l’on apprenait bouche bée que ce grand aventurier portait le nom d’un chien…
Quand tout se met en place, sans ordinateur, quand on dépend vraiment de chaque département, comme avant à Hollywood ou en Angleterre, pour réaliser la vision du metteur en scène et de tous, c’est du bon vieux cinéma. Et j’adore ça.
INDIANA JONES ET LE ROI SINGE
Nous sommes en septembre 1984. Six mois se sont à peine écoulés depuis la sortie d’Indiana Jones et Temple Maudit, que Georges Lucas est déjà au travail sur une version de huit pages du scénario d’un Indiana Jones 3 intitulé Indiana Jones et le Roi Singe. Il contient déjà quelques éléments que l’on retrouvera dans le futur film : une poursuite en bateau, un château inquiétant en Ecosse, une femme archéologue, un combat avec un char allemand, et la possibilité de la vie éternelle grâce à la Fontaine de Jouvence… Le studio Paramount ne peut que se frotter les mains à la perspective d’un nouvel opus : la franchise Indiana Jones est une mine d’or qui semble inépuisable. En effet, la sortie vidéo des Aventuriers de l’Arche Perdue a battu tous les records de vente (en décembre 84, plus d’un million de cassettes se sont écoulées). Présent au top 40 pendant 99 semaines, il est bientôt rejoint par Indiana Jones et Le Temple Maudit, qui restera numéro 1 des ventes cinq semaines d’affilées. C’est donc fort d’un succès presque certain que Lucas peut travailler en confiance le scénario du troisième volet des aventures de l’archéologue. Mais il se trouve face à une inconnue essentielle pour la suite : il faut avant tout définir ce que sera le McGuffin du film. Le McGuffin, c’est le nom donné par Alfred Hitchcock au prétexte de développement d’un scénario qui demeure mystérieux pendant le déroulement de l’histoire. On vous donne un exemple simple (et dans le thème !) : l’Arche d’alliance, ou les pierres de Sankara, sont les McGuffin des deux premiers Indy. Lucas propose immédiatement le Saint Graal, car c’est une idée qui l’habite depuis des années. Il l’a déjà envisagé lors de l’écriture du Temple Maudit, mais Spielberg avait mis son véto. Ce qui est encore le cas en 1984, car il ne voit pas comment raccrocher ce symbole chrétien à un mythe contemporain, et craint par dessus tout l’association inévitable avec la comédie Sacré Graal des Monty Python, sortie en 1975. « J’étais inquiet à l’idée que les gens entendent « Saint Graal » et pensent immédiatement à un lapin blanc attaquant les Monty Python. Ma première réaction était de dire « Repliez ! Repliez ! [ce que crie Graham Chapman au roi Arthur lors de la scène qu’il décrit N.D.L.R.]» ».
Lucas écrit un script un peu plus détaillé de sa première mouture, et engage Chris Columbus (qui vient d’écrire les Gremlins pour Joe Dante en 1984) pour qu’il fasse un premier jet du scénario. En août 1985, Colombus livre Indiana Jones et la cité perdue de Sun Wu Kung (un autre nom pour Le Roi Singe), dans lequel il est question de mauvais esprits, fantômes et démons chinois. Columbus remplace la Fontaine de Jouvence par les Pêches de l’Immortalité, un concept de la mythologie chinoise, et Indiana y traque le Roi Singe en Afrique. Cependant Lucas tient à conserver le thème d’un château hanté écossais (il l’avait également déjà suggéré sur Le Temple Maudit), et en fait donc l’ouverture du troisième film. Mais l’idée est de nouveau refusée. En fait, c’est l’aspect surnaturel qui pose problème à Spielberg. Le scénario ressemble alors fortement à Poltergeist (Tobe Hooper, 1982) qu’il vient de produire et scénariser, et Spielberg reste marqué par l’aspect lugubre du Temple Maudit qui a beaucoup déplu. En 1989 il dira même : « je n’étais pas content du tout du second film. Il était trop sombre, souterrain, et bien trop horrible. Il dépassait même Poltergeist en tout cela !».

