Last Blood : make Rambo great again!

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Rambo : Last Blood artwork

Il est de retour… Plus fort… Plus puissant que jamais… John Rambo (aka Sly), dernier survivant d’un commando d’élite dans ce « putain de Vietnam ». L’homme capable de zigouiller du niakoué (ou au choix : du soviet, du birman comme des hélicoptères) par la seule force de ses mains ou de son arbalète revient dix ans après sa dernière apparition sur les écrans pour augmenter son death counter en s’offrant une petite virée sanglante dans le Mexique des cartels. Voilà à peu près ce que nous promettait le pitch du dernier opus d’une saga dont le titre nous indique clairement à la fois un retour aux sources et la fin d’une ère : Rambo : Last Blood.

UN LONESOME COWBOY NOMMÉ RAMBO

Ce n’est pas un scoop : le scénario de Rambo : Last Blood dormait dans les tiroirs de Stallone depuis belle lurette, l’acteur hésitant même à l’utiliser il y a déjà dix ans pour son grand retour. Mais ça, c’était en 2008. Depuis, Sly n’a eu de cesse de tergiverser jusqu’à proposer un temps un temps Rambo 5 : The Savage Hunt avec une méchant bébête issue de manipulations génétiques. Heureusement pour nous, le sujet, bien qu’inspiré du roman Hunter de James Byron Huggins, entretenait bien trop de points communs avec un certain Predator… Bref, en 2010, pour Sly, Rambo, comme Rocky, peut aller se coucher : il a définitivement bouclé la boucle… Ou presque puisqu’il évoque en même temps un prequel de First Blood (Ted Kotcheff, 1983), une idée saugrenue proposée en 2016 sous la forme d’une série télé qui s’intitutlerait tout simplement : Rambo : New Blood. Rebelote un an plus tard, quand le scénariste Sean Hood (Conan, 2011) travaille en collaboration avec Stallone sur un nouveau scénario proche du premier opus dans la lignée du film Impitoyable (Clint Eastwood, 1992). Face à cette situation caduque, seul l’auteur du roman original, David Morrell, pouvait mettre un terme à ces élucubrations interminables. Celui-ci travaille alors avec Stallone sur ce nouvel opus sous la forme d’un « voyage émouvant ». Mais la production ne l’entend pas de cet avis : Rambo doit repartir en voyage, et ça sera au Mexique… Recréé de toutes pièces en Buglarie ! Sly déterre donc son poignard bien caché dans les souterrains du ranch familial pour aller botter le cul du chef de cartel Hugo Martinez (Sergio Peris-Mancheta) étrangement lié à l’enlèvement de la petite-fille de Maria (Adriana Barraza), la gentille « domestique » de John. En chemin, notre héros recevra l’aide de la journaliste Carmen Delgado (Paz Vega) partie à la recherche de sa sœur enlevée elle aussi dans le cadre de ce qui pourrait bien être un trafic sexuel… Vous suivez ? 

Deux films cohabitent dans le scénario de Last Blood. Le premier porte en lui l’ADN d’une histoire émouvante issue des longues conversations entre Sylvester Stallone et David Morrell entre mars et avril 2015. On y découvre un John Rambo vieillissant qui dresse des chevaux dans le ranch familial en Arizona. Ses talents innés de pisteur lui permettent d’assister les autorités locales à l’occasion  pour retrouver les randonneurs perdus dans les montagnes avoisinantes. Ce vieux cow-boy à cheval qui fait sa première apparition à l’écran en pleine forêt sous une pluie battante pourrait donc prétendre à devenir digne héritier du personnage inventé par David Morrell dans le roman originel conçu sous l’angle d’un western post-moderne. Quelques fulgurances retiennent ici notre attention, à commencer par la composition toute en retenue de Sly dans une économie de dialogues appréciable, mais également la somptueuse photographie de ces quelques rares instants immortalisés en scope par le chef opérateur Brendan Galvin. Il nous faudra ensuite patienter jusqu’aux dernières minutes de Last Blood pour retrouver ce lonesome cowboy qui disparaît dans la lumière du soleil couchant. Entre temps, on découvrira que tonton John partage son ranch avec sa vieille amie Maria dont la petite-fille, Gabriela (Yvette Monreal), vient de retrouver la trace de son père biologique au Mexique. Pas question pour Rambo de laisser passer de l’autre côté de la frontière une jeune fille dont il assure l’éducation et surtout la sécurité.

