Retour à Zombieland

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Retour à Zombieland

A l’occasion de l’ouverture récente de la saison de la chasse, révisons nos classiques en évoquant brièvement la technique du tir couplé (double tap en anglais), qui permet d’abattre une cible avec une précision chirurgicale à l’aide de deux balles tirées en rafale. Ruben Fleischer, réalisateur du bien sympathique Zombieland en 2009, s’inspire à son tour de la méthode en nous servant cette année une double dose de morts-vivants pour mieux faire passer la pilule de ses précédents échecs artistiques, essuyés chez Marvel, avec Venom (2018), et Warner Bros, avec Gangster Squad (2012). Le retour de l’enfant-prodige à la maison-mère (Columbia Pictures) devrait donc nous convaincre que rien ne vaut décidément la douce chaleur du foyer (« there’s no place like home »), comme nous l’assénait déjà Dorothy au terme de son périple au pays d’Oz…

Retour à Zombieland donc, dix ans après l’apocalypse zombie provoquée par une mutation accidentelle du virus de la vache folle (si, si !). Si la catastrophe humanitaire avait alors provoqué un éclatement des destinées collectives, Columbus, l’étudiant texan incarné par Jesse Eisenberg, comprenait au terme du premiers opus, que les circonstances lui avaient permis au contraire de se constituer une nouvelle famille. L’important désormais, on l’aura compris, c’est de savoir apprécier les petites choses de la vie, comme par exemple les Twinkies, ces petites bûches crémeuses dont raffole son père d’adoption, le redneck Tallahassee (Woody Harrelson). Ce mantra, Columbus en fera ainsi la 32règle de son bréviaire à l’intention des rescapés du monde post-apocalyptique. Pourquoi donc bouder son plaisir dix ans plus tard lorsque Ruben Fleischer se décide à mettre en scène la suite des aventures de nos deux comparses, aux côtés de Wichita (Emma Stone) et Little Rock (Abigail Breslin) ? Sans doute parce que le pilote de la série inspirée de Bienvenue à Zombieland révélé en 2013 sur Amazon aura refroidi plus d’un fan de la première heure, ce qui se soldera par l’annulation pure et simple du projet quelques temps plus tard.

Les zombies, l’action, le fun, les explosions et la pyrotechnie, tout ça, c’est juste les ingrédients de la sauce. L’ingrédient principal, ce qui nous intéresse vraiment dans la recette, ce sont ces quatre personnes. On adore voir jaillir les étincelles quand ils sont ensemble, et ce sont ces rapports humains qui animent vraiment l’histoire. C’est ça qui explique l’attachement du public à Bienvenue à Zombieland. On a juste envie de passer du temps en compagnie de ces gens.

Rhett Reese

Scénariste

Si Rett Rheese se vante un peu trop rapidement d’avoir su faire monter la mayonnaise, c’est qu’il oublie que Bienvenue à Zombieland prolongeait à sa sortie en salle la voie ouverte cinq ans plus tôt par Edgar Wright et son Shaun of the Dead, pierre angulaire de la « zomédie », comédie horrifique à la croisée des genres dont s’inspireront bon nombre d’œuvres du même acabit, parmi lesquelles tout récemment le très confidentiel Little Monsters (Abe Forsythe, 2019). Comment donc justifier le retour de nos quatre dézingueurs de zombies absents des écrans pendant une bonne décennie ? Très sûrement par les quelques 100 millions de dollars de recettes cumulées au box-office mondial par un premier opus plutôt réussi. Ce retour opportun, qui plus est à quelques jours de la sacro-sainte fête d’Halloween, suffit à lui seul à illustrer cette considération désabusée de Fritz Lang sur le cinéma hollywoodien : « l’Amérique ne travaille pas d’après des manuscrits, elle travaille d’après des recettes ». Nul besoin donc de préciser que ce Double Tap ne vous servira aucune histoire originale. Tout souci dramaturgique évacué, que reste-t-il donc à sauver d’un « petit bijou », comme se plaît à l’appeler Woody Harrelson, persuadé de se mettre au service d’un des trois films les plus drôles qu’il ait jamais tourné ? Quelques saillies comiques plutôt laborieuses qui peinent à nous convaincre cependant de l’humour transgressif d’un film dopé à la pop culture américaine. Ruben Fleischer, quant à lui, se contente de mettre en scène avec un peu trop de laxisme ce grand terrain de jeu à l’intention d’une pléiade d’acteurs, complices d’une farce zombifiante avec un enthousiasme presque communicatif.