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C’est pourquoi, lorsque se précise la création d’un troisième opus, le réalisateur souhaite retourner à ce qui a fait le succès du premier Indiana Jones. Il faut que ce soit crédible, sincère et plus léger. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’il fait réapparaître les personnages de Sallah et de Marcus Brody. Sur les recommandations de Spielberg, Lucas engage alors le scénariste Menno Meyjes (qui a travaillé sur La Couleur pourpre (1985), et L’Empire du Soleil (1987)) pour l’aider. Lors d’une réunion scénaristique, il propose de nouveau la possibilité du Graal, ce que Spielberg accepte enfin d’essayer. Cependant, ce dernier souhaite avant tout développer l’histoire entre Indiana Jones et son père, pour en faire une sorte d’étude de caractère. Pour Lucas, aucun problème ! Le lien est simple : la quête du père sera la quête du Graal. Père et fils se sont simplement brouillés car ils ne partagent pas la même idéologie et ont différentes approches de l’archéologie, car celle du père est plus professionnelle. Début octobre 1986, Meyjes livre un premier jet dans lequel la recherche du Graal est effectivement liée au personnage d’Henry Jones Senior, expert sur le sujet. L’idée plaît à Spielberg, qui voit dans la quête du Graal une belle métaphore de leur relation père-fils.
ON PREND LES MÊMES ET ON RECOMMENCE !
Début 1987. Le scénario se précisant de plus en plus, Spielberg commence à réunir son équipe. Afin de retrouver l’esprit des Aventuriers de l’Arche Perdue, il rappelle autant que possible la même équipe. Harrison Ford, à qui l’on expose le projet, est très emballé à l’idée d’inclure le père d’Indy dans l’histoire, car cela permettra de montrer de nouvelles facettes de son personnage. Il signe son contrat pour un troisième film en février, rejoignant ainsi Spielberg, Lucas, Denholm Elliott (Marcus Brody, dont le personnage, sorte de figure paternelle dans Les Aventuriers de l’Arche Perdue, devient ici caution comique), John Rhys-Davies (le fidèle Sallah), Doug Slocombe le directeur photo, Elliot Scott le chef décorateur, John Williams le compositeur (faut-il le présenter !), Michael Kahn au montage, et Robert Watts, Frank Marshall et Kathleen Kennedy à la production. C’est une équipe de premier ordre, dont les membres sont ravis de se retrouver pour un troisième tournage, car en plus de travailler vite et efficacement, tous s’entendent à merveille. Pour Kathleen Kennedy, cette réunion rendait compte d’une évolution intéressante, car lors des Aventuriers, tous étaient au début de leur carrière. Depuis, Ford, Spielberg et Lucas étaient devenus d’immenses stars, et tous s’étaient aguerris à leur métier. « Mais rien de cela ne semblait avoir d’impact sur la dynamique de la création du film, car nous passions tous un bon moment. ». Cependant, pour que le tournage puisse débuter, il faut pouvoir s’appuyer un scénario complet. Spielberg engage alors un troisième scénariste, pour une troisième évolution du scénario, Jeff Boam, (il travaillera par la suite sur L’Arme Fatale 2 et 3 de Richard Donner). Grâce à lui, les idées de Lucas et celles de Spielberg s’ajustent harmonieusement, et en mars 1987, le scénariste présente son traitement de l’intrigue qui porte déjà le titre d’Indiana Jones et la Dernière Croisade. L’histoire inclut alors des idées reprises au premier film : une femme nazie agent double, des rats, et Indy se noyant presque dans un ancien édifice (l’action est placée à Venise pour régler le problème de la provenance de l’eau). La scène d’ouverture du film, un combat dans un train en marche, est reprise du scénario de Meyjes, qui l’avait simplement placée en milieu d’histoire. Boam signe son contrat dans la foulée et la préproduction commence...

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La préproduction se fait de manière similaire aux deux films précédents : on crée les storyboards et on part en quête des lieux pouvant correspondre aux attentes de l’histoire. Sur les conseils de Robert Watts, qui y a produit un western en 1970 (El Condor de John Guillermin), Spielberg choisit l’Espagne, et particulièrement la région d’Almería, pour tourner bon nombre de ses scènes. C’était à l’époque un vaste lieu de tournage, une sorte de plateau géant, où ont été réalisés de multiples westerns spaghettis, et où David Lean a tourné une partie de Laurence d’Arabie (1962). Spielberg y situera la poursuite du char nazi, le tunnel où les avions allemands s’écrasent en poursuivant la voiture des Jones, et la plage. Pendant ce temps, le casting s’active, et l’on recherche qui pourrait incarner le père d’Indy. Pour Spielberg, c’est une évidence.
Quand nous en sommes arrivés au casting, j’ai dit à George qu’il n’y avait qu’une seule personne qui pouvait jouer le rôle du père d’Indiana Jones, et c’est James Bond. Le vrai, et le meilleur, c’est Sean Connery.
