Quand devient-on un adulte responsable ? A quel âge le qualificatif « grand enfant » cesse-t-il définitivement d’être mignon pour devenir pathétique ? Ces questions semblent trotter dans la tête de Brie Larson (29 années au compteur), qui en fait le sujet de son tout premier film en tant que réalisatrice. Le passage à l’âge adulte, thématique intemporelle et mainte fois déclinée au cinéma, y est le prétexte à un conte coloré et doux, une gourmandise bien de saison à déguster sur Netflix.
Difficile ne pas aimer Brie Larson, actrice chouchoute des fans de cinéma indépendant, version sympathique de Jennifer Lawrence, récipiendaire d’une charrette de prix en 2016 pour sa prestation de mère courage dans Room et nouvellement promue au statut d’héroïne féministe par Marvel. En somme, tout sourit à la jeune femme que l’on imagine aborder le cap de la trentaine avec sérénité, sinon excitation. Quelle surprise, donc, de la voir se mettre elle-même en scène dans le rôle d’une artiste perdue, poussée à renoncer à sa graine de folie pour revêtir les vêtements d’adulte raisonnable que ses parents, son âge, la société tout entière semblent vouloir qu’elle enfile. L’envie est forte de voir une autobiographie dans ce premier passage derrière la caméra, ce que nous invite d’ailleurs à faire un générique sous forme de fausses vidéos familiales dont les dates collent à la vie de l’actrice.
Pour l’occasion, celle-ci revient à ses premiers amours, au cinéma indépendant de ses débuts auquel elle emprunte un ton doucement décalé, ainsi qu’un sens de l’humour grinçant et mélancolique (mention spéciale pour Hamish Linklater, qui inspire tour à tour câlins et claques avec beaucoup de subtilité). On pense à Michel Gondry, parfois, pour sa poésie graphique, bien que l’ensemble reste esthétiquement plus sage que n’importe quelle Science des rêves. Reste qu’à l’instar de Stéphane, le protagoniste de Gondry, Kit pose sur le monde qui l’entoure un regard candide, donnant lieu à de jolies scènes sur le monde professionnel. Plantée devant une photocopieuse qui deviendra son principale interlocuteur, engoncée dans une queue de cheval et un tailleur ternes, elle devient la caricature de l’adulte sérieux, croyant sans doute changer ses inclinaisons en changeant de look. Le film joue d’ailleurs beaucoup sur les contrastes, comme pour mieux matérialiser la haie que Kit imagine exister entre les adultes et elle, entre le rêve et le quotidien, entre la folie et la nécessité, entre elle -l’artiste- et Virgil, employé d’un magasin de bricolage (formidable Mamoudou Athie). En somme, entre une licorne et un aspirateur.

Tous les éléments étaient là pour faire de Unicorn Store un film américain à la morale tissée de fil blanc, une ode aux exclus, aux loosers, aux rejetés du système, aux cylindres incapables de rentrer dans le trou carré. Ne laisse personne te dicter qui tu es, you were born this way, encore et toujours. Et de voir Kit imposer dans son open-space à moquette ses tenues excentriques et son amour des paillettes, sa licorne laissée sur le parking. Tel n’est pas le chemin suivi par Brie Larson, et c’est là un des charmes principaux de son film. Oui, il faut bien grandir, nous dit-elle, mais l’âge adulte n’est pas forcément un renoncement. Non, on ne change pas l’entreprise, c’est elle qui nous change, ou pas. Peu à peu, Kit se rend compte qu’elle peut mûrir sans se trahir et que la capacité d’émerveillement de l’enfant reste pour peu qu’on le décide. De là, il est logique de la voir détruire sa cabane de petite fille (pour mieux la faire renaître de ses planches sous une autre forme) et dire adieu au rêve de ses jeunes années, troquer un ami hypothétique à quatre pattes pour le véritable amour d’un vrai bipède.
La comédie romantique n’est cependant pas ce qui sied le mieux à Brie Larson, et l’on fait la moue face à un dénouement à la forte odeur de guimauve. Soudainement, la licorne -jusque-là métaphore assumée de l’enfance et de la créativité- incarne la solitude de la protagoniste, pour mieux justifier que l’amour soit le déclic à son évolution. Voilà un tour de magie dont on se serait bien passé, tout comme on aurait préféré éviter la prise de position qui consiste à faire de la licorne un véritable animal de chair et d’os, qui existe pour de vrai, même que Virgil aussi il l’a vue. A croire que la maturité vient forcément avec le couple, et que l’amour repose moins sur la confiance que sur un constat visuel en bonne et due forme. Et dire qu’on avait cru pendant une heure que le charme de Kit résidait précisément dans son exubérance !
Malgré cette conclusion un peu grossière, l’on retient de Unicorn Store un premier essai réussi, sincère et attachant jusque dans ses défauts, porté par un casting impeccable (Samuel L. Jackson, incapable d’être ridicule, semble-t-il). A croire qu’elle sait vraiment tout faire, Brie, même devenir adulte avec panache.

Pour aller plus loin
E. PHIPPS, Selwyn. (2019). Le grand livre des licornes : Manuel officiel. éd. Gallimard Jeunesse