The Last Hillbilly présenté par l’Acid à Cannes, est un documentaire de Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe. Durant plusieurs années, ils ont filmé et écouté Brian Ritchie et sa famille, des Hillbillies – que l’on peut traduire par péquenaud – reclus dans une mythologie sans écho dans le présent, égarée dans l’imaginaire d’un Kentucky défunt.
Tout s’achève par le titre. The Last Hillbilly est ainsi une sentence de crépuscule où le paysage américain est pulvérisé en pixels. Némésis s’est penchée sur les Appalaches et en déesse vengeresse, elle a soufflé des cendres sur les habitants de cette contrée, le Kentucky, appelée par les Indiens, « terre de demain » – Ken-tha-ten. Demain, est le ici d’un horizon sans avenir, une perte de vue où tous les regards s’éteignent dans une nostalgie éclairée par les fantômes plus que par les souvenirs. On respire l’air suffocant de l’effacement. Si on relie forcément The Last Hillbilly au livre de Fenimore Cooper Le Dernier des Mohicans, c’est dans cette dette enfouie dans les entrailles de la terre, là où gisent « plus que des hommes, des âmes » sacrifiées aux rêves de suprématie des pionniers. Les mots se métamorphosent : l’injonction faite au Mohican se retourne alors en un « Hillbilly, maintenant il faut mourir ». Ce dernier Hillbilly s’appelle Brian Ritchie, paysan d’un temps, si révolu, qu’il ne le possède qu’en récit. Aujourd’hui, défiguré en « ultime péquenaud », il ne réfute aucun des tabous assignés à ce cliché funeste. Il les déclame même. De l’ignorant au xénophobe jusqu’au consanguin, il les trimballe en folklore jusqu’à affirmer que « Trump et toute cette merde » est sûrement de leur faute. Pourquoi pas ? Il ne se justifie pas. Il ne contredit rien. Il nous laisse avec cette description sans rémission. Après tout, leur sort est jeté. Il reste un mausolée, les animaux empaillés que l’on nettoie affectueusement, les armes sur lesquelles on s’accroche, la nature préservant jour et nuit leurs souhaits inachevés.
Brian ne bavarde pas. Il parle avec une rudesse presque chamanique celle de ceux qui ne resteront pas. Il est une voix brute qui figure une disparition inéluctable. Dès les premières minutes, ses mots nous étreignent. Ils sont une invocation. On est hypnotisé et interdit devant cette vibration d’abime qui rappelle l’éraillement du clochard du Jesus’s blood never failed me yet de Gavin Bryars. Brian Ritchie parle dans cette tonalité dissonante pour ceux qui avancent droit vers le futur. Il articule en thaumaturge. Le paysage défile ou plutôt se dérobe sous cette incantation. Les cinéastes refoulent l’artifice du regard condescendant. Les Hillbillies ne sont pas humbles par éthique, ils sont misérables d’être restés dans cette utopie géographique devenue scorie au Capital. Les mines sont fermées depuis bien longtemps, et tout ce qu’ils représentent, des « pick-up » au drapeau confédéré, les sépare d’un monde où ils sont oblitérés. Les cinéastes insistent sur cette réduction, ils mutilent le cadre dans un format lui aussi d’un autre temps, un quatre-tiers qui appelle déjà l’archive. Dans ces plans sans espace, l’état d’âme de ces marginaux du Nouveau Monde ressemble au silence des photographies. « Bouzgarrou et Jenkoe » souhaite l’éclaircie, ils ne la forcent pas. Sans vraiment l’apporter, les enfants, eux, dans une lucidité inexorable trouvent dans l’humour morbide, la résistance nécessaire à cette vie vécue sur un tombeau. The Last Hillbilly est une œuvre où l’on comprend de façon impardonnable les mots d’Ernst Bloch : « Mais le danger auquel l’égarement expose l’errant, celui d’y laisser la vie, est aussi le tribut qu’il doit payer au Nouveau. »
The Last Hillbilly (2020 – France, Qatar) ; Réalisation et scénario : Thomas Jenkoe et Diane Sara Bouzgarrou. Avec : Brian Ritchie. Chef opérateur : Thomas Jenkoe. Musique : Jay Gambitt. Production : Jean-Laurent Csinidis – Films de Force Majeure. Format : 4/3. Durée : 80 minutes.
En salle le 9 juin 2021.
Copyright photo de couverture : New Story.