Pourquoi faut-il revoir Miracle sur la 8e rue ?

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Des miracles, Steven Spielberg ne cessa d’en accomplir tout au long de sa première grande décade prodigieuse. Quelque part entre Le Temple Maudit et La Dernière Croisade, le wonder boy fit même discrètement une petite merveille à New York en 1987 avec l’aide d’un vieil ami, de deux jeunes scénaristes prometteurs et d’un illustrateur de génie. * Batteries not included  sort dans les salles américaines à quelques jours de Noël, soit huit mois après le dernier épisode des Histoires Fantastiques, un « rêve de gosse » produit par Spielberg pour la télévision. Coïncidence ? Les deux productions sont d’autant plus liées que le film ne devait être à l’origine qu’un épisode de l’anthologie. Il aura fallu le talent de storyteller d’un certain Brad Bird (Le Géant de FerLes Indestructibles) pour convaincre Spielberg d’accorder la latitude d’un long-métrage à son histoire de robots extra-terrestres bienveillants. Ainsi accomplit-il son petit prodige, connu dans nos contrées sous le titre de Miracle sur la 8rue.

DES MOGWAIS MÉCANIQUES

L’apocalypse cyborg de Terminator faillit bien survenir à l’hiver 1987. Nintendo nous envoyait depuis ses usines nippones un drôle de robot en guise de compagnon de jeu. Son « R.O.B. » fit d’ailleurs sourire puis très vite grincer des dents les gamers désespérés de devoir se coltiner un ami aussi lent. En salle, le RoboCop de Paul Verhoeven nettoyait les rues de Detroit avec une redoutable efficacité. L’Occident était-il promis à un quelconque enfer mécanique ? Certainement pas pour Brad Bird, un jeune animateur fraîchement renvoyé des studios Disney quelques temps après Tim Burton. Steven Spielberg ne manque alors pas de remarquer le talent de ce drôle d’oiseau et l’embauche sur sa nouvelle série, les Histoires Fantastiques, qu’il met sur pied grâce à son prestigieux carnet d’adresses. Brad Bird se retrouve ainsi propulsé du jour au lendemain sur un projet d’envergure où se côtoient les amis proches et les jeunes poulains du réalisateur. Son chemin croise en plateau celui de Matthew Robbins qui a lui aussi fait ses armes chez Spielberg, d’abord en tant que scénariste (Sugarland Express, 1974), puis premier assistant-réalisateur (Rencontres du 3e type, 1977). C’est donc tout naturellement que Robbins a rejoint la longue liste des proches collaborateurs invités à réaliser un épisode des Amazing Stories. Bird écrit pour lui un scénario sur lequel planche également un autre jeune espoir, Mick Garris, sûrement mis sur le coup par Tobe Hooper (tous les deux ont travaillé sur le Poltergeist produit – et même sûrement réalisé – par Spielberg et réaliseront chacun un épisode des Histoires Fantastiques). Ce premier coup d’essai assoie la crédibilité artistique de Bird aux yeux de Spielberg : le scénariste réalise à son tour un épisode (Family Dog), d’ailleurs à ce jour le seul court-métrage en animation de la série. De son côté, Mick Garris songe-t-il à Numéro 5, le robot si humain de Short Circuit (J. Badham, 1986), lorsqu’il concocte le scénario d’un épisode centré sur une famille de petits droïdes tout aussi attachants qui viennent en aide aux habitants d’un immeuble menacés d’expulsion ? Spielberg se prend d’affection pour ces mogwai mécaniques au point de leur accorder un film tout entier qu’il entend confier à son duo de choc, Bird et Robbins. Le tandem s’adjoint à son tour les services de deux experts en robotique, Brent Maddock et S.S. Wilson, les scénaristes derrière le succès de…Short Circuit. Leur nouvelle création s’apprête à démonter l’air de rien les idées reçues sur les dangers de l’intelligence artificielle et les envahisseurs de l’espace. Amblin et Universal, qui produit déjà la série de Spielberg via NBC, réunissent leurs talents dans les coulisses de Miracle sur la 8e rue : les inséparables  Kathleen Kennedy et Frank Marshall, mais aussi Gerald R. Molen, un producteur qui ne boude pas d’ordinaire son plaisir pour faire un petit cameo dans ses propres films (Jurassic Park, Rain Man, Amistad, etc.) 

