Comment régénérer la franchise Saw ? Après huit opus qui ont tiré sur la corde d’une formule épuisée sans jamais vraiment la bousculer, Spirale rêve de proposer à la fois un nouveau départ et de nouvelles possibilités pour apporter du sang neuf au Fort Boyard de l’automutilation. Mais en ne changeant que son vernis et sa posture politique, la saga finit dans une impasse et la spirale tourne en rond dès son lancement.
SPIRALE RECYCLE UNE SAGA ENTIÈRE
La contradiction était flagrante dès l’origine du projet : faire un spin-off de Saw « différent et original », en reprenant le réalisateur des deuxième, troisième et quatrième volets, était une cause perdue en soi. Regardons de plus près le pitch de ce nouveau film, officiellement situé après les huit premiers opus de la franchise : un copycat semble imiter Jigsaw en commettant des meurtres au cours desquels les victimes doivent se mutiler pour survivre à des pièges mortels. On notera d’entrée l’originalité promise, puisque c’était exactement le pitch des quatrième et huitième films, soit respectivement le dernier réalisé par Darren Lynn Bousman, et le précédent opus sorti en salle. Les suspects appartiennent au milieu de la police… Comme dans le quatrième volet. La mise en place des pièges est identique – on donne les règles, le temps est compté, un effet gore centré sur une partie du corps – la façon d’amener les retournements de situation – en alternant l’enquête et les flashbacks – est la même qu’avant ; la mise en scène est toujours aussi pauvre ; les effets gores ne sont ni spécialement violents ni vraiment nouveaux. On avance dans le récit de façon si confortable – presque sur des rails – que rien ne provoque notre regard ou ne puisse nous effrayer. Quant à la peur, n’en parlons pas, elle est ici inexistante.
Voici donc un film d’horreur qui propose littéralement du déjà vu, réalisé par la même personne, avec les mêmes histoires recyclées dans une franchise ponctuée de films identiques. La seule chose qui puisse justifier l’existence même du projet Spirale avant de le ranger dans la catégorie des suites inutiles, c’est son propos. Jusqu’ici, les Saw étaient intrinsèquement très consensuels, voire réac’. Au gré des films, des flashbacks et des retcons à répétition, John Kramer (le Jigsaw d’origine, ici cruellement absent) devenait une sorte de vigilante dans son bon droit au lieu d’un boogeyman original comme il l’était dans le premier opus. Ses actes étaient motivés par le comportement de plus en plus irréalistes et inhumains de ses victimes pour que le spectateur puisse jouir de leurs morts dans la complaisance absolue. On ne souffrait pas pour des victimes, on devenait témoins d’une justice droite dans ses bottes alors qu’il était toujours question de torturer des innocents par l’entremise d’un sadique obsédé par les nuances infinies de la douleur que le corps peut endurer. Imaginez les victimes de Freddy ou Jason comme des nazis : ne pouvant plus s’identifier à elles, le serial killer devient par défaut notre point d’accroche et le héros du film. Pire : leurs meurtres n’étaient plus des scènes d’horreur redoutées, mais des mises à mort calibrées pour satisfaire nos plus bas instincts. Plus la sanction est sadique et spectaculaire, plus on applaudit. En répétant la formule à partir du quatrième opus avec un copycat qui s’échappait miraculeusement à la fin de chaque film, la saga prenait la forme d’un Fantômas gore – plus manichéen – qui continuait par les flashbacks à sanctifier John Kramer.


SAW DANS LE SILLAGE DE L’ACAB-PLOITATION
Spirale pose encore une fois la même question : à partir de quel point peut-on justifier les actes de pareil tueur en série ? Offrir en pâture des policiers corrompus à un psychopathe semble a priori être une réponse suffisante. Confier le rôle principal au génial Chris Rock – qui incarne un militant avoué de Black Lives Matter, remet en cause la responsabilité de la police dans la discrimination contre les afro-américains et ponctue les dialogues de vieilles punchlines usées jusqu’à la corde sans jamais faire rire ou produire du sens – constitue déjà un positionnement politique en soi, assez inattendu de la part d’une saga d’horreur arrivée à son neuvième volet. Malgré une réalisation insipide et un scénario « aux fraises », on se plait pendant un temps à déceler une lueur d’espoir. Aurait-on affaire à un film d’horreur qui rentre dans le lard des institutions et de la bien-pensance passive face au racisme comme l’a brillamment démontré Jordan Peele dans Get Out (2017) ? Peine perdue, quand le tueur contredit sa propre logique en cherchant à tuer des flics « propres ». Après quoi le film se permet même de clamer haut et fort son propos – si jamais il existait encore dans la salle la moindre ambiguïté – le problème n’est pour eux pas systémique, car le système est bon de nature. Le vrai problème ? Ce sont les quelques pommes pourries qui font de l’ombre, pas le pommier – un compromis largement répandu dans la pensée libérale américaine actuelle (et même à droite) qui tiendrait debout si les violences subies par les minorités n’étaient pas systémiques. On retiendra d’ailleurs une traduction curieuse – pour ne pas dire autre chose – dans le sous-titrage traduisant le mot « woke » – pourtant déjà courant en France – par « bobo », énième témoignage d’un confusionnisme politique aberrant jusqu’à ce niveau. En avançant ouvertement sur le terrain glissant de la politique, Spirale tente un coup populiste en se faisant passer pour un film ouvertement ACAB (« All cops are bastards », c’est-à-dire « Tous les flics sont des salauds »), quand en réalité il se trouve du côté de leur côté en les traitant comme les premières victimes des rares collègues qui ne font pas leur boulot. Le film se distingue enfin de la masse des films Saw mais de la pire des manières : par l’habit de l’hypocrite qui se prétend rebelle tout en disant qu’entre deux camps d’opprimés et d’oppresseurs, on ne vote ni pour ni contre, bien au contraire. C’est ce qui est bien avec les opinions tranchées, c’est que ça relance le débat. Si au moins, ça pouvait éviter de relancer Saw…
A la production : Mark Burg, Oren Koules, Chris Rock, Daniel J. Heffner, James Wan et Leigh Whannell pour Twisted Pictures et Serendipity Productions.
Derrière la caméra : Darren Lynn Bousman (réalisation). Pete Goldfinger, Josh Stolberg et Chris Rock (scénario). Jordan Oram (chef opérateur). Charlie Clouser (musique).
A l’écran : Chris Rock, Max Minghella, Marisol Nichols, Samuel L. Jackson, Zoie Palmer, Nazneen Contractor, Dan Petronijevic, K.C. Collins.
En salle le : 21 juillet 2021.