© Sony Pictures Entertainment

« c’est l’heure de se la péter ou de la boucler »

Retour à Zombieland emprunte son seul et unique argument scénaristique au canevas tout aussi laborieux d’une autre comédie familiale ultra-calibrée, le dispensable Mon beau-père et nous (Jay Roach, 2010), dernier opus de la saga Mon beau-père, mettant Ben Stiller aux prises avec Robert de Niro. Et en effet, les deux œuvres mettent en scène des protagonistes masculins qui tentent par tous les moyens de maintenir la cohésion d’une famille. Fleischer, comme Roach, se retrouve ainsi prisonnier d’un univers diégétique dont il a précédemment exploité au maximum le potentiel des éléments narratifs. Le cinéaste fait alors montre de toute l’étendue de ses talents pour bluffer les spectateurs en ramenant la toile de fond de son histoire au premier plan. Considérons donc Double Tap comme une agréable croisière à l’humour gentiment décomplexé dans un monde anarchique et savoureux où le renversement des valeurs autorise les moindres transgressions. Nos quatre personnages commencent d’abord par poser leurs valises à la Maison-Blanche, théâtre de leurs espiègleries sans limite aucune, qu’il s’agisse de batifoler dans la chambre de Lincoln ou de pimper la limousine présidentielle façon monster truck. Tallahassee justifiera ce nouveau mode de vie au détour d’une phrase qu’on ne s’étonnerait pas de retrouver dans la bouche du locataire actuel des lieux : « c’est l’heure de se la péter ou de la boucler ». Seule Little Rock, devenue adolescente, semble se lasser d’une existence en vase clos alors que le monde extérieur s’avère bien plus excitant avec ses jeunes du même âge… Et des zombies qui ont à leur tour évolué en une dizaine d’années pour donner naissance au nec plus ultra du genre, le T-800. La jeune femme part donc sur les routes américaines à la recherche de ce grand Autre qui trouve à s’incarner dans un personnage stéréotypé au possible, Berkeley (Avan Jogia), un néo-hippie pacifiste tout droit sorti de Lollapalooza. Wichita, Columbus et Tallahassee partent donc à la recherche du petit poucet bien trop tôt sorti du nid. Le trio se confrontera en chemin à une galerie de nouveaux zombies, du plus indécrottablement stupide (les « Homer », reconnaissables à leur teint jaune) aux redoutables « T-800 » donc (plus sauvages et calculateurs). Les scénaristes nous gratifient en outre de toute une déclinaison de créatures aux noms évocateurs, parmi lesquelles les ingénieux « Hawking » ou encore les « Ninjas », des sprinters zombies agiles et rapides. Ces nouvelles déclinaisons permettent de dépoussiérer quelques-unes des règles de Columbus sans véritable paiement scénaristique satisfaisant en retour. Et en effet, si le dysfonctionnement de la cellule familiale répond en miroir à la remise en cause du code de survie, la structure ne se révélera que simple tour de passe-passe censé notamment faire passer la pilule d’une scène bien tristement gratuite durant laquelle Columbus et Tallahassee se confronteront à leurs sosies, Albuquerque (Luke Wilson)/Flagstaff (Thomas Middleditch), doppelgängers  bien vite évacués de l’arc narratif du scénario. Le casting de Retour à Zombieland s’enrichit également de la présence d’une énième survivante, Madison (Zoey Deutch), une jeune blonde ingénue tout droit sortie d’un congélateur. Son sang ne fait pourtant qu’un tour lorsqu’elle rencontre notre quinqua et son acolyte trentenaire qui ravive aussitôt sa libido… Et son cardio ! La suite, on la connaît : une vague histoire d’amour et de jalousie, faite de quiproquos et autres cocasseries, en évitant bien le moindre remariage au terme de l’aventure.