Lucas n’est pas d’accord, car il craint que l’aura de James Bond n’empêche le public de voir le père d’Indy. Mais pour Spielberg cela ne fait aucun doute : Indiana Jones est un rejeton de James Bond (c’est l’une des influences principales pour le personnage) ! Il contacte donc Sean Connery, qui est ravi d’accepter son offre, même s’il craint au premier abord que la faible différence d’âge entre Harrison Ford et lui (douze ans seulement) ne se révèle problématique. A peine est-il attaché au projet, que l’acteur fourmille d’idées pour étoffer son personnage qu’il trouve un peu inconsistant. C’est lui qui aura cette idée qui définira finalement la relation entre père et fils : « Tout ce que fait Indy dans cette histoire, je l’ai déjà fait, en mieux. ». C’est donc grâce à l’imagination de Sean Connery, qu’Henri Jones Sr a eu une relation avec la même femme que son fils (Lucas a d’ailleurs du mal à accepter l’idée, ce qu’il ne fait que parce que c’est plausible, et surtout traité de manière comique), ou que les deux compères se retrouvent attachés dos à dos sur leurs chaises lorsqu’ils sont captifs des nazis. En conséquence, le scénario est remanié une seconde fois par Boam en février 1988 ; il y inclut toutes les idées de Connery, transformant le personnage du père, et l’éloignant alors de ce qu’avait imaginé Lucas. C’était à l’origine un professeur âgé, conservateur, un peu fou et excentrique, à la prestance toute britannique d’un Laurence Olivier, ou d’un Obi-Wan Kenobi (Ford le compare même à Yoda !). Avec les ajustements de Connery, Henri Sr devient l’égal de son fils ; il le surpasse même et le ridiculise à de nombreuses reprises. Le ton du film en devient résolument comique. Dans cette version du scénario y est modifiée aussi la bataille du train. Elle prend désormais place dans la jeunesse d’Indiana Jones, et révèle l’origine de nombreuses caractéristiques du personnage (sa phobie des serpents, son chapeau et son fouet et… La cicatrice qu’Harrison Ford arbore réellement depuis un accident de voiture quand il avait vingt ans !). C’est une idée de Lucas, que Spielberg, un peu réticent, finit par accepter, car cela donne plus de profondeur au personnage.

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BOND VERSUS INDY
Les choses avancent, mais l’on recherche encore trois acteurs essentiels au déroulement de l’intrigue. Lorsqu’Alison Doody auditionne pour le rôle d’Elsa, l’archéologue nazie, elle n’a pas grand espoir : « J’avais 21 ans, et j’étais irlandaise, alors qu’ils cherchaient une autrichienne de 29 ans. » Elle qui n’a jamais pris de cours de théâtre, et n’a pas énormément d’expérience au cinéma, sera finalement choisie. Elle apprendra alors à parler avec l’accent autrichien, et y réussira si bien qu’après la sortie du film, on ne lui proposera que de rôles de ressortissantes de ce pays ! Spielberg décrira son personnage ainsi : « Alison Doody joue un rôle que de nombreuses actrices ont interprété dans les années 30, où les femmes fatales se révélaient plus fatales que femmes. Le personnage était un hommage à ces nombreux films d’Alan Ladd dans lesquels on ne pouvait jamais faire confiance à une femme. ». Pour incarner le jeune Indiana Jones, Harrison Ford propose immédiatement River Phoenix, avec lequel il vient de travailler dans Mosquito Coast (Peter Weir, 1986). Pour lui, c’est le jeune acteur qui lui ressemble le plus lorsqu’il avait son âge. Spielberg, qui avait été époustouflé par la performance de Phoenix dans Stand By Me (Rob Reiner, 1987), rencontre le jeune homme, et l’engage aussitôt. Ne manque plus que le grand méchant de l’histoire, Walter Donovan. Pour l’acteur, Julian Glover, c’est son amitié avec son voisin, Robert Watts, qui lui a permit d’obtenir le rôle. C’est en effet Watts qui le poussa à auditionner pour ce genre de personnages, et c’est grâce à lui que l’acteur remporte le rôle du Général Veers dans L’Empire Contre Attaque (1980). C’est pourquoi Glover se présente plutôt confiant à l’audition pour jouer un sergent allemand dans La Dernière croisade, mais il ne l’obtient pas. Pourtant, le lendemain, son agent l’appelle pour lui dire qu’ils souhaitent le revoir pour Donovan, le grand méchant de l’histoire, et au bout de vingt minutes de casting, le rôle est à lui. Watts a également suggéré à l’acteur que sa femme dans la vraie vie joue sa femme au cinéma, ce qu’elle a été ravie de faire ; vous pouvez donc l’admirer le temps de quelques secondes dans La Dernière croisade ! Est-ce la présence de Sean Connery qui influença inconsciemment la directrice de casting Maggie Cartier ? Car décidément, 007 fut plus que représenté dans le nouvel Indiana Jones, Alison Doody et Julian Glover ayant tous deux joué des ennemis de l’espion anglais ! La jeune femme interprète en effet Jenny Flex dans Dangereusement Vôtre (John Glen, 1985), et Julian Glover incarne Aris Karistatos dans Rien que pour vos yeux (John Glen, 1981).
