Un film avec Nicolas Cage, ce n’est pas à mettre entre toutes les mains. C’est un truc d’initiés, un secret que l’on se refile sous le manteau d’un air gourmand. « Au fait, tu as vu le dernier Nicolas Cage ? » Nul besoin de préciser le scénario, le réalisateur, ni même le titre du film ; la présence de Nicolas Cage suffit à titiller l’intérêt du cinéphile sur le mode de la boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber. C’est ce frisson provoqué par son seul nom qui, depuis des années, permet à Nicolas Cage de continuer à tourner plusieurs films par an malgré une filmographie aussi aléatoire qu’une semaine de Luke Rhinehart. Dernière pierre ajoutée au monument biscornu qu’est sa carrière : Un talent en or massif de Tom Gormican, une comédie méta et sympa qui ravira les fans du bonhomme.Et peut-être d’autres aussi.
DOUBLE JE(U)
Il est des acteurs dont on admire la capacité à se transformer à chaque film, à se fondre dans chaque rôle avec un tel masochisme qu’on se sent un peu obligé de leur donner des statuettes dorées pour compenser. Et puis il y a ceux, plus rares presque, qui ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils restent eux-mêmes. Leur personne est devenue un totem intouchable ; leur jeu, un refrain que les fans connaissent par cœur. Plus que des acteurs, les voici devenus de purs objets de pop culture, canonisés de leur vivant. Gloire à Liam Neeson, gloire à The Rock et à tous ces acteurs qui ont fait de leur personnage à l’écran un registre cinématographique à part entière [un jour, il y aura un rayon « Films avec Liam Neeson » à la Fnac, c’est incontournable]. Mais c’est au premier d’entre eux que l’actualité nous pousse à rendre hommage : Nicolas Cage, l’insatiable de travail, le boulimique de nanars, Nick Cage pour les intimes. Nous l’avions laissé en couple libre avec un cochon truffier (Pig, de Michael Sarnoski), un objet filmique non-identifié comme il en raffole mais qui – miracle ! – le plaça cette fois-ci dans les candidats possibles aux fameuses statuettes. En vain. Il y a de quoi désespérer…
Ça tombe bien : c’est précisément là que nous le retrouvons au début de The Unbearable Weight Of Massive Talent (le titre français est si laid que vous nous excuserez de ne jamais l’employer dans cette chronique). Nicolas Cage (joué par Nicolas Cage) est au bord de la dépression. Il se voit refuser un rôle qu’il imaginait être celui de sa vie. Un peu oublié et ruiné, voilà ce qu’il est. Et has been, surtout, aussi bien pour le milieu du cinéma que pour ses proches. Il embarrasse. Il tourne sans passion des nanars, conscient qu’il va sur les plateaux comme on va à l’usine, pour payer ses factures. Il a envie de tout arrêter. Son agent (Neil Patrick Harris) lui propose alors un dernier contrat : faire acte de présence à l’anniversaire d’un fan fortuné (Pedro Pascal), une sorte de « meet and greet » privatif qui lui permettra de régler ses dernières dettes avant de tirer sa révérence. Ok. Mais surprise : le fan en question est en réalité un dangereux trafiquant d’armes et voici Nicolas Cage engagé par la CIA pour jouer les agents infiltrés. En somme : Nicolas Cage (le vrai) joue Nicolas Cage (le personnage) contraint de jouer un double jeu. Peut-être est-il là, ce rôle en or massif qu’il attendait tant…


UN NICOLAS CAGE A FAIT LE PRINTEMPS
Trois crans au-dessus des Easter eggs (tout à fait de circonstance pour cette sortie de Pâques) et roublardises habituelles du fan service, The Unbearable Weight Of Massive Talent est donc un film méta. Un long-métrage dans lequel l’acteur principal joue son propre rôle, à la recherche du projet qui relancera sa carrière. Bien entendu, il sera question au cours de l’histoire d’un film dans le film, et vous aurez droit à la scène de l’avant-première de rédemption. Cliché ? Oui, aussi volontairement que goulûment. Car ce qui est bien, lorsque votre projet se résume à placer une version clichée de Nicolas Cage dans un cliché de film avec Nicolas Cage, c’est que rien ne vous est réellement interdit. Vous pouvez tout à fait passer 110 minutes à enfoncer des portes ouvertes à coups de pied, un flingue dans chaque main, sans vous trahir. C’est là le principal trait de caractère du film, une trame grossière et joyeusement régressive, d’autant moins originale qu’elle multiplie les échos à la filmographie de son protagoniste. Il y aura des courses-poursuites, des latinos avec des accents aussi naturels que leurs tatouages sur le torse, des scènes de baston, des otages ligotés dans une cave, des déguisements, de grosses voitures et Nick qui hurle. Bref, tout ce que l’on peut raisonnablement attendre d’un film avec Nicolas Cage. Les fans se régaleront.
Quid des autres ? Leur est-il possible d’apprécier ce film sur Nicolas Cage, avec Nicolas Cage dans le rôle de Nicolas Cage, produit par Nicolas Cage, en n’ayant qu’une vague connaissance de la carrière de Nicolas Cage ? La réponse est oui : il faut bien justifier la sortie en salles obscures de ce film de niche, qui aurait semblé bien plus Cage en sortant directement sur une plateforme. Tous les ingrédients ont donc été savamment choisis et dosés pour faire de The Unbearable une hirondelle, un signe avant-coureur de la saison cinématographique estivale. Le film en a tous les attributs les plus charmants : une ambiance décontractée, des répliques et situations amusantes, mais aussi et surtout un formidable tandem de protagonistes. En effet, bien qu’il soit le centre du film, Nicolas Cage a eu l’intelligence, la générosité, de ne pas faire du reste du casting de simples donneurs de répliques. Si certains ronronnent sans éclat (Neil Patrick Harris), d’autres affichent un réel plaisir d’être là qui participe pleinement à la sympathie qu’inspire le film. Mention spéciale à Pedro Pascal, toute en bouille, tour à tour adorable et menaçant et charmant et touchant, pas intimidé pour deux sous par la légende auto-proclamée à qui il donne la réplique, légende dont il n’hésite pas à squatter la lumière. Il est le soleil du long-métrage, le pendant parfait d’un Nick Cage délicieusement paumé. Alors oui, tout est téléphoné, tout est grossier, mais tout est assumé. N’importe quelle balourdise semble charmante lorsqu’elle est brandie avec tant d’enthousiasme. S’il ne changera pas votre vie, ni même votre année ciné, The Unbearable changera peut-être votre regard sur Nick Fuckiiiiiiiing Cage. C’est déjà pas mal, franchement.
A la production : Kevin Turen, Nicolas Cage, Samson Mucke, Mike Nilon & Kristin Burr pour Lionsgate, Burr! Productions & Saturn Films.
Derrière la caméra : Tom Gormican (réalisation). Tom Gormican & Kevin Etten (scénario). Nigel Buck (chef opérateur). Mark Isham (musique).
A l’écran : Nicolas Cage, Pedro Pascal, Tiffany Haddish, Sharon Horgan, Paco Leon, Neil Patrick Harris, Lily Mo Sheen, Alessandra Mastronardi.
En salle le : 20 avril 2022.