Showing Up : l’odyssée intérieure de Kelly Reichardt

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Après First Cow en 2021, Kelly Reichardt signe son retour dans les salles obscures avec Showing Up. En proposant une immersion dans la scène nord-américaine de l’art contemporain, la cinéaste brosse aussi le portrait intime d’une femme névrosée, en pleine crise existentielle et artistique.

Les espaces ruraux dans First Cow et Certaines Femmes (2017), l’Amérique white trash dans River of Grass (1994)… Kelly Reichardt a toujours inscrit son regard cinématographique dans des territoires psychiques et physiques, en y interrogeant les problématiques inhérentes aux lieux qu’elle filme. Elle s’intéresse pour son nouveau long-métrage au microcosme de l’art contemporain en posant ses valises à Portland dont elle dissèque les contours, sans imposer au spectateur un regard surplombant. Réalisatrice phare d’un cinéma de la contemplation, Reichardt ne pose pas tant un regard critique sur un environnement qu’elle n’observe les interactions des personnages qui l’habitent. Il s’agit surtout ici de comprendre le processus créatif, en filmant longuement des scènes de sculpture mais aussi d’autres plus prosaïques, comme l’installation d’une balançoire qu’elle transcende en pur objet esthétique. Passée par l’école du Musée des beaux-arts de Boston, la réalisatrice offre une véritable réflexion sur les matériaux et les textures, en plus de donner à voir – si c’est n’est à toucher – une véritable approche sensorielle où l’odeur de l’argile et la rugosité d’installations textiles transparaissent presque de l’autre côté de l’écran.

Lumières d’été

Si une multitude de personnages s’adonne à la création dans Showing Up, c’est surtout à travers le personnage principal de Lizzie, jouée par l’excellente Michelle Williams, que la cinéaste exprime les tourments de la création. Obsession du détail, motif de la page (ou plutôt de la toile) blanche… Pour Lizzie, passion et vie intime ne font qu’un. Ses sculptures deviennent le miroir de ses angoisses, des petites figurines tourmentées qui font écho à une cellule familiale parfois instable et à une peur panique de l’échec. Personnage souvent mutique – parfois même agaçant à force d’inexpressivité -, Lizzie ne laisse déborder sa sensibilité qu’à peu de reprises, son art se substituant à sa parole. On n’explicite d’ailleurs jamais ses motivations, comme si son travail suffisait à faire comprendre son paysage intérieur et ses émotions. Lizzie ne se confronte jamais frontalement à sa dépression, ou du moins à son angoisse, réservant sa colère aux problèmes triviaux du quotidien : une douche qui ne lui fournit plus d’eau chaude, l’aile cassée d’un pigeon qu’elle tente de soigner…

La performance de Michelle Williams est, à cet égard, brillante car elle esquisse les variations d’une femme constamment sur le fil, tout en nuances. Au lieu de s’attaquer de manière poussive aux atermoiements d’une quadragénaire, Kelly Reichardt dresse le portrait fin et subtil d’une période de crise, ni grandiloquente, ni fantasmée, et chronique un déchirement intérieur progressif. Ce que traverse Lizzie est, somme toute, un chapitre de vie banal, empreint d’un sentiment de solitude tenace, d’une incapacité à communiquer avec ses pairs, avec en prime le doute persistant du « faire assez bien » et de donner du sens à sa vie. Mais si Showing Up aborde un passage non sans embûches dans la vie d’une artiste, il n’en reste pas moins un film solaire, ponctué de moments de grâce qui baignent dans une lumière estivale. Douce-amère, la conclusion de Showing Up tranche en faveur d’un optimisme bienvenu, mais pas convenu, plongeant le spectateur dans un bain de sensations paisibles.

A la production : Neil Kopp, Louise Lovegrove, Anish Savjani & Vincent Savino pour A24.

Derrière la caméra : Kelly Reichardt (réalisation). Kelly Reichardt & Jonathan Raymond (scénario). Christopher Blauvelt (chef opérateur).

A l’écran : Michelle Williams, Hong Chaud, Maryann Plunkett, John Magaro, André Benjamin, Judd Hirsch, Amanda Plummer, Matt Malloy.

En salle le : 3 mai 2023.

Copyright photos : Diaphana Distribution.