En mars 1988, Boam présente une troisième version de son scénario, dans laquelle le personnage d’Henri Jones Sr continue de s’étoffer (c’est maintenant lui qui pense à contrer l’avion allemand avec des mouettes), et la mine d’humour que représente un film sur un père et un fils qui ne s’entendent plus depuis vingt ans est de plus en plus exploitée, pour le plus grand plaisir de Spielberg. Satisfait de son personnage, Sean Connery signe son contrat. Il lui faut maintenant un costume. Pour le créateur des costumes, Anthony Powell, habiller l’acteur en père d’Indiana fut un gros défi. « […] J’ai pensé à mon grand père, avec ses chemises, ses petits nœuds papillon, son chapeau de pêcheur, et ses costumes en tweed. Il fallait que le costume soit parfait parce que, d’après le script, il n’y avait pas moyen qu’il change de vêtement durant tout le film. J’ai aussi pensé que cela l’aiderait de porter des lunettes, mais je ne voulais pas couvrir une parcelle de son incroyable visage. Il fallait des lunettes sans bordure, seulement nous n’en avons trouvé nulle part dans le monde. Nous avons dû les faire créer spécialement. »

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En mai 1988, Barry Watson, le pseudonyme de Tom Stoppard, célèbre dramaturge à qui l’on doit les scénarios de Brazil (Terry Gilliam, 1985) et Shakespeare in Love (John Madden, 1998), travaille une nouvelle version du scénario dans laquelle les trois énigmes menant au Graal sont présentes. Bien qu’il ne soit même pas crédité au générique, ses modifications de dialogues, noms (Donovan était auparavant prénommé Chandler), et actions seront conservées. C’est lui qui juge plus opportun que ce soit Donovan, et non Elsa, qui tire sur Henri Sr à la fin. Pour Lucas, cette scène est un peu délicate, mais pour Spielberg, c’est la preuve d’un scénario solide « C’est là que l’on sait que l’histoire fonctionne, quand on peut tirer sur l’un des personnages principaux. ». De plus, cela permet d’ajouter un effet d’urgence à la quête du Graal, puisqu’Indy n’a que très peu de temps pour le retrouver et sauver son père. Cet acte a également une valeur symbolique, celle de la rédemption. Celle de l’âme, et celle de la relation du père et du fils.
UN TOURNAGE INTERNATIONAL
Le tournage commence en Espagne, le 11 mai 1988, avec la scène du char allemand, qui a été directement storyboardée, Lucas désirant inclure une scène avec un char de la Première Guerre Mondiale dans son scénario, sans pour autant savoir quoi en faire concrètement. Le superviseur des effets mécaniques, Georges Gibbs, a construit lui-même le char avec 28 tonnes d’acier, lui conférant un aspect solide et lourd. La difficulté de cette séquence était liée à la vitesse peu importante du char, environ 18km/heure. Car comment créer l’impression de vitesse, avec des chevaux galopant à côté et risquant de le distancer en quelques pas ? La solution, c’est de créer un second char, plus petit, en aluminium et aux chenilles en polyuréthane, pouvant être tiré par un camion, sur lequel on installe des caméras pour les gros plans des acteurs. Harrison Ford réalise la plupart de ses cascades (il les aurait même fait toutes s’il n’y avait les questions d’assurance !), et c’est lui qui, par exemple, s’accroche au canon du char tandis que des accessoiristes lui jettent de la terre et de la poussière dessus du haut d’un petit canyon. Pourtant la seule véritable gageure aura été de conserver le chapeau sur sa tête ! L’accessoire récalcitrant s’envolait sans arrêt, obligeant à arrêter et reprendre les scènes de bien (trop ?) nombreuses fois. Heureusement, l’acteur s’en amuse aujourd’hui : « Quant au chapeau qui doit tenir tout le long de la scène, je peux vous dire qu’une bonne dose de sueur aide énormément ! ». C’est ainsi que la scène, originellement prévue sur deux jours et demi de tournage, en prit une dizaine à tourner. S’ensuit celle de la plage, avec les mouettes dont Henri Jones Sr se sert pour contrer l’avion allemand. Seulement, ces oiseaux ne se dressant pas, l’équipe doit faire usage de faux volatiles sur la plage, et un lancer de colombes blanches fait office de mouettes prenant leur envol.

