Rocketman

par

Rocketman

Rocketman retrace de manière surréaliste le destin extraordinaire d’Elton John alias Reginald Dwight, jeune pianiste hors-norme qui s’éleva au rang de star planétaire. Et c’est à Dexter Fletcher, co-réalisateur de Bohemian Rhapsody, qu’il revient de mettre en scène un film sans concession aucune, du succès fulgurant d’Elton John à ses excès d’alcool, cocaïne, sexe et folies en tout genre, jusqu’à son retour des enfers avec le tube « I’m Still Standing ».

And I think it’s gonna be a long long time
‘Till touch down brings me round again to find
I’m not the man they think I am at home.

Et je pense que ça va faire très très longtemps
Avant que l’atterrissage ne me ramène encore pour découvrir
Que je ne suis pas l’homme qu’ils croyaient lorsque j’étais à la maison.

Elton John

Rocketman

UNE VIE SURRÉALISTE

Rocketman s’inscrit dans la longue lignée des biopics consacrés aux fondateurs de la musique pop/rock anglo-saxonne : Ray Charles, Tina Turner, The Doors, Johnny Cash, The Beach Boys… C’est ainsi que 2018 fut marquée par le coup d’éclat réalisé en partie par Bryan Singer avec Bohemian Rhapsody, long-métrage sur la carrière fulgurante de Queen et Freddie Mercury. Un nom pourtant absent du générique retient déjà l’attention : Dexter Fletcher. Ce-dernier se retrouve impliqué bien en amont de la production de Rocketman, dès 2013, avant de se retirer pour cause de divergences artistiques avec le producteur Graham King. Les studios chargent ensuite Bryan Singer (Usual SuspectsX-men) de mettre en scène l’épopée baroque du groupe anglais mythique. Cette fois-ci, c’est la Fox qui renvoie le réalisateur suite à une mésentente avec l’acteur principal Rami Malek. Dexter Fletcher finira alors le tournage à la demande du comédien et des producteurs. Le futur réalisateur de Rocketman, déjà auteur du remarquable Eddie the Eagle en 2016sauvera ainsi le film en réalisant 30% du long-métrage final. Bohemian Rhapsody sera un succès international jusqu’à devenir non seulement le biopic musical le plus rentable de l’histoire, mais surtout le 3e plus gros succès de la 20th Century Fox. Place à Rocketman, donc. Des mauvaises langues s’empresseront d’affirmer que le projet ne doit son existence uniquement au succès de Bohemian Rhapsody. Il n’en est absolument rien. Elton John évoque en effet le projet depuis presque vingt ans. C’est même après le succès du Roi Lion que le chanteur et son compagnon, David Furnish, fondent Rocket Pictures, avec la vague idée de produire un biopic musical à la gloire de l’artiste.

© Kevin Mazur/WireImage for Chopard

Tout commence en 2002 avec l’album Songs from the West Coast. Justin Timberlake interprète Elton John en personne dans le clip de sa chanson « This Train Don’t Stop There Anymore » sous la caméra de David LaChapelle, qui participera également à la conception du show The Red Piano organisé au Ceasar’s Palace Colosseum deux ans plus tard. Le chanteur propose au duo de s’impliquer dans son projet de biopic, l’un à la mise en scène, l’autre au casting. Mais le projet commence très (voire trop) vite à jouer les prolongations. Intervient alors Lee Hall, scénariste à succès de Cheval de Guerre, mais aussi de Billy Elliot dont la partition du musical est signée Elton John. Le chanteur lui décrit à l’époque Rocketman comme « le film d’une vie surréaliste ».  Aussi ajoute-t-il : « Je ne veux pas que ce soit un film autobiographique normal, parce que ma vie n’a pas été comme ça ». Baz Luhrmann puis Michael Gracey sont un temps pressentis pour réaliser le film pendant que circulent des noms quelques peu fantasques pour interpréter Elton John.

Parmi eux, Tom Hardy.  Il faut pourtant attendre 2017 pour voir émerger le nom de Taron Egerton dans le rôle titre. Dexter Fletcher confirme dès lors sa participation au projet. Le tournage peut ensuite commencer à l’été 2018. A la production, Elton John et David Furnish s’adjoignent les services de Matthew Vaughn, réalisateur de Kingsman : The Great Game, déjà présent au générique d’un certain Eddie the Eagle… de Dexter Fletcher. Nous voici le 16 mai 2019. Rocketman est présenté au Festival de Cannes. A cette occasion, La Croisette brille de mille feux pour accueillir l’une des plus grandes stars pop internationale. Le film, quant à lui, ne fait pas loin l’effet d’une bombe. Le Grand Théâtre Lumière résonne de déclarations d’amour, de folie et de larmes. Les lunettes d’Elton John ne peuvent même plus dissimuler sa vive émotion face aux applaudissements qui jouent les prolongations dix minutes durant. Cette émotion se communique même jusque dans les rangs de l’équipe du film, de Taron Egerton à Dexter Fletcher en passant par le parolier Bernie Taupin. Une fois remis de toute cette agitation cannoise et tout simplement médiatique, que vaut réellement Rocketman ?

