Longtemps refusée par Tom Cruise, afin de ne pas s’enfermer dans une marque, la suite du film culte des années 80 Top Gun débarque enfin dans les salles obscures, son acteur collectionnant désormais les franchises à la pelle. Trente-six ans ans plus tard, Maverick est-il finalement rentré dans le rang ?
Plus qu’une nouvelle franchise dans sa filmographie, Top Gun : Maverick est avant tout le film de la renaissance pour Tom Cruise sous deux aspects. Premier enjeu : faire réapparaître Pete Mitchell plus de trente-cinq ans après les événements du long-métrage de Tony Scott. Cette nouvelle incarnation de l’aviateur suggère alors une mise en perspective du film de 1986, mais également de la carrière de l’acteur-cascadeur. Deuxième enjeu : faire réapparaître la star dans le milieu cinématographique après quatre ans d’absence. Disparu des écrans depuis 2018 avec le sixième opus de sa franchise Mission Impossible, notamment à cause de l’épidémie de Covid-19, repoussant tournages et dates de sortie indéfiniment, Cruise doit réaffirmer sa popularité au box-office. Une présence de l’acteur si importante qu’elle éclipse le possible intérêt artistique de faire revenir Maverick trois décennies plus tard, au profit d’un argument plus financier dans un milieu économique qui observe les franchises et les eighties comme deux eldorados. Encore une fois dans une production de Tom Cruise, il y a le pilote à l’écran et le pilote derrière l’écran.
MAVERICK, ÉTERNEL REBELLE
À la demande de son ancien meilleur ennemi Iceman (Val Kilmer), Pete Mitchell doit entraîner une équipe de jeunes diplômés pour une mission impossible. Lorsqu’il découvre que la formation à lieu à l’académie Top Gun et que le fils de Goose fait partie du groupe à former, l’introspection sera de mise pour Maverick. Dans cette narration assez conventionnelle, flirtant avec la franchise d’Ethan Hunt – et dont l’intérêt principal est surtout de rappeler le premier volet – Tom Cruise reste fidèle à lui-même. L’acteur ne déroge pas à sa règle : offrir un véritable moment de cinéma au-delà des impératifs de production, notamment avec un énorme travail d’immersion au sein des véhicules à piloter dans les airs. Entre un montage classique mais rythmé, de nombreux plans d’ensemble nets afin de mettre l’accent sur les espaces aériens, un important travail sonore, des caméras embarquées sur les véhicules permettant d’obtenir en gros plan le véritable ressenti des interprètes, Kosinski succède sans honte à Scott (le visuel publicitaire et le propos social différents). L’introduction du film, oscillant délicieusement vers des notes mélancoliques, prouve que le réalisateur d’Oblivion (2013) serait un meilleur metteur en scène pour le projet spatial de Tom Cruise que Doug Liman.
Malheureusement, toutes ces prouesses visuelles ne rattrapent pas la volonté du long-métrage de surtout surfer sur la gloire passée(voire datée) du film de 1986, en espérant obtenir les mêmes résultats financiers. On y retrouve tous les défauts classiques de ce genre de production: reprise à l’identique de scènes cultes, apparition d’ancien sprotagonistes sans grande motivation narrative, présence d’une version jeune des personnages du précédent opus, réutilisation de la bande originale et de classiques musicaux de l’époque, incapacité à faire évoluer ses personnages phares depuis le premier volet, etc. Si on peut comprendre la volonté de ne pas toucher à la psychologie de Maverick pour souligner son côté éternel rebelle, l’enfermer complètement dans une boucle temporelle finit par lasser. Hormis les exploits visuels, le film aurait très bien pu sortir vingt ans plus tôt. Si le long-métrage de Scott présentait les glorieuses années reaganiennes, le deuxième se démarque par son manque de contemporanéité. L’ennemi est peu identifiable, la notion de cyberguerre présente en introduction peu exploitée au final, les enjeux idéologiques amoindris. L’ensemble souhaite uniquement divertir, sans jamais faire réfléchir. Des intentions décevantes alors que les sujets du film n’ont jamais été autant d’actualité (situation en Ukraine, recherche sur l’intelligence artificielle, idéologie élitiste remise en question).