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Le 9 juin, l’équipe se déplace à Londres pour tourner dans les Canon-Elstree studios, qu’elle connaît par cœur, puisque c’est là qu’ont été filmés les deux premiers Indiana Jones. On y tourne les scènes du château, et termine en mettant le feu au décor, comme le demande le script. Sur le plateau, tout est donc ignifugé (rideaux, draps, meubles…), pour permettre l’emploi de tisonniers à gaz : ce sont des tiges d’un à trois mètres de long fendues dans la longueur, et de ces fentes sortent les flammes simulant l’incendie. Malheureusement, à cette époque, l’économie anglaise du film est en récession, et les studios Elstree sont menacés de fermeture, ce qui entrainerait la disparition des techniciens et acteurs de l’industrie cinématographique, et la perte d’une expérience centenaire. C’est pourquoi Spielberg, accompagné de Frank Marshall, est allé en personne, entre deux prises, aux Chambres du Parlement pour plaider la cause du studio. En proposant aux élus de subventionner les studios pour les conserver, ils réussissent à en sauver une partie.Cette parenthèse artistique et politique refermée, il faut tourner la séquence des rats. Pour trouver suffisamment de rongeurs qui ne soit pas vecteurs de maladies, Marshall n’a d’autre choix que de faire appel à des éleveurs qui font se reproduire jusqu’à deux mille rats pour les besoins de la scène ! Heureusement, Alison Doody avait passé la question éliminatoire au casting, et était disposée à jouer avec tant de rongeurs ; quant à Harrison Ford, les rats c’est son dada, puisqu’il en possédait dans son adolescence comme animaux domestiques ; un petit couple, d’abord, puis beaucoup, beaucoup, plus, car ils se multipliaient incroyablement vite. Le tournage n’a donc été une épreuve pour personne, pas même pour les rats, qui ont été, quelle prévenance (!), remplacés par des animaux mécaniques lorsqu’ils doivent prendre feu. Pour autant, les producteurs ont réussi à obtenir la première (et sans doute la seule) assurance pour leurs petits rongeurs, « La police des 1000 rats », qui les rembourserait si plus de la moitié d’entre eux venaient à disparaître. La scène s’est cependant tournée sans autre incident que la cire d’une torche coulant sur la main d’Alison Doody. Harrison Ford, s’en apercevant, lui a immédiatement plongé la main dans l’eau, mais l’actrice porte encore aujourd’hui la cicatrice de sa brûlure.

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En parlant de danger, vous souvenez-vous de la scène de l’hélice qui ronge le bateau d’Indy et Elsa à Venise ? Elle a été tournée dans le « Studio Lake » d’Elstree. Là où se trouve l’hélice, l’eau fait cinq mètres de profondeur, il n’y a qu’un mètre seulement à l’endroit du bateau qui est posé sur des rails tandis qu’un treuil le tire lentement vers l’hélice. Elle est véritablement énorme et dangereuse, et pour qu’elle mette plus de temps à le casser avant de mettre en danger les acteurs, l’arrière du bateau est plus long que la normale. Spielberg joue également avec les distances, et emploie des focales longues pour donner l’impression que l’hélice est plus proche des acteurs qu’elle ne l’est en réalité. Cependant des doublures sont tout de même appelées par mesure de sécurité pour la réalisation de certains plans. Après l’Angleterre, c’est à Berlin, à l’aéroport Templehof, que sont filmées les scènes d’embarquement dans le Zeppelin allemand. Sean Connery en acteur très professionnel, aime à répéter ses scènes avec ses partenaires à l’avance pour ne pas perdre de temps sur le tournage. Cependant, lors de la scène de discussion entre père et fils dans le Zeppelin, un léger détail arrête Harrison Ford : Connery est en caleçon ! Il faut dire qu’il fait une chaleur torride sur le plateau, et l’acteur ne veut pas qu’on le voit transpirer car l’action se passe en hiver… Qu’à cela ne tienne, tel père, tel fils, Ford fait de même ! On vous défie de ne pas penser à cette anecdote qui désamorce quelque peu la tension de la scène lors de votre prochain visionnage de La Dernière Croisade !
