Mon chien Stupide

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Mon chien stupide

Troisième volet de la trilogie intime et amoureuse débutée avec Ma femme est une actrice (2001), Mon chien stupide permet à Yvan Attal de décliner ses scènes de ménage à l’approche de la cinquantaine. Au sommaire : un roman, un chien, des gags et beaucoup de tendresse.

Mon chien Stupide (le film) illustre une vérité mille fois prouvée et pourtant contre-intuitive : ce n’est pas parce qu’un livre présente une histoire simple qu’il sera facile à adapter. Nul besoin de vaisseaux spatiaux ou d’intrigues psychologiques retorses et entremêlées pour donner du fil à retordre aux scénaristes. Preuve qu’un roman n’est pas qu’une trame ; c’est aussi un ton, un point de vue conditionné par des aléas historiques et sociaux. Le roman de John Fante, par exemple, est un pur plaisir de plume qui cisèle une intrigue banale par un style flamboyant. Osons le dire : Mon chien Stupide (le livre) ne manque pas de mordant. Il est méchant, cynique, irritant comme une râpe. L’adapter en plein règne du politiquement correct constituait donc un pari. Le résultat serait une trahison lisse ou une brise rafraîchissante dans une époque qui étouffe des baillons qu’elle s’est elle-même créés.

LE LIVRE

Publié au milieu des années 80, Mon chien Stupide se concentre autour d’une figure récurrente de la littérature américaine : le looser pathétique. Celui-là même que l’on retrouvera chez Philip Roth ou dans le High Fidelity (1995) de Nick Hornby. Henry est romancier et scénariste. Raté dans les deux cas. En pleine crise de la cinquantaine, il traîne sa bedaine dans une grande maison au bord du Pacifique à la recherche d’une inspiration foudroyante. Le contexte ne l’aide pas. Sa femme et ses quatre enfants ont l’hystérie des personnages du théâtre de Molière : des caricatures qui entrent et sortent en permanence, qui font claquer des portes. Mais voilà qu’un jour, un nouvel arrivant débarque à son tour. Un chien, laid et sale, obsédé sexuel décomplexé, qui va rompre ce précaire équilibre familial. Plus que son histoire -quelque peu banale, c’est la voix du narrateur qui fait la force du roman. Inutile de plonger très profondément dans la biographie de l’auteur pour y voir un alter-ego de papier. Fante aussi était un écrivain sous-estimé (à la plume jugée grossière par les éditeurs), scénariste pour payer ses factures, père de quatre enfants. Lui aussi s’était renfermé dans une grande maison au pied de l’océan, trahi par un corps diabétique qui le priverait de ses jambes et de la vue. 

© Fra Bogen

Mon chien Stupide est, en somme, un roman de l’aigreur, publié à titre posthume. « La pire chose qui puisse arriver aux gens c’est l’amertume. Ils deviennent tous si amers », dit un jour l’auteur à son ami Charles Bukowski. Cette amertume est dans chaque page, elle transpire de la description des personnages – Henry en tête – qui oscillent tous entre bêtise et méchanceté. On ne choisit pas sa famille, qu’à cela ne tienne ! Henry va tenter d’expulser ses enfants un à un du domicile familial. L’histoire avance au rythme d’un décompte cynique : « quatre moins un égale trois », et ainsi de suite jusqu’à la solitude.

LE FILM

Qu’importe que la trame californienne soit transposée sur les côtes basques françaises, le vrai défi de l’adaptation de Mon chien Stupide réside dans le traitement de la violence. Comment rendre le cynisme, la méchanceté, aussi drôles et séduisants que dans le livre ? On pourrait dire que, sur ce point, le pari est raté ; ce ne serait pas tout à fait exact, puisqu’il n’a même pas été risqué. « L’époque veut que je sois obligé d’adapter Fante », explique ainsi Yvan Attal. Jouer au jeu des sept erreurs entre le roman et son adaptation, c’est découvrir ce qu’il n’est plus permis de dire ou de montrer à l’écran. C’est tâter les contours du politiquement correct. « Je ne pouvais pas par exemple raconter cette scène de viol conjugal. » Sans doute pas, en effet. De même qu’il aurait fallu bien de l’adresse pour traiter le personnage de Dominic, le fils qui refuse de sortir avec des femmes blanches tant il aime les lourds postérieurs noirs. Si Attal se sort des pièges tendus par l’évolution des consciences avec une indéniable efficacité, on ne peut que regretter ces petites modifications qui, mises bout-à-bout, lissent terriblement l’œuvre de Fante. Il existait pourtant un moyen simple de traduire l’immoralité originelle de l’œuvre : construire le film autour du compte-à-rebours anti-enfants du narrateur. Yvan Attal effleure cette option, trop tardivement, et lui préfère la structure éculée du « livre en cours d’écriture ». Les turbulences traversées par Henri à l’écran lui rendent l’inspiration tant recherchée et le voilà qui présente à son éditeur un manuscrit intitulé A l’ouest de Rome. Inutile de préciser que le titre original du livre est West of Rome et que les extraits cités sont extraits de la véritable traduction de Brice Matthieussent (édition 10|18). Le clin d’œil est sympathique, mais trop prévisible pour cueillir le spectateur. 

© David Koskas/Studiocanal

Quiconque connaît le livre peut cependant s’amuser à noter que les pages montrées à l’écran lors de l’impression du manuscrit concernent précisément le goût de Dominic pour les femmes noires… Doit-on par conséquent parler d’une mauvaise adaptation ? Pas tout à fait, et le souci du texte y est incontestable. Ce que le film perd en immoralité, il le gagne d’ailleurs en tendresse : les scènes les plus réussies sont celles qui laissent affleurer l’amour sous l’humour, celles dans lesquels Attal joue de la frontière entre la fiction et le réel (sa femme – merveilleuse Charlotte Gainsbourg ! – et son fils sont au casting). De là le choix d’une fin plus lumineuse que celle de Fante, une scène tout en douceur qui laisse entendre que oui, parfois, on choisit sa famille. Et on l’aime, malgré tout. On salue donc Yvan Attal qui, contraint de modifier la lettre, est parvenu à conserver l’esprit.

Mon chien Stupide  (2019 – France) ; Réalisation : Yvan Attal. Scénario : Yaël Langmann et Yvan Attal d’après le roman de John Fante. Avec : Yvan Attal, Charlotte Gainsbourg, Eric Ruf, Pascale Arbillot,  Sébastien Thiery, Ben Attal et Adèle Wismes. Chef opérateur : Rémy Chevron  Musique : Brad Mehldau. Production : Vincent Roget, Georges Kern et Florian Genetet-Morel. Format : 2,35:1. Durée : 106 minutes.

 En salle le 30 octobre 2019.

Copyright photo de couverture : David Koskas