Prey : le Prédator sonne toujours cinq fois

par

En 2018, avec la production chaotique et le résultat au box-office désastreux de The Predator, la franchise initiée par John McTiernan une trentaine d’années plus tôt semblait enterrée. Toutefois, entre les sorties à moindres coûts sur les plateformes de streaming et la volonté d’exploiter les célèbres licences de la 20th Century Studios depuis son rachat en 2019, Disney voit avec Prey la possibilité d’une renaissance pour l’alien chasseur.

 Depuis la mise en production du projet, de nombreuses annonces sont apparues, créant aussi bien de l’excitation que de la méfiance. Côté positif : la présence à la réalisation de Dan Trachtenberg qui avait déjà réussi à s’imposer artistiquement dans une autre marque (Cloverfield), la volonté de ne pas faire uniquement une préquelle ou un reboot, partir sur une époque différente que contemporaine/futuriste et le choix de faire un film Rated R. Côté négatif : les points positifs mais sous leurs aspects néfastes. Un metteur en scène pas encore assez imposant et obligé de se plier aux exigences du studio. L’intention de faire table rase des autres opus au point de s’interroger sur l’intérêt de ce nouveau volet au sein de la saga et l’idée d’offrir un contenu facilement violent (par effets de style et sur-utilisation de gore) surtout pour vendre la branche adulte de la plateforme. Prey assure-t-il le retour d’une franchise de survie ou la survie d’une franchise sur le retour ?  

PREY-DATOR

La saga Predator met en scène un alien amoureux de la chasse face à un groupe d’humains. La volonté de cet affrontement est de montrer la part bestiale chez l’Homme, notamment avec ses capacités inférieures (physiques comme technologiques) face à une incarnation du Mal, comme souvent avec les sagas horrifiques telles qu’Alien, Freddy ou Halloween... Cela afin de nuancer qui est la proie et qui est le prédateur entre le héros et le monstre. En plus de proposer un pur divertissement régressif par sa violence, les différents volets de la franchise ont toujours réussi à se différencier entre eux, notamment par de nouveaux protagonistes rapidement identifiables dans un contexte toujours original face aux monstres : militaires surentraînés dans une jungle humide, policiers infatigables dans un Los Angeles dominé par la violence, criminels parachutés sur la planète du chasseur, malades mentaux dans un complexe militaire. Avec Prey, Trachtenberg renouvelle la formule, cette fois à l’aide d’une tribu de Comanches au début du XVIIIe siècle. Ce nouvel opus propose alors un combat plus physique avec deux adversaires que tout oppose : le passé (l’histoire) et le futur (la technologie).

Prey reprend également la structure narrative des précédents films de la franchise : découverte graduelle de la menace, décimation du groupe avec différentes tergiversations, affrontement final entre le héros et le prédateur. L’œuvre de Trachtenberg insère dans cette formule le personnage de Naru, jeune adolescente qui souhaite prouver sa valeur au combat à sa tribu, mais souvent rabaissée à sa condition de femme et les différentes pratiques qui l’accompagnent (cueilleuse, soigneuse, guérisseuse). L’affrontement avec le chasseur est donc l’occasion idéale de s’émanciper.

Si le film respecte parfaitement le cahier des charges de la saga, c’est au détriment de son développement assez simpliste. Que ce soit les enjeux amenés par le changement de sexe de la protagoniste principale, l’intérêt du milieu social qui l’entoure ou la métaphore entre le Predator et les colons européens comme nouveaux oppresseurs, l’écriture de Prey ne parvient jamais véritablement à se déployer. De plus, les rares enjeux réussissant à se démarquer dans le film sont si fortement appuyés qu’ils font passer à côté les lignes de dialogue d’Adrien Brody dans Predators (N. Antal, 2018) comme fins et nuancés. Cette version 2022 s’inscrit alors dans la lignée des différents opus de la franchise depuis le deuxième volet, soit une bonne idée sur le papier pour un résultat décevant à l’écran.

GÉNÉRATION PREY

Si la saga ne s’est jamais illustrée par sa complexité narrative, c’est avant tout parce qu’elle n’est qu’une occasion à présenter une mise en scène efficace. Minimaliste plutôt que simpliste, l’enjeu est de transporter le spectateur dans une confrontation entre deux forces d’opposition. L’œuvre de Trachtenberg s’engouffre dans une narration trop importante pour une mise en scène souvent absente. Une perspective visuelle à contre-courant du premier volet de la saga, brillamment mis en scène par McTiernan à la fin des années 80.

Prey souffre également d’un véritable problème de tonalité picturale. Entre des scènes de nuit en pleine nature très sombres à la The Revenant (A. Iñárritu, 2015) et des scènes diurnes ultra-colorées avec une verdure aussi belle que celle de la Comté des Hobbits, le tout agrémenté par de nombreux plans numériques d’animaux loin d’avoir le même rendu que Le Roi Lion (J. Favreau, 2019), le réalisateur peine à convaincre avec son atmosphère végétale.

Le travail de Trachtenberg se démarque surtout par sa capacité à dissimuler ses scènes violentes malgré leurs ambitions stylistiques. Un objectif qui permet à l’œuvre d’être observée par une très jeune population malgré l’approche originelle promise. Présenter uniquement des personnages principaux adolescents tel un teen movie, en dépit de la présence d’adultes dans la tribu, appuie également cette volonté d’approcher surtout la nouvelle génération, quitte à faire passer la menace du Pretador pour un jeu d’enfants en forêt.

Prey est une œuvre beaucoup trop conflictuelle. Le film essaie de renouveler une formule bien rodée à l’aide d’un personnage féminin dans un cadre historique déterminé, tout en respectant les codes d’une franchise vieille de plus de trente ans ; d’offrir un spectacle violent et brutal, tout en captant l’attention des adolescents pour assurer l’héritage de la saga ; de s’intéresser à des enjeux profonds (l’oppression de la population nord-amérindienne, la condition de la femme dans un groupe restreint, la quête d’émancipation), tout en assurantle le spectacle (sa source reste le blockbuster bourrin des années 80) ; de prétendre à l’intime, sous couvert de promotion d’une marque.

Trachtenberg s’en sort plus convenablement que certains metteurs en scène d’œuvres franchisées, notamment en remplissant quand même les attentes d’un nouveau volet Predator : iconisation du monstre, affrontements violents, déséquilibre des forces dramatiques, héros évoluant afin de vaincre l’alien. Prey échoue à se singulariser, mais c’est sans doute de cette manière qu’il s’inscrit le mieux dans une franchise SF, souvent décevante malgré ses bonnes intentions. Entre l’ambition commerciale du studio et l’ambition artistique du réalisateur, il est facile de différentier la proie du prédateur.

A la production : John Davis, Marty P. Ewing, John Fox & Jhane Myers pour Davis Entertainment & 20th Century Studios.

Derrière la caméra : Dan Trachtenberg (réalisation). Patrick Aison & Dan Trachtenberg (scénario). Jeff Cutter (chef opérateur). Sarah Schachner (musique).

A l’écran : Amber Midthunder, Dakota Beavers, Dane DiLiegro, Stormee Kipp, Michelle Thrush, Julian Black Antelope, Stefany Mathias, Bennett Taylor.

Sur Disney + le : 5 août 2022.