D’UNE JOURNÉE À VENISE AU PALAIS ROYAL DE JORDANIE
Pour l’extérieur vénitien, l’équipe se déplace sur place pour une journée seulement, le 8 août 1988. Robert Watts espérait éviter l’été et la saison touristique, c’est raté ! L’endroit est bondé. Ils réussissent cependant à trouver un bloc bordé par un canal, comprenant une église, qui peut être privatisé de 7h à 13h, le Campo San Barnaba. Toutes les scènes sur le Grand Canal (alors qu’Alison Doody n’avait jamais conduit de bateau et rentrait constamment dans les murs) et près de la bibliothèque, ont donc été bouclées en cinq heures seulement ! L’équipe se rend ensuite en Jordanie, à Petra pour y tourner la fin du film. Spielberg et ses comparses sont hébergés au palais royal, par le roi Hussein et la reine Noor, qui les accompagnent de temps en temps sur le tournage. L’acteur qui interprète le gardien du Graal, Robert Eddison, bien qu’aguerri à la scène et aux séries, n’avait jusqu’alors jamais joué dans un film de cinéma, et s’inquiète beaucoup de ne pas bien faire. Il a pourtant immédiatement donné une incroyable gravité au rôle. Malgré cette interprétation remarquable, Julian Glover se rappelle avoir été pris d’un fou rire irrépressible lorsqu’il l’a vu dire « Il a choisi bien mal. » d’une manière si pince-sans-rire. La scène qui suit est le moment favori de Spielberg : celle où Elsa, tombée dans une crevasse, dont la vie ne tient qu’à la main d’Indy qui la rattrape avec difficulté, tente malgré tout désespérément de récupérer le Graal. Elle paye son obsession au prix de sa vie, ce qui n’empêche pas Indy de faire la même chose quelques minutes après, alors qu’il se trouve à son tour dans la même position précaire, son père le retenant tant bien que mal. Pour détourner l’attention de son fils de l’objet tant convoité, Henri Sr, qui l’appelle tout le long du film « Junior » afin de l’agacer, prononce pour la seule fois le prénom d’Indiana. C’est ce qui arrête Indy, et qui permet que père et fils se retrouvent enfin. Pour Lucas, ces retrouvailles sont plus importantes que tout, et les héros le réalisent. La Dernière Croisade se termine de manière plus personnelle que les deux autres Indy : père et fils se retrouvent à la fois intellectuellement, et affectivement.

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RETOUR AUX ÉTATS-UNIS
Tout le monde est de retour aux États-Unis, et Michael Kahn a déplacé sa salle de montage du Royaume-Uni à Los Angeles, dans les bureaux d’Amblin. Il monte intensément du 22 août au 2 septembre 1988, et c’est en regardant son travail que Spielberg et Lucas réalisent qu’il n’y a pas encore assez d’action dans le film, le public en attend certainement encore plus. Ils décident alors d’ajouter la course poursuite en moto lorsque les Jones s’enfuient du château. Elle est tournée très rapidement, aux environs de San Francisco, près du Skywalker Ranch de George Lucas, où l’inventif Ben Burtt, à qui l’on doit les effets sonores de Star Wars et E.T. (1982) pour ne citer qu’eux, travaille ceux de la Dernière Croisade. C’est ainsi qu’il a l’idée, pour simuler le bruit des centaines de rats, d’utiliser… Des poulets ! Pendant ce temps, deux unités de tournage sont envoyées dans l’Utah pour filmer la scène d’ouverture sur le train en marche, dont l’un des wagons est nommé Doctor Fantasy’s Magic Caboose en hommage à Frank Marshall, car c’est son nom de scène lorsqu’il fait des tours de magie. Le temps presse, il faut terminer le film. Heureusement, le travail est facilité par le River Phoenix. Le jeune acteur impressionne Spielberg par son aptitude à reproduire les mimiques et les intonations de voix d’Harrison Ford. (Il faut dire que le jeune homme a eu le loisir de l’étudier attentivement pendant le tournage de Mosquito Coast (Peter Weir, 1986), amusant énormément l’équipe du film avec ses imitations.) D’ailleurs, lorsqu’il travaillera avec Leonardo DiCaprio sur Arrête-moi si tu peux (2002), Spielberg ne pourra s’empêcher de le comparer à River Phoenix, à cause de la ressemblance physique entre les deux acteurs, mais surtout à cause de leur engagement total envers leur rôle.