ADORABLES CRÉATURES

« Dans les années 80 […] plus personne n’aime la réalité » peut-on entendre dans le premier quart d’heure de Miracle sur la 8e rue. La réplique sonne le glas d’un cinéma fondamentalement bienveillant où les ados pouvaient encore s’acoquiner sans danger avec les aliens égarés sur Terre (E.T., Starman) et se prendre pour Dieu grâce à leurs ordinateurs (WarGames, Une créature de rêve). Chez Matthew Robbins en revanche, la technologie extraterrestre contrecarre les plans de la jeune génération qui ne rêve rien d’autre que de balayer ses aînés d’un revers de la main. Miracle sur la 8rue rejoue le combat de David contre Goliath à l’échelle d’un quartier populaire de New York promis à la gentrification par un yuppie sans vergogne. Et pourtant, rien ni personne ne pourra déloger Mason, le peintre bohème en mal d’amour, Marisa, seule et enceinte dans l’appartement de son mari musicien, le mutique Harry, une ancienne gloire du ring, mais surtout Frank, le propriétaire octogénaire du Riley’s Café, souvenir d’une époque lointaine dans laquelle Faye, sa compagne, a égaré sa mémoire. Sans espoir de salut, seul un miracle du ciel pourrait bien les sauver des bulldozers. La réponse viendra du ciel sous la forme d’un couple de robots, Flotsam et Jetsam, « fournis sans piles ». L’histoire semble aujourd’hui cousue de fils blancs, son discours social éculé. Le film déjoue pourtant les fantasmes paranoïaques issus de la science-fiction des années 50 (Le Méteore de la nuit, LeJour où la Terre s’arrêta, etc.) et s’appuie sur un casting relativement mâture dans un genre prisé par la « génération des multiplexes ». Matthew Robbins confie à cet effet ses deux rôles principaux à un couple d’acteurs vétérans, Hume Cronyn et Jessica Tandy, mariés à la ville comme à l’écran, dont les sympathiques trombines réveilleront sans doute bien des souvenirs de l’âge d’or hollywoodien. La jeune génération les identifiera surtout au groupe de pensionnaires de la maison de retraite de Cocoon revigorés par une baignade nocturne avec des extraterrestres, parachevant ainsi à rebours cette lecture méta-filmique possible.

L’autre grand tour de force de Miracle sur la 8rue, c’est enfin de réussir à nous enticher de petits engins métalliques savamment conçus pour faire pleurer dans les chaumières par Ralph McQuarrie, l’illustrateur de génie derrière les designs de la saga Star Wars, de la trilogie Indiana Jones ou encore d’E.T. et de… Cocoon. Énième coïncidence ? Spielberg a déjà éprouvé la méthode sur l’une de ses productions « récentes » lorsqu’il sommait Joe Dante de ne pas transformer Gizmo en hideux chef punk des Gremlins, comme le prévoyait le scénario original de Chris Columbus. McQuarrie dote donc ses robots d’une âme grâce à une paire d’yeux si expressifs que la plus inhumaine des créatures terrestres ne manquerait pas de verser sa petite larmichette. Flotsam et Jetsam constituent assurément le chaînon manquant entre Numéro 5 et Wall-E, en passant par Weebo, le robot en lévitation de Flubber capable de générer un hologramme humain à partir d’un ordinateur. La boucle est bouclée…

Miracle sur la 8e rue (* batteries not included, 1987 – États-Unis) ; Réalisation : Matthew Robbins. Scénario : Matthew Robbins, Mick Garris, Brad Bird, Brent Maddock et S.S. Wilson d’après une idée de Steven Spielberg. Avec : Hume Cronyn, Jessica Tandy, Frank McRae, Elizabeth Peña, Michael Carmine, Dennis Boutsikaris, Tom Aldredge, Jane Hoffman, John DiSanti, John Pankow, MacIntyre Dixon, Michael Greene, Doris Belack, Wendy Schaal, José Angel Santana, James Le Gros, Ronald L. Schwary, Susan Shoffner, Shelly Kurtz, Joe Hamer, H. Clay Dear, Howard Renensland, Judy Grafe, Alice Beardsley, Dick Martinsen, Charles Raymond, Riki Colon, Jon Imparato, David Vasquez, John Arceri, Lorenzo. Chef opérateur : John McPherson. Musique : James Horner. Production : Steven Spielberg, Kathleen Kennedy, Frank Marshall, Gerald R. Molen et Ronald L. Schwary – Universal Pictures et Amblin Entertainment. Format : 1.85:1. Durée : 106 minutes.

En salle le 18 décembre 1987 aux États-Unis / Disponible en VHS le 28 novembre 1988.

Copyright photo de couverture : Angelo Fernandes/Amblin Entertainment.