Kirk Douglas et Farrah Fawcett en nouvel Adam & Eve de l’espace, Harvey Keitel en émule de Frankenstein dépassé par le monstre qu’il a créé : un robot indestructible du nom d’Hector, c’est dans Saturn 3 (1980). Huis-clos un peu bancal mais passionnant et unique film de science-fiction du réalisateur de Chantons sous la pluie (1952), Stanley Donen.
Sur une station spatiale, un homme (Harvey Keitel) assassine un dénommé Benson dont il vole l’identité pour embarquer à bord d’une navette qui le conduit sur l’une des lunes de Saturne. Là, dans une base sous-terraine, vivent en reclus Adam (Kirk Douglas) et Alex (Farrah Fawcett), couple de savants agronomes menant des recherches afin de résoudre la famine sur Terre. Leur existence paisible va être perturbée par leur visiteur indésirable, venu là pour construire un robot pourvu d’un cerveau en fibres humaines. Le faux Benson, jeune scientifique insolent s’attirant immédiatement l’antipathie d’Adam, va se révéler vite être un psychorigide très attiré par la belle Alex, mais surtout être incapable de maîtriser les pulsions de son âme damnée auquel son cerveau est relié, le monstre de métal, Hector.
UN NANAR DE LUXE ?
Souvent taxé un peu trop facilement de « nanar de luxe », Saturn 3 a manqué de peu le chef d’œuvre. Et pourtant au départ tout était réuni pour faire de ce projet un succès comme avait pu l’être Alien (1979) sorti l’année précédente – et dont Saturn 3 s’inspire en partie en y substituant le vaisseau par une base et l’alien par un robot. A commencer par le casting : Kirk Douglas, lui qui déjà peu de temps avant s’était illustré dans le fantastique avec Holocauste 2000 (1977) d’Alberto De Martino et surtout Furie (1978) de Brian De Palma – et reconnaissons que Kirk est parfaitement crédible dans son rôle, donnant l’impression de connaître par cœur les commandes et boutons de la base où il évolue avec une certaine prestance ; Farrah Fawcett, alias Jill Munroe dans la série TV Drôles de dames (1976-1980) pour laquelle Saturn 3 était alors le premier rôle en vedette au cinéma bien qu’elle était déjà familière de la science-fiction grâce à un second rôle marquant dans L’Âge de cristal (M. Anderson, 1976) ; et un jeune talent prometteur venant de chez Martin Scorsese, Harvey Keitel (Mean Streets, Taxi Driver). Derrière la caméra aussi il y avait du beau monde : un producteur, Stanley Donen, à la base plus habitué à mettre en scène des comédies musicales et souhaitant tâter de la S-F, le chef opérateur Billy Williams, qui trois ans plus tard remportera l’Oscar de la meilleure photographie pour Gandhi (R. Attenborough, 1982), le chef décorateur Stuart Craig dont c’était là le premier travail à ce poste où par la suite il s’illustrera sur la saga Harry Potter (il signe un décor de base souterraine, version plus light et disco des coursives crasseuses du vaisseau le Nostromo dans Alien) et surtout un jeune réalisateur ancien décorateur très en vogue à l’époque, John Barry. Pas le John Barry que tout le monde connaît compositeur des musiques de James Bond, un John Barry homonyme qui avait démarré avec Stanley Kubrick sur les décors d’Orange Mécanique (1971). Un directeur artistique donc (les intérieurs de l’Étoile noire dans La Guerre des Étoiles, la forteresse de la solitude avec ses cristaux de roches géants dans Superman 1 & 2, sont son œuvre) et pour lequel Saturn 3 devait être le premier film en tant que réalisateur. Mais c’est à croire que dans l’histoire du cinéma il n’y avait de place que pour un seul John Barry, car ce John Barry-là n’a vraiment pas eu de chance. Et pourtant c’est lui qui avait développé le sujet de Saturn 3, c’était son projet. Hélas, il fut évincé seulement quinze jours après le début du tournage alors qu’il en avait assuré toute la préparation. On parle de sérieuses altercations avec la star du film, Kirk Douglas, celui-ci reprochant au jeune réalisateur de passer moins de temps à diriger les acteurs qu’à filmer le robot auquel il accordait le plus grand soin. C’est un secret de polichinelle, John Barry a été remercié suite à une grave altercation avec Kirk Douglas sur le plateau (et acharnement du sort, John Barry décédera peu de temps après sur le tournage de L’Empire contre-attaque alors qu’il en assurait la réalisation de seconde équipe). Stanley Donen dut alors remplacer au pied levé John Barry au poste de réalisateur. Et le moins qu’on puisse dire c’est que le réalisateur de Charade (1963) semble totalement hermétique à la science-fiction et plus contraint qu’autre chose de finir le film tant bien que mal (peut-être aurait-il fallu que Donen se charge de diriger les scènes de dialogues et Barry les séquences impliquant le robot). S’ajoute à cela un problème avec Harvey Keitel dont la voix fut doublée en post production par celle d’un autre acteur (Donen lui ayant demandé de réenregistrer sa voix sans son accent de Brooklyn ce que Keitel refusa). Il n’empêche qu’Harvey Keitel, aidé par son physique hors du commun, est parfait dans son rôle, comme par exemple lors des scènes où il assemble le robot avec l’air d’un illuminé se prenant pour un dieu devant sa création, le tout sublimé par une entraînante musique d’Elmer Bernstein.