Début 1989, c’est à John Williams d’entrer en scène. Dans cet opus, l’esprit de la musique, c’est le mouvement, et le compositeur, comme inspiré par cette idée, boucle très rapidement l’enregistrement de la musique en deux sessions du 30 janvier au 17 février. Dans La Dernière Croisade, le thème central est l’acte de foi, l’un des plus important étant celui où Indiana Jones doit marcher dans le vide pour retrouver le Graal. Cette séquence est celle qui donna le plus de fil à retordre au superviseur des effets visuels d’ILM (Industrial Light and Magic), Michael McAlister. « On ne savait pas comment faire. C’était une combinaison de matte painting [un procédé cinématographique consistant à peindre un décor sur une surface plane en y laissant des espaces vides, pour y incorporer une ou plusieurs scènes filmées N.D.L.R.], et d’une miniature physique du pont. » Cela reste pourtant l’une des plus belles réussites d’ILM. Pour la scène du tunnel, dans lequel deux avions allemands entrent pour pourchasser la voiture d’Indiana et de son père avant d’exploser, l’une des dernière à être tournées, McAlister se rappelle : « […] Le feu digital n’existait pas, donc pour une séquence impliquant du feu, il fallait réellement le mettre à une maquette. Il a donc fallu trouver comment construire l’équipement pour que la caméra et l’avion puissent traverser le tunnel, et avoir le bon timing pour que cela explose au bon endroit, c’était un véritable exploit technique. »

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Enfin, le dernier défi à relever, et non des moindres, fut la mort de Donovan. Le morphing venant à peine d’être inventé, il a fallu filmer séparément l’acteur portant des maquillages représentant l’âge qui le gagne, et trois marionnettes simulant les différents stades de putréfaction, pour en faire par la suite une prise homogène à l’aide de l’ordinateur. Ce plan n’est rien de moins que le premier plan numérique composite de l’histoire du cinéma. De son côté, Spielberg termine de monter le film avec Kahn, qui coupe de manière à intensifier les émotions au maximum. Pour le chef monteur, c’est le sentiment de bien faire qui importe, il doit « bien le sentir » ; la technique et le savoir calqué ne sont pas intéressants, car cela devient mécanique. Spielberg est ravi, puisqu’il souhaite avant tout éviter cela pour son nouveau film.
LE PLUS FOU ET LE PLUS SPIRITUEL DES INDY
Indiana Jones et la Dernière croisade sort aux États-Unis le 24 mai 1989 sur 2327 écrans. Les critiques sont mitigées, mais tendent vers le positif. Dans Rolling Stone, Peter Travers écrira « c’est l’enthousiasme sans borne d’un Spielberg aux yeux écarquillés qui a fait d’Indy 3 le plus fou et le plus spirituel des Indy. ». Pour un budget final de 55 364 887 dollars, le film en rapporte 11 181 429 dès le premier jour d’exploitation. C’est la première fois dans l’histoire du cinéma qu’un film dépasse les 10 millions de dollars le jour de sa sortie. En mars 1990, il a rapporté la bagatelle de 450 millions dans le monde entier, en faisant le film le plus rentable au niveau mondial de l’année 1989. Le film est nommé aux Oscars 1990 pour la meilleure musique, et les Meilleur son et effets sonores. Ben Burtt et Richard Hymns remportent ce dernier. Pour Harrison Ford, La Dernière Croisade était le film était le plus complexe, et le plus agréable à faire de tous les Indy. Sean Connery dira bien sobrement : « Chaque film que j’ai fait a sa propre place. […] Indiana Jones est en haut de la liste, avec les meilleurs d’entre eux. »
Bien sûr, la fin avec les personnages galopant dans le soleil couchant nous a tous laissé penser que c’était terminé. Mais, vous savez, Sean [Connery] nous a appris à « Ne jamais dire jamais »…
Il n’est donc pas étonnant que l’aventure soit loin de s’arrêter là.
L’AVENTURE CONTINUE…
Après la sortie de La Dernière croisade, Lucas est vidé de son énergie créatrice, et malgré l’enthousiasme de Spielberg et d’Harrison Ford à l’idée de continuer les aventures de l’archéologue, il demande à s’arrêter. Pour autant, tandis que les autres voguent vers de nouveaux horizons, Lucas s’embarque seul dans la production exécutive de la série Les Aventures du Jeune Indiana Jones (1992-1993), que lui a inspiré le prologue de la Dernière Croisade. Ce sont des épisodes d’une heures qui mettent en scène un Indiana enfant (Corey Carrier) et jeune homme (Sean Patrick Flannery, River Phoenix ayant décliné le rôle car il ne souhaitait pas faire de télévision), et lui font traverser des événements clés du début du XXème siècle. Dans l’épisode de la deuxième saison en deux parties Chicago 1920, Harrison Ford lui-même fait une apparition, pour introduire et clôturer le récit. C’est lors du tournage de cette séquence, en 1992, qu’une idée frappe George Lucas : s’il écrit un Indiana Jones avec le personnage plus âgé, l’action pourra se passer dans les années 50, et il pourrait s’inspirer des films de science fiction de série B ! Le McGuffin est alors tout trouvé : ce seront des aliens !

