Terreur sur la ville est proposé pour la toute première fois en France en DVD et Blu-Ray en master haute définition. A l’occasion de cette sortie, revenons sur ce petit bijou du cinéma d’horreur qui occupe désormais une place de choix au sein de la prestigieuse collection angoisse de Rimini Éditions.
The Phantom Killer. C’est ainsi que fut surnommé le tueur qui s’abattit sur la petite ville de Texakarna, Arkansas, en 1946. Pendant plusieurs mois, il sema la terreur et la paranoïa au sein de cette paisible communauté. Sa particularité : il sévissait tous les 21 jours. Jamais identifié, il cessa soudainement ses meurtres et ne fit plus jamais parler de lui. C’est de ce fait divers sordide que naît le film Terreur sur la ville, de Charles B. Pierce, habitué aux documentaires (The Legend of Boggy Creek, 1972) et aux films tirés de faits divers (The Evictors, 1979). Réalisé en 1976, soit deux ans avant le cultissime Halloween de John Carpenter, Terreur sur la ville mérite le titre de proto-slasher : un psychopathe masqué, des victimes adolescentes surprises en train de fricoter dans leur voiture, des policiers dépassés par les événements, l’utilisation de la vue subjective… Les principaux ingrédients du genre sont déjà là. Oncle du slasher et père du found footage, Charles B.Pierce est trop peu connu au regard de son apport au cinéma d’horreur. Au-delà de cela, que retenir du film en lui-même ? Pourquoi faut-il revoir Terreur sur la ville ?
HISTOIRE D’UN SLASHER
Entre documentaire, enquête policière stagnante et slasher en devenir, le rythme de Terreur sur la ville reste soutenu tout du long. « Inspiré de faits réels ». Cette étiquette terrifiante est ici utilisée pour donner au film le ton d’un documentaire : « film de caractère didactique ou informatif qui vise principalement à restituer les apparences de la réalité », selon le dictionnaire technique du cinéma de Vincent Pinel. Tous les codes du genre sont respectés : une voix off monocorde qui sert de narrateur, des plans larges qui illustrent le calme ou la frénésie, des figurants anonymes. Le tout dans le but de donner l’illusion du vrai. Le film, comme le tueur, porte un masque, celui de la réalité. Ces séquences sont entrecoupées de scènes plus cinématographiques qui nous plongent au cœur de l’enquête enchaînant scènes de crimes toujours plus violentes et pataugements de l’enquête.
Les quelques séquences qui lorgnent vers la comédie ne manquent pas d’humour, mais ne nuisent pas à l’ambiance horrifique. La menace tapie dans l’ombre est en effet constante. La caméra adopte le point de vue du tueur nous laissant entendre sa respiration, ce qui place le spectateur en position de voyeur voire de complice. A cela s’ajoute un léger tremblement de caméra comme pour imiter le regard du meurtrier posé sur ces futures victimes. Terreur sur la ville enchaîne les meurtres sanglants parfaitement mis en scène, avec des séquences glaçantes à souhait – on notera la scène du trombone qui laisse sans voix. La photographie de James W. Roberson contribue à la réussite du film, grâce à des décors insolites et une reconstitution convaincante de l’Amérique de l’après-guerre. Le faux documentaire est convaincant, ce qui permet de créer une tension permanente autour d’un fil rouge. Bref, Terreur sur la ville est le récit d’une histoire vraie.


LA TERREUR À PEU DE FRAIS
Terreur sur la ville rappelle combien il est doux de s’effrayer d’un rien. Le budget est mince mais Pierce choisit, pour les rôles principaux, deux acteurs qui portent le film et offrent une performance solide : Ben Johnson, acteur de western oscarisé et prolifique, donne la réplique à Andrew Prine, un collègue de l’Ouest davantage porté sur les séries télévisées.
Le film, du fait de ses moyens limités, ne peut se permettre de trop en montrer et Pierce le sait. Ainsi, les dialogues servent à poser certains éléments du décor : la pluie, la nuit, les graviers, la boue. Terreur sur la ville cherche à tout dire pour ne rien avoir à montrer. Ce qui peut apparaître comme une entreprise pour le moins hasardeuse fonctionne parfaitement dans ce film à la croisée du documentaire et du témoignage fictif. La réalisation repose, dès lors, sur la suggestion. On suggère la présence du tueur par un mouvement de caméra rapide ou une réplique (« Tu as entendu ce bruit, chéri ? ») ; la souffrance de la victime, par une tache de sang ou une arme un peu trop sophistiquée.
Pierce s’amuse de cela et va plus loin en suggérant la présence dans le commissariat d’un ventilateur dont on ne voit que l’ombre du mouvement projetée sur tous les murs. Cet effet crée le sentiment d’une présence et, de fait, une tension s’installe même dans les scènes les plus banales. Les couleurs franches attirent l’œil sur des détails : des yeux bleus sous un masque blanc, un intérieur de voiture rouge dans la nuit noire, une voiture verte qui roule vite, une rouge qui peine à démarrer…
Ce léger trouble qui enrobe tout film d’horreur est ici parfaitement maîtrisé, il est dans une respiration qui s’accélère sans raison, un coup de feu dans la nuit, une fête qui réunit un peu trop de monde, une voiture qui ne roule pas assez vite, un essuie-glace qui coupe le champ de vision ou encore un champ de maïs qui empêche toute visibilité. A cela s’ajoute un dernier élément de narration : le tueur rôde toujours. Ainsi, la dernière image d’un homme qui boite sur un trottoir bondé procure un frisson dans la nuque et une légère crainte du crépuscule.
Terreur sur la ville a le charme de ces films d’horreur à petit budget qui nous viennent du fond des États-Unis, un endroit un peu perdu, un peu inconnu, au fond du Texas ou de l’Arkansas. Des pavillons avec portes moustiquaires, un cinéma où se forment les couples, un shérif avec chapeau et étoile, des voitures qui roulent trop vite avec des jeunes à l’intérieur et des champs tout autour. Il n’y a que dans ce décor idéalement ordinaire que peut naître le fait divers, le crime, le meurtrier fait monstre pour le cinéma. Avec cette édition, Rimini nous emmène à la naissance du film d’horreur moderne et nous replonge dans un classique qu’il est bon de voir et revoir, encore et encore.
A la production : Samuel Z. Arkoff, Tom Moore & Charles B. Pierce pour AIP & Charles B. Pierce Film Productions.
Derrière la caméra : Charles B. Pierce (réalisation). Earl E. Smith (scénario). James W. Roberson (chef opérateur). Jaime Mendoza-Nava (musique).
A l’écran : Ben Johnson, Andrew Prine, Dawn Wells, Jimmy Clem, Jim Citty, Charles B. Pierce, Robert Aquino, Cindy Butler.
Disponible en Blu-ray le : 17 février 2022.