Après son passage à la réalisation via l’animation avec Jack et la Mécanique du cœur en 2014 (co-réalisé avec Stéphane Berla), Mathias Malzieu nous revient au cinéma en adaptant son roman Une Sirène à Paris (éd. Albin Michel, 2019). Il signe là son œuvre la plus fantasque mais aussi la plus intimiste, témoignant de son amour envers les créatures, quelles qu’elles soient. La mise en scène de Malzieu, des plus farfelues, aux nombreux effets spéciaux prodigieux, se met au service d’un univers singulier et d’une histoire pleine de bons sentiments. Cette attendrissante fable moderne sur les aléas de l’existence comporte parfois des maladresses et des fautes de mauvais goût dans sa forme comme dans son écriture. C’est bien la sincérité de l’auteur qui finit par nous convaincre de la cohérence artistique de son œuvre et de son univers.
Gaspard, un jeune chanteur parisien au cœur brisé, se produit tous les soirs au cabaret-péniche le Flower Burger, un lieu fantastique où la magie pourrait bien devenir réalité. Après de nombreux déboires sentimentaux, l’artiste chagrin ne croit plus en l’amour jusqu’à ce qu’une sirène du nom de Lula échoue sur les quais de Seine, blessée à la nageoire. Cette dernière, pour se protéger des êtres humains, dispose du pouvoir de faire exploser le cœur des hommes qui tombent amoureux de sa beauté et de son chant. C’est le début d’une histoire d’amour impossible entre les deux créatures…
C’est une histoire d’amour impossible entre deux êtres qui ne veulent pas tomber amoureux et se sacrifient en pensant d’abord à l’autre. Alors, oui, ce sont deux héros romantiques.
UNE POP SONG
Comme pour son premier film, Mathias Malzieu, désormais metteur en scène, propose une histoire simple et naïve avec une palette de personnages décalés qui gravitent autour d’un héros en manque d’amour, d’imagination et de magie. On prend plaisir à (re)découvrir l’univers incroyable de l’artiste, disséminé ici dans chacun de ses personnages, le tout avec humour et fantaisie. On pense évidemment au cinéma de Caro et Jeunet dans sa façon de portraiturer finement ses protagonistes, à croquer de façon très cartoonesque des personnages hauts en couleur. Le casting, impeccable dans sa composition, donne chair à une galerie de caractères pittoresques, à commencer par Nicolas Duvauchelle en artiste torturé. La jeune actrice, Marilyn Lima, croisée dans la série Skam, diffusée en France depuis 2018 sur France.tv Slash, quasi inconnue du public cinéphile, dégage un naturel hors-norme et fera fantasmer les jeunes générations par sa beauté généreuse. N’oublions pas la présence de Tchéky Karyo dans le rôle du père du héros et propriétaire du Flower Burger, un homme « sage » qui souhaiterait redonner à son fils le goût de vivre,et bien sûr l’extravagante Rossy de Palma en voisine excentrique. Seul faux pas au casting, Romane Bohringer incarne Milena, une « méchante » trop caricaturale au point de provoquer involontairement les rires du public. Mais c’est là bien peu de choses, en comparaison de la contribution globale de la distribution à l’univers de Malzieu. Le cinéaste construit ainsi un monde à partir d’un rêve tissé de fils narratifs dans un souci de clarté et de compréhension, revenant sans avoir l’air d’y toucher à la composition musicale. Car oui, Une Sirène à Paris est avant tout une « pop song », comme il le reconnaît lui-même, « une histoire simple mais distordue » sur une relation amoureuse improbable mais possible. A la suite de ses comédiens, on se laisse emporte dans son univers totalement à part, qui mêle ses rêves, ses fantasmes et sa vie et dans lequel il nous embarque avec une magnifique poésie. Mathias Malzieu mélange avec une infinie délicatesse l’amour, l’humain et la musique.

© Thibault Grabherr/Sony Pictures Entertainment France

© Thibault Grabherr/Sony Pictures Entertainment France
DU KITSCH AU FÉÉRIQUE
Une Sirène à Paris puise sa force dans l’esthétisme qui le traverse minutieusement tout du long. L’ouverture du film en animation, d’une beauté magistrale fait bien sûr écho à son premier film. La mise en scène, tape à l’œil et efficace, sous influence d’un certain cinéma français des années 90 – on pense notamment aux productions de Luc Besson et de Jan Kounen – convaincra l’œil du spectateur de plus de trente ans, déjà habitué à l’utilisation abondante des gros plans, des travellings improbables ou par une palette de couleurs proche de celle utilisée par Bruno Delbonnel pour Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain (2001), mais sans doute de mauvais goût pour un public novice. Malzieu fait preuve d’une excellente maîtrise dans sa mise en scène, par son sens du cadre, du montage, et surtout du son – l’artiste assure d’ailleurs la composition de la bande originale de son film avec Olivier Daliot (collaborateur régulier de Joann Sfar)pour faire chanter et danser ses acteurs. Malheureusement il en oublie d’écrire une histoire qui tienne vraiment la route. Malgré la sincérité de ses auteurs, le scénario co-écrit par Stéphane Landowski, et ses promesses romanesques, pèche un peu dans son déroulement finalement trop programmatique. Une Sirène à Paris commence en effet à la façon d’un conte mâtiné de fantastique pour s’achever sur une touche un peu niaise – on en veut pour preuve les apparitions maladroites de la mort du compagnon de Milena joué par Alexis Michalik qui plombent le film et desservent complètement le fil narratif du conte. De plus, Malzieu se perd dans une trop grande diversité de thèmes – au-delà du sentiment amoureux – qu’il ne maîtrise pas totalement, comme le deuil, la construction de soi, la différence, le poids de l’héritage, etc.
Faute de temps, le cinéaste les abandonne pour la plupart trop rapidement en cours de route. Ces quelques maladresses, pleines de bonnes intentions, ne portent cependant pas ombrage à un film dans l’ensemble très féérique, servi par des situations amusantes à souhait et des dialogues fous dont émane une magie qu’on ne retrouve plus guère à l’écran depuis quelques temps. Une Sirène à Paris c’est donc quoi ? Une dose de beauté, de folie, de maladresse, de n’importe quoi, d’inattendu et surtout d’amour. Ce n’est pas l’œuvre d’un simple réalisateur mais celle d’un artiste amoureux. On pourrait donc, certes, lui reprocher sa naïveté, mais il est rare de pouvoir voir et faire vivre un film honnête à la hauteur de son auteur. Merci à vous, monsieur Malzieu, de partager ne serait-ce qu’une petite once d’amour grâce à un film dont l’existence même semble aujourd’hui relever d’un pari ambitieux dans le paysage du cinéma français contemporain.

© Sony Pictures Entertainment France
Une Sirène à Paris (2020 – France) ; Réalisation : Mathias Malzieu. Scénario : Mathias Malzieu et Stéphane Landowski d’après l’œuvre de Mathias Malzieu. Avec : Nicolas Duvauchelle, Marilyn Lima, Rossy de Palma, Tchéky Karyo, Romane Bohringer et Alexis Michalik. Musique : Dinoysos et Olivier Daviaud. Cheffe opératrice : Virginie Saint Martin. Production : Grégoire Melin et Sébastien Delloye. Durée : 102 minutes.
En salle le 11 mars 2020.
Copyright photo de couverture : Thibault Grabherr/Sony Pictures Entertainment France.