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Pourtant, lorsque Lucas soumet dans la foulée l’idée à Harrison Ford, l’acteur s’y oppose : pour lui, le propre d’Indiana Jones, c’est de lutter avec les mystères de cultures passées. Il propose à Lucas d’en parler avec Spielberg, mais le réalisateur n’est pas emballé non plus… Pourtant, dès 1993 on établit des réunions concernant le futur Indiana Jones 4, sobrement intitulé Indiana Jones et les Martiens sur lequel l’équipe travaille jusqu’en 1996… Seulement, cette année-là sort Independence Day, le film de Roland Emmerich qui met en scène des extraterrestres, et fait un carton. Pour George Lucas, cela clôt l’affaire Indy 4 : « [Le film] est un tel succès. Je ne pense pas qu’on puisse en faire un autre. » Il s’attelle alors à la prélogie Star Wars, et tous prennent des directions différentes. Il faudra attendre 2007 pour que le projet voie réellement le jour sous le nom d’Indiana Jones et le Crâne de Cristal. Pour autant, Indiana Jones n’est jamais tombé dans l’oubli. Dès 1989, les ingénieurs des parcs Disney (Imagineers) développent une attraction tout droit sortie des films pour Disneyland Californie. Ils ont conscience que la silhouette de l’archéologue est devenue si iconique que, bien réalisée, elle transmet immédiatement une histoire entière de course-poursuite et d’aventure. En 1995, « Indiana Jones et le Temple de l’Œil Interdit » ouvre ses portes aux visiteurs avides de plonger dans une aventure de l’homme au chapeau, à bord de jeeps dont la technologie a été spécialement inventée pour cela. Il faut dire que si Disney a pu obtenir facilement les droits pour produire cette attraction, c’est parce que son directeur général, Michael Eisner, a produit les trois Indiana Jones lorsqu’il travaillait pour Paramount avant d’arriver chez Disney.

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Fait étonnant quand on sait que George Lucas a quasiment inventé le merchandising lié aux films, il n’a pas produit de jouets à l’effigie d’Indiana Jones (il faut attendre 2008 pour qu’il en soit créé), commercialisant plutôt le fameux Fedora, la veste en cuir, des chemises, ou des montres, pour en faire un symbole de style de vie. La renommée d’Indiana Jones a donc dépassé les frontières du cinéma. Ainsi Petra, en Jordanie, a vu sa fréquentation s’accroitre de manière phénoménale après la sortie du film, passant de quelques centaines de visiteurs à près d’un million par an. Bien évidemment, le tourisme s’y est développé en mentionnant l’aventurier. Le journal satirique Pan-Arabia Enquirer s’est même fendu d’un article ironique annonçant qu’on avait rebaptisé Petra « cet endroit dans Indiana Jones », pour refléter la façon dont les gens désignent le site le plus souvent. Si de nombreux romans, comics et jeux vidéos basés sur les aventures de l’archéologue voient le jour dès la sortie du premier film, le succès sans égal d’Indiana Jones a surtout permis la renaissance des héros aventuriers. L’archéologue inspiré de James Bond est devenu lui aussi modèle pour de nombreux personnages de la culture contemporaine. Que ce soit chez Disney avec le personnage de bande dessinée Flagada Jones (ou la scène d’Aladdin dans laquelle Abu touche le trésor interdit), chez les créateurs de jeux vidéos avec la célèbre Lara Croft des Tomb Raider ou Nathan Drake d’Uncharted, au cinéma avec La Momie, ou encore Benjamin Gates, ou dans de très nombreuses séries et films qui font référence aux scènes mythiques des Indiana Jones (Malcolm, Family Guy, Chicken Run, How I Met your Mother… La liste est bien trop longue pour la faire ici), l’essence d’Indiana Jones se retrouve, aujourd’hui encore dans tous les domaines du divertissement. Ce personnage, et la trilogie originale associée, sont des chefs d’œuvres d’intelligence, d’humour et d’amusement qui restent aujourd’hui encore inégalés.

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Quid du prochain film, qui est d’ores et déjà en production ? La sortie d’Indiana Jones 5, intitulée pour le moment La Dernière aventure programmée au 7 juillet 2021, est un secret bien gardé. Le tournage devrait avoir lieu en avril 2020, avec Steven Spielberg à la réalisation et Harrison Ford en vedette, c’est tout ce qui a filtré. Récemment, l’acteur s’est attiré les moqueries des médias en déclarant « Personne d’autre ne sera Indiana Jones. Je suis Indiana Jones. Quand je m’en irai, il s’en ira.». Et pourtant, nous ne pouvons qu’espérer que l’avenir lui donnera raison, car qui aurait envie de le voir incarné par quelqu’un d’autre ? Il nous reste aujourd’hui le rêve que la prochaine (et dernière ?) aventure de l’archéologue soit à la hauteur de ses incroyables débuts. Il s’agit bel et bien là d’un acte de foi…
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