© David Appleby/Paramount Pictures
Artiste fou, excentrique, provocateur (et amateur de costumes tape à l’œil), Elton John décide de vendre son âme au diable en confiant sa vie au réalisateur britannique Dexter Fletcher. Ce-dernier se retrouve ainsi aux commandes d’un biopic hors-norme sur le prince de la pop, rythmé par les grands classiques de la star. Le film commence justement par une séance de thérapie fantasmée évoquant les addictions du chanteur qui nous mèneront par la suite au coeur de l’histoire. Mais avant toute chose, Rocketman est à l’image de l’artiste : sans limite aucune . Il faut donc le reconnaître : le film ne peut se restreindre à la sacro-sainte catégorie du biopic musical.
J’ai commencé à prendre de la cocaïne en 1975. J’en ai pris jusqu’en 1990. Au fond de moi, je savais bien que j’allais trop loin, que j’étais excessif, ridicule et dépressif. Mais j’étais auréolé de gloire et d’argent. Je me croyais fort. J’étais persuadé que je pouvais m’en sortir seul. D’ailleurs parfois, je m’arrêtais, deux, trois mois, et puis… Je replongeais. La drogue avait fait de moi quelqu’un de détestable. 
Elton John

Rocketman

Même si le film flirte allègrement avec la kitsch ici et là, le résultat n’en séduit pas moins l’œil par les talents d’esthète de Fletcher qui impose son grain de folie à travers les envolées lyriques de ses personnages, eux-mêmes transfigurés par la passion, l’amour et la haine. Le cinéaste semble paradoxalement se désintéresser des aléas sentimentaux d’Elton John pour donner une profondeur certaine à une série d’instantanés clinquants à la gloire des seventies, en racontant la vie tumultueuse du chanteur. S’il ne prend pas au sérieux les cheminements existentiels de la vie de l’artiste, Dexter Fletcher respecte son travail en sublimant les compositions incontournables de son répertoire. Au détour de séquences visuellement impressionnantes, le cinéaste pousse même l’obsession du détail jusqu’à reprendre à l’identique des moments forts de la vie du chanteur. La précision littéralement spectaculaire de la direction artistique laisse également une grande part à l’imagination du spectateur. La virtuosité, la qualité et l’ingéniosité de la mise en scène constituent ainsi le vecteur principal d’un voyage cinématographique efficace.
Nous sommes à l’intérieur des souvenirs d’Elton, et les souvenirs peuvent être trompeurs. Si je vous demande de me parler de votre univers quand vous étiez enfant (…), ce dont vous vous souviendrez sera légèrement différent de la façon dont c’était réellement. Nous ne sommes pas limités par les faits, nous avons une liberté d’imagination, ce qui est très important lorsqu’on fait un film.
Dexter Fletcher

LA GRANDE ÉVASION

Rocketman se veut avant tout une histoire rêvée voire fantasmée par Elton John et Dexter Fletcher. Aussi le scénariste Lee Hall parvient-il à bâtir un arc narratif cohérent à partir d’un canevas quelque peu fantasque. Les chansons d’Elton John servent d’abord de prétexte pour mettre en scène des chorégraphies mémorables, mais font surtout office de points structurants pour raconter l’histoire de l’artiste dont certaines compositions récentes se retrouvent même à l’écran (« I Want Love»). A l’arrivée, le résultat fonctionne à la merveille. Le film est porté par les performances flamboyantes d’un casting à faire pâlir plus d’un biopic hollywoodien : Taron Egerton (Elton John), Jamie Bell (Bernie Taupin), Richard Madden (John Reid) ou encore Bryce Dallas Howard dans le rôle de la mère d’Elton John. 

© David Appleby/Paramount Pictures

L’enthousiasme flagrant des interprètes à l’écran se révèle communicative pour les spectateurs pleinement gratifiés d’un amour doublement sincère, celui de la comédie dans son acception la plus noble, et celui de la musique tout simplement. En effet, chacun semble s’être pleinement investi au point de vouloir pousser la chansonnette à l’occasion. Précisons d’ailleurs que les arrangements pour la partition musicale du film ont été confiés à Matthew Margeson, fidèle collaborateur de Matthew Vaughn et Dexter Fletcher, également à l’oeuvre sur Miss Peregrine et les Enfants particuliers de Tim BurtonExit donc le playback à la Bohemian Rhaspody. La dernière partie de Rocketman ne lorgne pourtant pas moins du côté de ce-dernier, en reprenant plan par plan le clip de la chanson « I’m Still Standing » employée ici en guise de somptueuse coda. Still standing… Oui, Elton John est toujours bien vivant mais aussi prolifique que jamais. Rocketman nous conte sa folle histoire sous la forme d’une fantasmagorie brillamment orchestrée par Dexter Fletcher. Affirmons-le : il s’agit peut-être là de l’une des meilleures comédies musicales de ces dernières années. Le résultat dépasse même toutes nos espérances. Et c’est bien là un soulagement pour les fans (communauté à laquelle l’auteur de ces lignes apporte sa pleine adhésion). Si la musique a effectivement un pouvoir de guérison, comme l’affirme Elton John, alors Rocketman permet aux spectateurs de s’évader d’eux-mêmes pendant quelques heures.