© ITC Entertainment

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PULSIONS ROBOTIQUES DANS L’ESPACE
Le scénario souffre également de problèmes de réécritures dûs certainement au changement soudain de réalisateur. Quelques années plus tard, Farrah Fawcett confiera lors d’une interview que la première version du scénario qu’elle avait lue était magnifique avec cette histoire de robot tombant amoureux d’une humaine et qu’elle ne comprenait pas comment ils avaient pu en arriver à ce résultat. Par exemple, on sait finalement peu de chose du personnage joué par Harvey Keitel. Tout au plus apprend-on dans la scène d’ouverture « qu’il a échoué aux tests psychologiques ». Cela suffit me direz-vous pour comprendre que le personnage n’est pas clair, surtout lorsqu’il assassine froidement l’un de ses collègues en l’expulsant du sas de décompression, ce dernier, aspiré, allant alors s’exploser contre des câbles (un des bons moments gores du film). On en déduit qu’il est certainement une sorte de scientifique incompris (peut-être lui a-t-on refusé de mener certaines expériences), parti volontairement s’exiler sur un astéroïde afin d’y poursuivre ses recherches. Un apprenti sorcier, un mandarin qui par son obstination rappelle le docteur Frankenstein interprété par Peter Cushing dans les films de la Hammer. Et le trio qu’il forme avec Farrah Fawcett et Kirk Douglas (trio qui deviendra quatuor avec Hector) est fort intéressant car tout se jouant sur l’ambivalence des personnages. Adam est un homme vieillissant (mais dans la force de l’âge, c’est tout de même Kirk Douglas) ayant connu la Terre avant la pollution et détestant ce qu’elle est devenue. Un misanthrope trop heureux d’être seul dans cette station avec la jeune et belle Alex. Celle-ci étant née dans l’espace et ne connaissant de la terre que ce que lui en a dit Adam, rêve cependant d’y aller un jour pour découvrir comment les gens y vivent (on peut la comprendre, même si Saturn 3 jouit de tout le confort, c’est quand même un peu mort). Donc, l’arrivée de ce jeune arriviste qui immédiatement flashe sur Alex, ça plaît très moyennement à Adam qui voit aussi ces expériences d’un sale œil. D’autant que ce « capitaine Benson » n’hésite pas à proposer la botte à la belle mais aussi de l’emmener avec lui sur Terre (il a une place dans sa navette). Et quand plus tard Benson va connecter son cerveau à celui d’Hector, le robot va hériter de toutes ses pulsions refoulées, qu’elles soient sexuelles ou criminelles. En cela Hector rappelle le monstre de l’Id du docteur Morbius dans Planète interdite (F. McLeod Wilcox, 1956). Quand un monstre naît de notre mauvaise conscience et devient incontrôlable. Des belles idées comme ça il y en a plein d’autres dans Saturn 3. Il y a notamment ce marquage qu’on les humains indiquant leurs fonctions, leurs ADN, tout. Une sorte de code-barres imprimé sur la tempe et qui annonce les peurs actuelles de la puce implantée dans la main. Il y a aussi tous les problèmes ou risques de futurs problèmes que connaît la Terre et qui déjà en 1980 résonnait comme un cri d’alarme : guerres, famines, pollutions, destructions pour le profit qui sont évoqués lorsque Adam tente de dissuader Alex d’aller sur Terre, cette planète qu’il a fui et hait tant.
[Saturn 3] est à la fois sensuel et charnel, pleins de frissons, d’effroi et d’horreur. C’est de la science-fiction, pas de celle qu’on trouve dans les bandes dessinées. Non pas que je dénigre le genre – Star Wars fait partie de mes films préférés. Saturn 3 se rapproche plus d’une histoire à la Frankenstein. C’est un film destiné à effrayer le public d’une manière très inhabituelle.
