Winning Time : une histoire populaire du sport aux États-Unis

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À quelques jours de la reprise du championnat NBA aux États-Unis, The Rise of the Lakers Dynasty de Mark Borenstein et Jim Hecht sort en DVD après avoir été diffusé sur OCS. Winning Time, la série sur le renouveau des Lakers et l’ascension de Magic Johnson, a peut-être créé un précédent dans cet accord souvent imparfait entre le sport et sa reproduction pour l’écran. Elle déjoue tous les pronostics où l’on pariait sur un « win or go home » perdu par avance. Si la fiction ne dépasse que rarement la réalité, dans le sport, c’est la réalité qui invente ses propres règles et la série d’HBO est un éloge plus qu’intelligent à cet état de fait.

Dans un peu plus d’un mois, pour certains amoureux du sport, le choix sera cornélien. Regarder ou ne pas regarder la Coupe du Monde. Telle sera la question. Symétrie douloureuse où la passion souvent révélée dans l’enfance rencontre l’absurdité d’un monde où il y a bien « quelque chose de pourri ». Le regard perd, lui, pour l’occasion le peu d’innocence qu’il lui reste. On pourrait envisager une troisième voix, une asymétrie roublarde où il suffirait à tous ceux qui ne savent pas, qui restent incrédules, sont énervés ou désabusés par ce dilemme de s’évader avec Winning Time. Comme on rêverait d’emprunter un vaisseau pour des vacances bien méritées dans un autre temps, là où les jeux sont déjà faits et le nom des mythes modernes inscrits à jamais dans le marbre. Depuis The Last Dance (2020), documentant le dernier miracle de Michael Jordan, le sport et ses récits se métamorphosent en un sel de la terre pour le cinéma au sens large.   

Le sport ne déçoit jamais l’imaginaire et le basket encore moins qu’un autre. Tout y est contenu comme dans un chant homérique, tout se rejoue là sur un parquet, les guerres, les rivalités, les doutes, les découvertes ou comme l’écrivait Barthes, insoupçonnable amoureux du sport : « Enfin il y a dans l’homme des forces, des conflits et des angoisses : le sport les exprime, les libère, les brûle sans jamais les laisser rien détruire. » Winning Time retrace l’épopée d’une équipe aujourd’hui mythique, les Lakers de Los Angeles, chevaliers, pourpre et or, d’un asphalte réenchanté dans le stade.  Bien avant Kobe Bryant, héros tragique de la maison Lakers, il y eut Magic Johnson et Kareem Abdul Jabbar. Là où le documentaire, dans un montage souvent titanesque, est le voyage du héros en un seul travelling arrière, une série comme Winning Time dérive dans la réalité, elle l’outrepasse avec ce que l’on appellerait un « plus d’effet sensible ». La série se défait des impasses du film biographique qui comme La Méthode Williams (R. M. Green, 2021), ou d’autres avant, peinent ou plutôt manœuvrent assez mal entre la vie héroïque et le moment où elle se matérialise vraiment, l’instant du jeu. Filmer le sport est un impossible cinématographique. Il trouve dans la production sérielle, une promesse d’être si ce n’est vu au moins entendu. Dans ce Los Angeles ‘79 la réalité supposée des faits s’exile par le traitement de l’image. On s’embarque dans les couleurs passées d’un polaroid où se mêlent le moment vraisemblable et les fantasmes qu’on lui prête. Cette atmosphère instantanément nostalgique permet en quelque sorte d’échapper aux clichés monochromes de cette toute fin des années 70 qui annonce la fameuse « décennie du pillage », les années 80. 

UNE FRESQUE SUR LE TALENT

Au-delà d’une fresque autour de Magic Johnson (interprété avec un absolu enthousiasme par Quincy Isaiah), on découvre une ligue de basket, la NBA. Elle est à ce moment presque moribonde. Elle n’attire pas les foules et semble disqualifiée pour les prochaines décennies. À Los Angeles, plus encore qu’à Boston l’autre ville du « playground », le basket se meurt. L’ennui impose son désert. L’homme de la situation s’appelle alors Jerry Buss (incarné dans tout son baroque par un John C. Reilly exalté). Il invente le « show time ». Il transforme le basket en une expérience totale où le spectateur ne va pas seulement voir un match mais s’immerge le temps d’une guerre symbolique entre deux franchises dans un plus de sport, une éclipse totale sur un quotidien de plus en plus cramé. Il révolutionne par cette intuition, le sport.  Le « show time » était un paradis de lumière où le sport entra de pleins pieds dans l’ère du divertissement et avec, dans l’enfer du marché. Pourtant, que serait une franchise NBA et Jerry Buss sans ses principaux protagonistes, les joueurs, une stratégie sans soldats et sans généraux ? Le hasard aura voulu que les étoiles s’alignent sous le soleil de L.A., et que même le grand Kareem retrouve auprès de Magic toute son aura. Ainsi The Rise of the Lakers Dynasty est une fresque sur le talent, toujours insuffisant sans la dévotion,  sur  la difficulté de ne pas céder au romantisme de l’amitié pour ne pas hypothéquer cet étrange idéal  où « l’important c’est de gagner le match ». L’argent n’est pas encore roi ou plutôt disons que dans le sport contrairement à une idée reçue, l’argent ne fait pas le bonheur du titre. Le sport est ontologiquement somptuaire. Ici, et à travers la figure entre autres de Pat Riley (Adrien Brody), on se cogne à une réalité souvent peu évoquée du sport, son génie à inventer, à réfléchir l’action où il faut être davantage Sun Tzu que le Loup de Wall Street. L’histoire des Lakers, de ce Graal en forme de bague, obtenu à la fin d’une année aussi rocambolesque qu’éclatante, est un paysage dans le paysage, celui du basketball comme un art urbain où les jeunes Noirs américains tous issus de milieu modeste avaient enfin leur mot à dire, leur tragique aussi et trouvaient dans la rivalité entre Magic Johnson et Larry Bird – le joueur blanc du Midwest des Celtics – de Boston, la traduction sans égal d’un affrontement familier. Winning Time est une série sur un temps certes révolu, où le cœur battant de ce basket made in USA résonne à chaque épisode, où le rythme saccadé et explosif fait déjà penser au hip-hop, qui bientôt sera sa bande-son. Enfin, elle est l’occasion de regarder les signes du sport, sa poésie et ce « tout-monde » mis en mouvement. Comme on lit l’Odyssée. Le sport et certains de ces récits sont comme des « espaces où l’inspiration devient la politique, des espaces où nous regardons nos rêves se réaliser sur écran géant » comme l’écrit Dave Zirin dans son Histoire populaire du sport aux États-Unis.

A la production : Adam McKay, Kevin J. Messick, Max Borenstein, Scott Stephens, Jim Hecht, Jason Shuman & Rodney Barnes pour Jim Hecht Productions, Steeplechase Amusements, Jason Schuman Productions, Hyperobject Industries & HBO.

Derrière la caméra : Max Borenstein, Rodney Barnes, Jim Hecht & Rebecca Bertuch (scénario). Todd Banhazl & Mihai Mălaimare Jr. (chefs opérateurs). Nicholas Britell & Robert Glasper (musique).

A l’écran : John C. Reilly, Quincy Isaiah, Jason Clarke, Gaby Hoffmann, Hadley Robinson, DeVaughn Nixon, Solomon Hughes, Tamera Tomakili.

Disponible en DVD le : 5 octobre 2022.

Copyright photos : HBO/Netflix/Ringer illustration.