Wild Rose de Tom Harper (III) s’ouvre sur la sortie de prison d’une jeune femme rousse avec des bottes de cow-girl et une veste en cuir à franges. On s’attend à la voir déambuler dans les rues de Nashville avant de comprendre à son accent que nous sommes de l’autre côté de la Manche. Rose-Lynn, interprétée avec force par Jessie Buckley, vit à Glasgow mais se rêve comme chanteuse de country aux États-Unis. Seuls un bracelet électronique, souvenir de prison, et ses deux enfants semblent la retiennent sur place.
Rose-Lynn, une héroïne contenue
L’intérêt du film réside dans le personnage de Rose-Lynn qui occupe tout le film par sa voix, son tempérament explosif et sa force scénique. Pourtant nous voici face à une femme qui ne trouve tout simplement pas sa place à Glasgow, ni en tant que mère ni même en tant que citoyenne écossaise. C’est que Rose-Lynn rêve des États-Unis et de Nashville presque comme une enfant. En attendant, elle se sent contrainte par son entourage, les conventions, et l’étroitesse de la ville. De nombreux plans suggèrent cet étouffement, à commencer par la séquence de la prison, lorsqu’un garde l’observe brièvement par la porte de la cellule. Quelques instants plus tard, Rose-Lynn chante derrière une toute autre cloison, une boite aux lettres, pour annoncer son retour à son amant. Même en quittant la prison, Rose-Lynn reste contenue et empêchée d’avancer.

© SND
Mais qu’est-ce qui peut bien la retenir exactement ? S’agit-il de Marion (Julie Walters), sa mère, qui lui souhaite un futur loin de la scène ? De ses deux enfants dont elle a accouché alors qu’elle n’était qu’une adolescente ? De sa nationalité écossaise, comme elle l’explique à Bob Harris (jouant son propre rôle) ? Des barrières invisibles entre les classes sociales ? D’elle-même ? Le film semble plutôt pencher pour cette dernière hypothèse, et de fait, referme réellement l’histoire autour de son héroïne dans un récit malheureusement plutôt convenu. La narration se concentre en effet sur l’évolution de Rose-Lynn, dans une sorte de chemin initiatique qui met du temps à se mettre en place. Malgré la comparaison avec A star is born sur les affiches du film, Wild Rose ne s’intéresse pas tant au succès de son héroïne – et l’ignore même – pour compter plutôt son évolution en tant que femme. D’ailleurs l’opposition entre les deux titres le confirme : l’un annonce la naissance d’une force inatteignable, l’autre la croissance d’une fleur qui enfonce ses racines profondément dans la terre.
La country, trois accords et la vérité
Rose-Lynn trouvera cependant la force d’évoluer grâce à la country, qu’on se surprend à apprécier d’autant plus lorsqu’elle se met au service des paysages verts et gris de Glasgow. Aussi, les tenues de Rose-Lynn, avec ses bottes de cow-girl blanches, permettent-elles d’incarner son personnage sans que son accoutrement ne paraisse déplacé. La country possède indéniablement sa place à Glasgow et dans le film. En effet, les chansons de la bande-originale charment autant que la voix de Jessie Buckley, et apportent de l’émotion là où il le faut dans la narration. D’après le réalisateur, ce genre de musique agirait comme un « suppositoire pour les personnes émotionnellement constipées », expliquant ainsi sa popularité en Écosse. Et bien que Rose-Lynn ne semble avoir aucun problème à parler, elle ne parvient pas à communiquer ce qu’elle ressent – ce qui explique sa relation compliquée avec sa fille au début du film. Pourtant, la country, ça n’est rien d’autre que « trois accords et la vérité » comme l’arbore Rose-Lynn dans un tatouage sur son bras. Ce leitmotiv guidera autant le personnage que la narration du film, puisque son héroïne semble passer son temps à chercher cette vérité. Aucun problème pour les trois accords, puisque son talent n’est jamais remis en question ; au contraire, tout le monde semble tomber sous son charme sans difficulté aucune – que ce soit sa patronne (Sophie Okonedo), Bob Harris ou encore son avocat…

© SND
Ce tatouage, « trois accords et la vérité », investit l’espace central des plans dans des séquences qui participent ainsi à délivrer le véritable message au coeur du film. Ainsi le remarquera-t-on dans une scène d’étreinte avec ses enfants qui nous laisse penser que la vérité qu’elle cherche se trouve en cet instant, mais aussi lors de la fête d’anniversaire de Susannah, sa patronne, lorsqu’elle refuse de chanter. Cette attention toute particulière accordée au tatouage et à son message imposent donc incontestablement l’idée d’une seule vérité morale. En effet, Rose-Lynn aurait pu lancer sa carrière lors de cette fête d’anniversaire, mais cela n’aurait pas été moral (à cause de son fils blessé, ou de ses mensonges auprès de Susannah). Le film démontre donc clairement les liens indéfectibles qui unissent succès et moralité sur un canevas scénaristique profondément américain dans ses intentions premières.
Conventions et bien-pensance
Le début du film laisse présager un film anglais dans une veine sociale relativement attendue. Mais il suffit que Rose-Lynn fasse étalage de ses rêves américains pour mettre à jour les « irrégularités » du film. Certes, le personnage principal ne mène pas une vie des plus simples. En effet, Rose-Lynn sort à peine d’un an de prison, et doit rapidement trouver un travail pour s’occuper de ses deux enfants qui préfèrent bien plus la compagnie de leur grand-mère. Par ailleurs, de nombreux obstacles parsèment sa route à divers moments de l’intrigue, obstacles qu’elle finit toujours par contourner « miraculeusement ». On la voit ainsi aménager son appartement pour attester de ses efforts auprès de sa mère et de ses enfants, mais les scènes qui suivent contredisent cette évolution, puisqu’elle décide de se concentrer sur son travail à défaut de passer du temps avec sa famille. Elle parvient finalement à résoudre ce dilemme lorsqu’elle choisit de quitter Nashville pour retrouver sa famille à Glasgow. Ce choix moral se voit alors récompensé.

© SND
En effet, deux années se seront écoulées entre temps. Nous découvrons Rose-Lynn sur scène, jouant une chanson de sa composition à la guitare. Mais pourquoi nous cacher ses efforts (apprendre la guitare, écrire des chansons) ? Tout lui réussit si facilement que l’aspect moral du film s’en trouve artificiellement renforcé : il suffit de bien agir (c’est-à-dire de rester avec sa famille et de dire la vérité) pour que la vie nous octroie son plus grand sourire. Ce message, certes convenu, finit malheureusement par cloitrer le film dans un carcan de conventions qui sclérosaient déjà son héroïne au début du film. Il aurait alors peut-être été plus intéressant d’explorer la relation entre Susannah et Rose-Lynn. En effet, le scénario n’explicite jamais réellement leur amitié, au point de donner parfois l’impression que la première utilise la seconde pour se donner bonne conscience ou même pour retrouver l’illusion d’une jeunesse passée trop vite. Cependant, la scène qui met fin à Wild Rose laisse plutôt penser que les personnages ont conservé une bonne relation, sans explorer les problèmes de classe pourtant évoqués par Marion. Wild Rose effleure ainsi bon nombre de problématiques sociales complexes pour ne faire le choix que d’une fin bien-pensante. Les spectateurs devront donc se contenter d’une narration bien trop convenue qui dessert un protagoniste féminin pourtant particulièrement fort. Les amateurs de country se consoleront quant à eux avec les chansons interprétées par Jessie Buckley. Vous pouvez oublier A star is born, donc…