De belles scènes, il y en a aussi. On a souvent dit que les effets spéciaux du film avaient été bâclés au moment de la post production. Évidemment, les maquettes de vaisseaux et les vues de l’espace sont inférieures à celles d’Alien de Ridley Scott. Mais ils sont tout de même dans la moyenne pour l’époque. Il y a ce beau passage au début où la navette d’Harvey Keitel vole dans la ceinture d’astéroïdes de Saturne – le trucage, semble-t-il utilisant de l’eau, donne un résultat très intéressant visuellement et jamais vu ailleurs. Il y a la scène où Kirk Douglas joue aux échecs avec Hector, la scène assez prenante où le robot retire une écharde plantée dans l’œil de Farrah Fawcett et aussi les attaques du monstre d’acier (celle où il saisit Alex avec ses pinces en la soulevant par les bras, pas mal dans le sadisme). Tout échec commercial que fut Saturn 3, au moment de sa sortie, il marqua les esprits des amateurs de science-fiction. On trouve par exemple des traces de l’influence de John Barry sur le travail de James Cameron (qui comme Barry, avait été directeur artistique avant de passer à la réalisation, avec plus de succès cependant). Ainsi, sept ans plus tard, dans Aliens, le retour, James Cameron s’inspirera de la scène où les héros sont cachés sous le plancher alors que le robot les cherche au-dessus dans un passage similaire où la reine alien pourchasse Ripley et Newt. Ou encore lorsqu’à la fin de Saturn 3 le robot est piégé dans une cuve d’acide, on peut y voir les prémices de la destruction du T-1000 dans Terminator 2 (1991). D’ailleurs l’indestructibilité d’Hector dans le troisième acte, qui à chaque fois que les héros pensent sans être débarrassé, ressurgit comme dans un cauchemar, annonce aussi le final de Terminator (1984) sorti quatre ans plus tard.

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REVOIR SATURN 3
Elephant Films nous propose donc de redécouvrir cette œuvre dans une édition combo Blu-ray/DVD avec des suppléments nous permettant de revoir à la hausse ses qualités – si l’on n’était pas déjà convaincu – mais aussi d’imaginer ce qu’aurait pu être le film. Il y a une présentation par Julien Commelli riche en informations qui replace Saturn 3 dans son contexte et en particulier un bonus comportant près de quinze minutes de scènes coupées. Ces scènes, montées et mixées avaient été sucrées du montage juste avant la sortie on ne voit pas trop pour quelle raison valable, puis furent ensuite réintégrées dans le film pour sa diffusion TV et vidéo. Ces scènes sont présentées ici en qualité VHS (sauf la scène dite «extasy scene» entre Farrah Fawcett et Kirk Douglas). Et c’est bien dommage car ces séquences apportent énormément au film. Ce ne sont parfois que des morceaux d’action supplémentaires ou bien même une longue scène de cinq minutes dans laquelle Adam embarque Hector en mission à l’extérieur et qui rendent clairement le film plus palpitant et limpide dans son déroulement. En 1981, Saturn 3 manqua de remporter trois prix. Malheureusement il s’agissait de trois nominations aux Razzie Awards (l’équivalent des Oscars mais pour les mauvais films) dans les catégories: pire actrice pour Farrah Fawcett, pire acteur pour Kirk Douglas et pire réalisateur pour Stanley Donen. Avec le recule on peut relativiser car cette même année, William Friedkin était nominé pour Cruising et Sean S. Cunnighan pour Vendredi 13. Et bien heureusement, Saturn 3 ne remporta aucun de ces trois prix, preuve qu’il est loin d’être si mauvais qu’on avait bien voulu le dire à l’époque. Il y a bien longtemps depuis que le public a tranché. Saturn 3 est un film certes parfois maladroit et kitsch dans son imagerie disco, mais ô combien intéressant.
Saturn 3 (1980 – Angleterre). Réalisation : Stanley Donen, John Barry (non crédité). Scénario : Martin Amis et John Barry. Avec: Farrah Fawcett, Kirk Douglas, Harvey Keitel. Chef opérateur : Billy Williams. Musique : Elmer Bernstein. Production : Stanley Donen, Lew Grade, Eric Rattray, Martin Starger et Elliott Kastner – ITC Films. Format : 1.85. Durée : 96 minutes.
En salle les 15 février 1980 (États-Unis) puis le 8 (Royaume-Unis) et le 28 mai 1980 (France).
Disponible en combo Blu-ray et DVD le 29 octobre 2019 chez Elephant Films.
Copyright illustration en couverture : DR.