L’histoire prise en charge par le scénariste Dan Gordon entame alors sa longue descente aux enfers vers un rape & revenge movie certes jouissif, mais désespérément bas du front. Gabriela remonte la trace de son paternel jusqu’à Mexico où l’attendent les pires sévices sexuels de la part d’un bien vilain cartel. Il n’en faudra pas plus pour réactiver la machine de guerre Rambo, qu’on croyait pourtant en paix avec lui-même depuis le précédent opus. Juanito déboulonne donc tout ce qui s’interpose entre lui et sa protégée, quitte à briser des os par la seule force de ses mains, le marteau s’avérant tout aussi efficace pour dézinguer à la chaîne. Rambo retrouve au final Gabriela droguée, scarifiée et battue à mort par ses bourreaux. Le temps des représailles arrivera bien assez vite… Pour l’heure, profitons de ces ultimes instants de quiétude crépusculaire durant lesquels le lonesome cowboy rend un dernier hommage à Gabriela enterrée auprès des parents de John. Cet horizon lourd de menaces annonce ici l’horreur à venir dans un déferlement de violence graphique dont John Rambo, réalisé par Stallone en personne, avait pu précédemment nous faire une démonstration efficace. Sly cède désormais sa place au réalisateur Adrian Grunberg, célèbre pour avoir mis en scène en 2012 le film d’action Kill The Gringo, avec Mel Gibson. Notre homme possède donc le CV tout désigné pour réaliser une œuvre bien couillue dans un pays qu’il connaît bien, le Mexique, puisqu’il en est originaire. L’action movie annoncé n’évite malheureusement pas l’écueil dans lequel la saga sombrait il y a déjà plus de trente ans avec Rambo II : La Mission (George Pan Cosmatos, 1985), reléguant le film et son héros au rang de véhicule propagandiste à la gloire de l’Amérique reaganienne.

AMERICAN PARANO

Last Blood exhibe éhontément (et peut-être malgré lui) les stigmates d’une Amérique paranoïaque regonflée à bloc par les discours sécuritaires de son président actuel, Donald Trump. Certes, Rambo souffre encore d’un syndrome de stress post-traumatique (PTSD) dont on sait qu’il ne se débarrassera jamais. Son traitement médicamenteux ne suffit pas à limiter les résurgences d’un passé infernal sans cesse réactualisé aux quatres coins du monde, depuis le Viêtnam jusqu’à l’Afghanistan, en passant par la Birmanie… Et le Mexique, donc. La preuve ? Il ne vit que pour ce réseau de tunnels construit sous son ranch. Ce véritable labyrinthe lui apporte la dernière dose d’adrénaline nécessaire pour rejouer sur les terres de l’esprit un conflit dont il ne cesse de se nourrir pour mieux l’exorciser. Le visiteur un peu trop curieux pourra y découvrir tout un arsenal old school capable d’anéantir un régiment à lui seul, ce qui finira par arriver dans un dernier acte époustouflant. Le scénariste de Last Blood réinvestit la persona de Rambo du statut de machine exterminatrice à la mécanique parfaitement huilée par le Colonel Trautman. Si l’Amérique avait jusqu’à présent versé le premier sang, c’est désormais à notre héros qu’il incombe de se faire justice au seul titre d’une vengeance personnelle, un schéma balayant d’un simple revers de la main (ou de tatane) la raison d’être originelle du personnage. Rambo fera donc passer un sale quart d’heure aux ravisseurs de Gabriela pour le plus grand plaisir des spectateurs qui se délecteront de voir l’icône pop brandir une énième fois son célèbre poignard. Certes, la trame narrative esquisse sans concession aucune le portrait d’un anti-héros incapable de sauver les victimes à sa charge, à l’heure où Hollywood galvanise le surhomme marvellien à tendance néofasciste geek. Mais cet anachronisme souligne à rebours l’insolvable contradiction qui hante les deux piliers de la filmographie de Stallone.

