Pourquoi faut-il revoir La Route d’Eldorado ?

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Après une première incursion dans le monde de l’animation traditionnelle avec Le Prince d’Égypte (1998), DreamWorks et Jeffrey Katzenberg, ancien président de Walt Disney Pictures (la firme lui doit quelques-uns de ses plus grands succès de la décennie : La Petite Sirène (1989), La Belle et la Bête (1991) et bien sûr, Le Roi Lion (1994) – s’attèlent à un nouveau projet au tournant des années 2000 : La Route d’Eldorado. Tout est alors mis en œuvre pour que le succès soit au rendez-vous : une histoire originale, une excellente animation, des dialogues sympathiques, une bande originale de luxe… Bref, une aventure étourdissante ! A l’écran, le deuxième film en animation traditionnelle des studios DreamWorks n’a rien à envier aux productions Disney alors « sur le déclin ». Le film fut pourtant un échec monumental au box-office mondial, incitant le studio à cesser ses activités dans l’animation traditionnelle quelques temps avant le triomphe de Shrek (2001).

DEUX LOSERS MAL ASSORTIS

1519. Séville, Espagne. Embrigadés par mégarde à bord d’un navire en partance pour le Nouveau Monde, Tulio et Miguel, deux escrocs, parviennent à s’échapper sur une barque avec Altivo, le cheval du grand chef des conquistadors, Hernán Cortés. Plusieurs semaines en mer à la dérive les mènent droit vers le Nouveau Monde où une carte les guide vers le fameux Eldorado, chimère millénaire qui fascinera l’industrie hollywoodienne quatre siècles plus tard… C’est en 1994 que Jeffrey Katzenberg fonde les studios DreamWorks avec l’aide de Steven Spielberg et David Geffen. Son expérience chez Disney le mène tout naturellement à prendre en charge le département animation. Fourmiz (1998) ouvre le bal suivi de très près par Le Prince d’Égypte, deux succès considérables qui assoient son statut de sérieux compétiteur face à Mickey et sa clique. Le regain de vitalité des studios Disney n’aura en effet duré qu’un temps : les années 2000 le verront infliger aux spectateurs une série de films puérils (Les Aventures de Tigrou, 2000) ou des suites indigestes de ses grands classiques sorties directement en vidéo, dont celles de La Petite Sirène ou encore de La Belle et le Clochard. De son côté, DreamWorks ne compte pas s’arrêter là dans sa folle course. Se démarquant par son humour « adulte » plus incisif, La Route d’Eldorado s’écarte des conventions du genre en mettant au premier plan de son histoire des drôles de losers « mal assortis ». Don Paul, co-réalisateur du long-métrage, affiche ici clairement sa volonté de « briser le moule des hommes de premier plan héroïques typiques avec deux scélérats, qui sont tout sauf des héros typiques » comme il l’affirmera lui-même plus tard en interview. Le défi (de taille) d’accoucher d’un scénario si atypique dans un genre relativement balisé sera relevé haut la main par deux brillants scénaristes, Ted Elliott (Aladdin puis Le Masque de Zorro) et Anthony Leondis (Le Prince d’Égypte), de quoi rassurer les spectateurs les plus sceptiques. Le duo trouve le juste équilibre entre le souffle épique du road movie traditionnel, la simplicité du conte féérique et la nostalgie cinéphile. Car si La Route d’Eldorado s’adresse à un public très largement familial, son scénario semblera familier aux aficionados des salles obscures. La trame du dessin animé s’inspire en effet dans ses grandes lignes d’un film de John Huston, L’Homme qui voulut être roi sorti en 1975, d’ailleurs lui-même adapté d’une nouvelle de Rudyard Kipling. El Dorado fourmille également de clins d’œil cinéphiles hilarants, notamment à l’égard de Steven Spielberg et la mythique scène d’ouverture des Dents de la mer (1975). La mise en scène bénéficie enfin des dernières avancées techniques en termes d’animation (couleurs, textures, etc.), assurant au film un degré supérieur de sophistication dans son inventivité hallucinante. du long-métrage notamment co-réalisé par le jeune Éric Bergeron – qui réalisera par la suite Gang de requins (2004) et Un monstre à Paris (2011). 

© DreamWorks Pictures

© DreamWorks Pictures

ELTON JOHN, LE CŒUR ET L’ÂME DU FILM

En studio, Katzenberg réunit un duo pittoresque pour donner voix à ses escrocs dans un face-à-face savoureux. A l’écran, Kevin Kline et Kenneth Brannagh provoquent un véritable feu d’artifice pour nos oreilles. Côté français, le doublage aux petits oignons, assuré par le célèbre tandem José Garcia/Antoine De Caunes, apporte une touche comique unique aux personnages hilarants et à leurs répliques explosives. La Route d’Eldorado est une réussite indéniable, assurément moins que Le Prince d’Égypte, parfois un brin répétitif, mais dans l’ensemble réjouissant. Après le succès retentissant de la bande originale du Roi Lion, Katzenberg caresse le doux rêve de réunir à nouveau en studio son équipe gagnante, à savoir Elton John, Tim Rice et Hans Zimmer. L’occasion « unique dans une vie » se concrétise à nouveau grâce à sa nouvelle production. Cette fois, Elton John chante et raconte « le cœur et l’âme du film », un régal pour les fans. Cerise sur le gâteau, la présence à la guitare d’Hector Pereira, ancien membre du groupe pop anglais Simply Red, ajoute enfin une authentique touche latine au long-métrage.

Flirtant audacieusement avec l’humour grinçant, La Route d’Eldorado parvient à nous épater grâce à une parfaite maîtrise de son scénario et de son atmosphère à la fois lugubre et déjantée. Ici, point de chansons mièvres, ni de dialogues débilitants : DreamWorks privilégie un humour plus fin, aussi inhabituel que bienvenu, qui booste sans conteste l’une de ses meilleures productions. Certes, on regrettera le manque évident de surprises et une émotion abandonnée au profit d’un surplus d’actions spectaculaires qui émaillent un spectacle pyrotechnique tout aussi jouissif. Malgré ses qualités évidentes, La Route d’Eldorado sera un échec commercial en salle, récoltant à peine 80 millions de dollars au box-office, une recette bien inférieure au budget initial investi dans le projet. Ce triste sort scellera ainsi le destin du film appelé à devenir à l’origine une franchise et mettra un terme à la pratique de l’animation traditionnelle chez DreamWorks. Si vous l’aviez manqué à sa sortie en salle, si sa VHS ne vous a jamais attendu sous le sapin à Noël, il est toujours temps de rattraper votre erreur en DVD, Blu-Ray ou VOD…

La Route d’Eldorado (The Road to El Dorado, 2000 – États-Unis) ; Réalisation : Don Paul, Bibo Bergeron, Jeffrey Katzenberg, David Silverman et Will Finn. Scénario : Ted Elliott, Henry Mayo et Terry Rossio. Avec les voix de : Kevin Kline, Kenneth Branagh, Rosie Perez, Armand Assante, Edward James Olmos, Jim Cummings, Frank Welker et Elton John. Musique : Hans Zimmer et Elton John. Production : Brooke Breton, Bonne Radford et Jeffrey Katzenberg – DreamWorks SKG. Format : 1.85:1. Durée : 89 minutes.

En salle le 31 mars aux États-Unis, puis le 25 octobre 2000 en France.

Disponible en VHS le 12 décembre 2020.

Copyright illustration de couverture : DreamWorks Pictures/Petit Lion Productions.