Dans le documentaire Itinéraire d’un ciné-fils (1992) de Pierre-André Boutang et Dominique Rabourdin, Serge Daney réfugié derrière une épaisse fumée de cigarette résumait le deuxième opus de Terminator à « un film à la mythologie en panne ». Les incantations de l’oracle regretté du cinéma d’auteur sonnent ici comme une interprétation astucieuse mais un peu facile du mythe de l’homme-machine. Car, tout blockbuster qu’il est, le chef-d’œuvre de James Cameron n’en reste pas moins un film aux vertus divinatoires troublantes.
A l’heure du transhumanisme, des drones de combat, et de l’optimisation de l’intelligence artificielle, comment ne pas entrevoir en Skynet et ses androïdes – l’entité fictive de T2 réprimant une humanité aux abois – les prototypes fictionnels des technologies actuelles de l’armement ? Nourri par le cinéma de genre, T2 reste un film d’anticipation à part entière, mariné aux cyber-technologies et à l’huile de vidange où cyborgs, camions, voitures, motos, ou autres hélicoptères, irriguent les artères d’une Amérique crépusculaire. Quand les visions apocalyptiques de Sarah Connor, ferrailleuse endurcie et daronne de John, néo-boss de la résistance, brossent à leur tour le panorama obscur du « jour d’après ».
SARAH CONNOR, UNE PYTHIE RÉVOLTÉE
Sans verser dans la paranoïa, identifier Terminator 2 comme l’un des films d’anticipation les plus conformes au devenir du monde occidental semble loin d’être aberrant. D’une actualité surprenante en matière de technologie, T2 tire aussi sa justesse du nihilisme latent de son scénario, qui s’inspire moins des préoccupations mortifères de Lockheed Martin ou autres géants de l’industrie guerrière que des thèses de Nietzsche ou Schopenhauer. Autre postulat de poids, celui induit par l’humanisation de la machine sonnant comme une alternative au déficit d’empathie dont peine à s’extraire l’humanité souffreteuse de James Cameron. Dès lors, le nihilisme exacerbé de T2 ne cesse d’offrir toujours plus de matière à la fable : la rengaine « no fate but what we make » (« pas de destin en dehors de ce que nous faisons »), gravé d’une main ferme par la Pythie révoltée Sarah Connor, renvoie sans surprise à l’antienne punk « no futur » entonné par les Sex Pistols et, fondamentalement, au look du Terminator lui-même. Affublé d’un ensemble en cuir assorti d’une paire de Ray-Ban Predator et d’une Harley vrombissante, le Terminator 2.0 emprunte sans ciller aux codes de la contre-culture occidentale, jusqu’à en éclipser ses origines cybernétiques. Paradoxe étrange, l’encrage du cyborg dans la réalité culturelle des années 90 revient à donner chair à la machine, se retrouvant in fine convertie à un humanisme que ses contemporains se sont employés sans vergogne à corrompre.


T2, influenceur 1.0 ?
Le goût prononcé de James Cameron pour les hybridations formelles, Avatar (2009) en tête, n’est pas un secret. Patchwork esthétique incandescent, Terminator 2 n’y manque pas et détourne le mythe judéo-chrétien du Jugement dernier à merveille – le sous-titre de ce second volet – en le confrontant in extenso à certains genres picturaux plus classiques comme la vanité ou à d’autres mouvements contestataires tel que le punk et le hip-hop (voir dans le t-shirt « Public Enemy » porté par John Connor un clin d’œil bien senti au groupe de rap du même nom. Les codes de la vanité chers au style baroque ressurgissent, eux, par le prisme des crânes humains piétinés par les cyborgs décharnés esquissés dans les visions de Sarah Connor. Mais, comble du paradoxe, c’est le Terminator qui aura le dernier mot, car selon ses propres termes : « C’est dans [la nature des hommes de se détruire eux-mêmes] ». A l’instar de ce constat laconique, les allégories mortifères de T2 pullulent et ravivent la réalité d’une espèce humaine plus que jamais prisonnière de son système. Bien au-delà du caractère prémonitoire de l’œuvre il est aussi question chez Cameron d’évaluer l’échec des sociétés post-industrielles et de leur fuite en avant progressiste, tout en ébauchant l’horizon fragile d’une civilisation miroitant sa propre agonie. On sent déjà poindre le propos d’Avatar, qui vingt ans après se chargera d’achever la pensée en germe du metteur en scène canadien. Alors T2 film visionnaire ou influenceur 1.0 ?
A la production : James Cameron, Stephanie Austin, B.J. Rack, Gale Anne Hurd et Mario Kassar pour Carolco Pictures, StudioCanal, Lightstorm Entertainment et Pacific Western.
Derrière la caméra : James Cameron (réalisation). James Cameron et William Wisher Jr. (scénario). Adam Greenberg (chef opérateur). Brad Fiedel (musique).
A l’écran : Arnold Schwarzenegger, Linda Hamilton, Edward Furlong, Robert Patrick, Joe Morton, S. Epatha Merkerson, Xander Berkeley, DeVaughn Nixon
Disponible sur : Ciné +.