QUAND L’ESPRIT MANQUE À TOM CRUISE
En se lançant dans l’aventure d’un nouveau Top Gun, Cruise recherchait à son habitude de nouvelles prouesses à accomplir. Cette fois, l’acteur intrépide pilote de véritables avions de chasse, performance d’ailleurs documentée dans un matériel promotionnel omniprésent. Toutefois, cette prouesse se heurte au thème central du long-métrage : faire de l’élève indiscipliné un professeur rentré dans le rang. Entre la volonté des studios de réitérer l’exploit du succès au box-office de 1986 et le refus de la star d’incarner des personnages vieillissants, Top Gun : Maverick loupe volontairement le coche de l’introspection pour offrir la même recette trente-cinq ans plus tard. Cette version de Pete Mitchell n’est absolument pas différente de celle de la fin des années 80 : il participe à des missions de haut vol, fait du volley-ball torse nu, vit une histoire d’amour adolescente, etc. L’aviateur continue également à avoir des supérieurs au-dessus de lui malgré son statut de professeur, lui permettant d’être toujours aussi indiscipliné qu’irrespectueux. L’échelle de valeurs et les rapports de force n’ont pas changé : Maverick reste un maverick. On peut applaudir la volonté de l’acteur de ne pas se ranger dans les rangs comme attendu par le sujet, lui permettant de rester thématiquement dans la même lignée irrévérencieuse que la création de Scott. Mais on ne peut être que déçu d’observer une œuvre aussi « bas du front » par rapport à ses intentions premières. Malgré le boulevard offert à Tom Cruise pour passer à une autre étape de sa carrière, le long-métrage préfère garder l’esprit de son aîné, quitte à manquer d’esprit.
Aussi bien devant que derrière l’écran, le résultat est le même. Top Gun : Maverick demeure un bon film de la star Tom Cruise, un bon divertissement par son visuel et une bonne suite aux amoureux inconditionnels de l’original de 1986. Cependant, par son incapacité à approfondir ses thématiques abordées, à offrir une perspective au film de Scott/personnage de Cruise et à se détacher du passé pour proposer du futur, le long-métrage manque d’envol. Afin de profiter de la mise en avant médiatique de l’acteur-cascadeur, la Paramount vient de sortir le premier trailer du prochain Mission Impossible, avec quatorze mois d’avance, pour une diffusion avant les séances de Top Gun : Maverick. La nouvelle franchise de la star n’a même pas commencé son exploitation que la nouvelle pointe le bout de son nez. Durant la bande-annonce, nous observons une continuité parfaite avec le film actuellement en salles : un héros combatif à toute épreuve (même face à son propre âge). Toutefois, si la suite de Pete Mitchell a été mise en boîte en 2018, les nouvelles aventures d’Ethan Hunt ont été tournées majoritairement en 2021. Un important écart de trois ans qui risquerait bien d’être fatal pour la célébrité intemporelle, appuyant une phrase prononcée par Maverick dans son nouveau long-métrage : le temps est notre plus grand adversaire.
A la production : Jerry Bruckheimer, Christoper McQuarrie, David Ellison & Tom Cruise pour Paramount Pictures, Don Simpson/Jerry Bruckheimer Films, Skydance Prods & Tencent Penguin Pictures.
Derrière la caméra : Joseph Kosinski (réalisation). Christopher McQuarrie, Ehren Kruger & Eric Warren Singer (scénario). Claudio Miranda (chef opérateur). Hans Zimmer (musique).
A l’écran : Tom Cruise, Miles Teller, Jennifer Connelly, Jon Hamm, Glen Powell, Lewis Pullman, Charles Parnell, Bashir Salahuddin.
En salle le : 25 mai 2022.