Osterman Week-end : deux jours dans le brouillard

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Quel regard porter sur le dernier film d’un réalisateur aussi marquant que Sam Peckinpah ? Auteur antisystème à Hollywood aux frasques légendaires, il était connu pour la violence de ses films et les litres de sang qui s’y déversaient et inspira quelques-uns des plus grands cinéastes américains actuels. En 1983, il réalise son chant du cygne avec Osterman week-end, intrigante histoire mêlant espionnage russe, fraude fiscale et trahisons, le tout dans une charmante villa de Beverly Hills.   

John Tanner (Rutger Hauer) est un journaliste Américain craint et implacable qui, un peu comme Élise Lucet, traque les politiques en direct et en prime time pour les mettre face à leurs contradictions. Un jour, il est approché par un agent de la CIA, Lawrence Fassett (John Hurt), qui l’informe que trois de ses amis proches seraient des agents du KGB. Dans le but de démembrer le réseau de l’intérieur, Fassett propose alors à Tanner une mission ayant pour but de transformer l’un des trois en agent américain. Il lui suffit d’inviter ses amis à venir passer un week-end dans sa maison, truffée de caméras et de micros pour l’occasion, en échange de quoi Tanner pourra cuisiner en direct sur son plateau le directeur de la célèbre agence, joué par Burt Lancaster.

UN RETOUR EN DEMI-TEINTE

Pour ce qui sera son ultime film, le grand Sam Peckinpah compte sur un retour triomphal après quelques années d’errance occupées à tourner des clips et des films au pédigrée fort éloigné des œuvres qui ont fait son succès. Pour ce faire, il mise sur une équation a priori infaillible : l’adaptation d’un roman d’espionnage écrit par l’un des maîtres du genre, Robert Ludlum, une musique composée par le légendaire Lalo Schifrin et un casting cinq étoiles. Jugez plutôt : Dennis Hopper, Burt Lancaster et John Hurt. L’incarnation de la face reluisante d’un pays qui doit faire face à la constante menace extérieure sur son territoire est ici interprétée par le hollandais Rutger Hauer, qui trouve ici son premier grand rôle hollywoodien. Il est Tanner, héros sérieux et intègre, honorable père de famille fidèle en amitié.

Malheureusement pour l’ami Sam, le triomphe espéré n’est pas au rendez-vous. Malgré les nombreuses promesses sur le papier, une belle photo et des acteurs impliqués, l’histoire ne s’avère pas à la hauteur de son haut potentiel. La faute en revient à une intrigue confuse, de plus en plus noueuse à mesure que l’on avance, à tâtons, dans cette peinture d’une Amérique prise en pleine Guerre Froide. Il faut dire que le contexte n’est pas le plus favorable. Peckinpah souffre de problèmes de santé et juge le scénario médiocre. Mais fidèle à son habitude, il espère en tirer le meilleur comme il avait pu le faire avec Les Chiens de paille, dont il détestait le roman original. Peut-être compte-t-il aussi sur le potentiel nostalgique des grands films d’espionnage teintés de paranoïa, type Les Trois Jours du Condor, genre qui s’est essoufflé à l’approche des années 80 ?

LA POISSE AMÉRICAINE

S’il ne souffre pas la comparaison avec cette époque, Osterman week-end vaut tout de même le détour. Même si l’intrigue s’emmêle un peu à force de courir plusieurs lièvres à la fois, ça reste suffisamment bien ficelé pour intriguer jusqu’au bout. Et puis observer l’inégalable John Hurt est toujours un régal et on ne boude pas notre plaisir de le découvrir dans ce rôle malin et éloigné de son registre habituel. Toutefois, un constat apparaît de manière flagrante dès la toute première scène, le film n’a pas très bien vieilli. En effet, une touche surannée teinte l’image, un éclat décalé qu’on regarde avec compassion car c’est aussi ce qui fait son charme. En effet, le saxophone de la bande-son rappelle non sans un certain plaisir l’ambiance d’un épisode d’Hollywood Night, et dans un lit, une femme blonde, peau douce et cheveux brillants, susurre langoureusement des mots doux à son amant avant de se faire assassiner pendant la douche de ce dernier. Si le gimmick essoufflé de la blonde lascive reviendra à de nombreuses reprises, d’autres marqueurs temporels datés ne manqueront pas de faire leur apparition, comme ces scènes d’action au ralenti et une course-poursuite au montage poussif.

Ce qui démarre comme un film d’espionnage prometteur se transforme donc progressivement en un thriller qui pèche parfois par excès de complexité et revêt parfois de faux airs de nanar. C’est aujourd’hui un certain gage de qualité, certes, mais si Peckinpah avait pu user des motifs qui faisaient sa marque de fabrique, il aurait pu conférer à Osterman week-end une vraie patte poisseuse qui aurait sans doute encore plus apporté à sa postérité.

A la production : Peter S. Davis & William N. Panzer pour 20th Century Fox.

Derrière la caméra : Sam Peckinpah (réalisation). Alan Sharp (scénario). Jordan Oram (chef opérateur). Lalo Schifrin (musique).

A l’écran : Rutger Hauer, John Hurt, Craig T. Nelson, Dennis Hopper, Meg Foster, Helen Shaver, Cassie Yates, Sandy McPeak.

Sur Ciné + en : juin 2023.

Copyright photos : 20th CENTURY FOX.