© Sony Pictures Entertainment

© Sony Pictures Entertainment

sur la route de memphis

Retour à Zombieland donne l’occasion à Ruben Fleischer de revisiter quelques-uns des monuments de la pop culture américaine, en commençant par assigner une destination iconique à Little Rock et au reste de sa famille : les ruines encore fumantes de Graceland, autrefois demeure d’Elvis Presley. La route de Memphis les mènera ensuite vers un autre temple consacré à la mémoire du King, l’hôtel fictif Hound Dog, théâtre d’une sacrée bastonnade plutôt jouissive menée à grands coups de guitare. Le film fourmille ainsi d’une myriade d’easter eggs savamment disséminés depuis la Maison-Blanche, avec des tableaux de Keith Haring ou encore des souvenirs de la NASCAR, jusqu’à ce même hôtel où sont exposés les blue suede shoes et un costume d’Elvis, qui sied d’ailleurs à ravir à Woody Harrelson. Le réalisateur cultive avec un certain talent l’ironie au point de mener ses protagonistes vers leur destination finale, la communauté hippie de Babylone, vaguement inspirée du festival Burning Man, « quelque part entre un concert de Phish et le festival de Coachella, mixé avec l’esprit « hippie granola » et Silver Lake » comme l’explique Christine Wada en charge des costumes. Fleischer joue ici sur la corde raide en prenant pour cible les hipsters qui distribuent les « namasté » à tout-va sans se soucier de l’épidémie virale qui les menace dangereusement de l’autre côté des remparts. L’arrivée de Columbus, Tallahassee et Wichita permettra ainsi d’éveiller les consciences sur l’usage de la violence seule à même de venir à bout de l’invasion zombie. Le réalisateur instille dans sa comédie un soupçon de conservatisme à tendance WASP en adoptant le point de vue du mâle blanc sur un large spectre de la culture américaine, réduite ici à quelques archétypes (le hippie, le patriote, la blonde écervelée, etc.) resservis façon double dose jusqu’à l’écoeurement. 

Que reste-t-il donc à sauver de ce retour mitigé à Zombieland ? Une bonne dose de franche rigolade entre deux rasades de pop-corn, un caméo réussi d’un roi de la comédie américaine (on ne vous en dira pas plus…), une bande originale éclectique qui nous fait passer de Metallica au rock sudiste de Lynyrd Skynyrd, la composition picturale à la fois organique et charnelle assurée par le chef opérateur coréen Chung-hoon Chung, mais aussi tout simplement les litres de sang noir déversés à l’écran. Soulignons enfin la qualité remarquable des maquillages des zombies affublés de visages rougeâtres avec une peau mouillée et liquéfiée qui retourneront le cœur de bon nombre de spectateurs ravis de pouvoir dégobiller leur repas sur les genoux de leur voisin en salle. Trêve de plaisanterie, nous vous proposons d’achever cette critique par un tuto bien mérité de la part de Tony Gardner, responsable des effets spéciaux de maquillage pour le film, qui nous livre son petit secret pour préparer du vomi de zombie dans les règles de l’art. Bon appétit !

© Orlando Copali Velasquez

On commence par mélanger du pudding au tapioca avec des gaufrettes à la vanille écrasées pour obtenir une texture parfaite. Ensuite on ajoute du miel ou du sirop pour briser la consistance et faire des grumeaux. La clef pour perfectionner le vomi de zombie est de jouer le jeu à fond : il doit en sortir de votre nez et de vos oreilles et un peu aussi de vos yeux. […] Si je devais choisir une règle ce serait : toujours prévoir du sang buccal en quantité.

Tony Gardner

Retour à Zombieland  (Zombieland: Double Tap, 2019 – USA) ; Réalisation : Ruben Fleischer. Scénario : Dave Callaham, Rhett Reese et Paul Wernick. Avec : Woody Harrelson, Jesse Eisenberg, Emma Stone, Abigail Breslin, Zoey Deutch, Avan Jogia, Rosario Dawson, Luke Wilson et Thomas Middleditch. Chef opérateur : Chung-hoon Chung.  Musique : David Sardy. Production : Gavin Polone. Format : 2,39:1. Durée : 99 minutes.

En salle le 30 octobre 2019.