LES REVENANTS

L’éternel match retour en question voit s’affronter d’un côté Rocky Balboa, un boxeur populaire qui repoussera les limites géographiques de la nouvelle frontière en pleine Guerre Froide lorsqu’il exhortera  le public soviétique à changer dans Rocky IV  (« Si j’ai changé, et que vous avez changé, alors tout le monde peut changer ! »), de l’autre John Rambo, un orphelin laissé-pour-compte de cette même Amérique victorieuse qui l’a forgé. Si Rocky reçoit la ceinture de champion du monde, Johnny, lui, ne devra se contenter que de cette saleté de PTSD, leitmotiv usé jusqu’à la corde pour mettre la pâtée à tout ce qui n’est pas américain. Si Rambo en a bel et bien fini avec ses soucis de paternité, c’est désormais à lui d’en assumer la fonction auprès de Gabriela dans un environnement isolé, un ranch en plein désert, qui incite tout naturellement à un mouvement de repli identitaire. Le scénario de Last Blood met donc en place à dessein un dispositif identique à celui du Halloween de David Gordon Green sorti en 2018. Si Laurie Strode (Jamie Lee Curtis) transforme les entrailles de sa maison en piège mortel, c’est bien pour se libérer d’un fantôme du passé qu’incarne Michael Myers. Au contraire, John Rambo, lui, végète seul au beau milieu d’un arsenal militaire souterrain en attendant l’éternel retour de l’Autre à l’identité interchangeable. Le mécanisme mis en place agit donc ici comme simple système défensif dont la mise en place pourra étonnement rappeler les préparatifs de Noël du jeune Kevin McCallister dans Maman j’ai raté l’avion (Chris Columbus, 1990). John Rambo transforme ainsi sa maison dans le dernier tiers du film en théâtre d’un son et lumière létal pour quiconque osera outrepasser la frontière d’une cellule familiale laborieusement recomposée. Le cartel mexicain passe donc un quart d’heure sanglant au beau milieu d’un paysage désertique et mortifère traversé de tranchées où nous quittons Rambo paisiblement installé dans son rocking chair. 

Cette vision achève de nous convaincre que Last Blood, dernier du nom, porte la signature symptomatique d’un film de revenants dont Jarmusch nous a offert cette année une variation avec The Dead Don’t Die. Rambo accepte de sortir de son tunnel, et donc de revenir d’entre les morts pour hanter les vivants, à condition de mettre une sacrée bonne raclée à ceux qui ont foulé sa tombe. Cette impression se confirme d’autant plus en écoutant la composition de Brian Tyler, très fortement inspirée du travail de Jerry Goldsmith sur les trois premiers opus de la franchise. Les tonalités féroces, pour ne pas dire primitives, de ses thèmes balaient à grands coups de percussions les rares stances mélancoliques assurées par les cordes et les cuivres. Si les 113 millions de dollars rapportés par John Rambo (2008) à travers le monde auront suffi à convaincre le producteur Avi Lerner, fils spirituel de la Cannon via la société Nu Image, d’envoyer Sly casser du plouc amateur de coke et de reggaeton, Stallone, quant à lui, regrettera sans doute d’avoir ressorti du tiroir (ou de son terrier, au choix) une ébauche de scénario déjà prévue dix ans plus tôt pour conclure une saga devenue à tort le véhicule de l’idéologie guerrière pro ricaine. Soucieux de redonner un deuxième souffle à son personnage définitivement à bout de course, l’acteur envisagerait d’offrir au public un prequel à First Blood dans lequel on découvrirait le vaillant Rambo à l’âge de 16 ans. Pas de doute, Stallone souhaite remettre les enjeux de son personnage au goût du jour. Oserons-nous donc lui suggérer de s’inspirer du pitch de la série animée Rambo : The Force of Freedom qui dès 1986 voyait notre héros soigner des animaux sauvages et dézinguer des méchants terroristes anti-écologistes ? Peu importe après tout : make Rambo great again !

A la production : Avi Lerner, Steven Paul et Kevin King Templeton pour Lionsgate & Metropolitan FilmExport.

Derrière la caméra : Adrian Gunberg (réalisation). Matthew Cirulnick (scénario). Brendan Galvin (chef opérateur). Brian Tyler (musique).

A l’écran : Sylvester Stallone, Paz Vega, Yvette Monreal, Sheila Shah,  Oscar Jaenada, Sergio Peris-Mencheta.

Sur Ciné + : en juin 2022.

Copyright photos : Metropolitan FilmExport / The Ringer.