Les premières images du film apparaissent lorsque Ruka, le personnage principal alors enfant, ouvre les yeux. Et avec elle, le spectateur ouvre lui aussi les yeux sur presque deux heures de spectacle. On s’étonnerait presque du fait qu’il s’agisse d’une adaptation d’un manga, Les enfants de la mer (publié de 2006 à 2011) de Daisuke Igarashi, tant l’histoire appelle à un mouvement permanent.
Un anime éblouissant
Avant même d’aborder l’histoire, il faut reconnaitre la réussite impeccable de l’animation du film de Ayumu Watanabe. Ainsi, même si le sujet ne plaisait ou n’intéressait pas, les images suffiraient à combler les spectateurs. Bien que certaines séquences nous transportent plus que d’autres, certains plans sur le ciel suffisent à impressionner. On ne peut s’empêcher de penser à l’un des plus grands représentants de l’animation japonaise, Hayao Miyazaki, surtout avec Kenichi Konishi, ancien du studio Ghibli, en tant que directeur de l’animation, et Eiko Takana, productrice de Kiki la petite sorcière (1989) et Mon voisin Totoro (1988), en tête du studio de production STUDIO 4°C. Pourtant, hormis le sujet de la nature et une jeune héroïne, le film réussit à poser sa singularité sans difficulté. D’autant plus que ce que certains reprochent à l’animation de Miyazaki, et plus généralement à l’animation japonaise, est totalement balayé avec Les enfants de la mer. En effet, l’auteur de Masters of Animation, John Grant, considérait l’animation japonaise comme « des comics trips en mouvement » dans son ouvrage, tandis que le créateur de AEon Flux, Peter Chung, affirmait que l’animation japonaise faisait passer « la réalisation en premier, et l’animation en second ». Bien que l’on pourrait argumenter sur le fait que ce type de réalisation n’est pas un défaut, il s’agit ici de voir que Les enfants de la mer fait passer l’animation en premier.
En effet, si l’on devait le rapprocher d’une œuvre, on pourrait le comparer à Amer Béton (2006) de Michael Arias, lui aussi produit par STUDIO 4°C, par son mouvement permanent et cette abondance d’images qui ne peuvent fonctionner que via l’animation. Citons pour l’exemple l’un des motifs récurrents du film, les yeux. Les yeux immenses de Ruka semblent changer de couleur en permanence et reflètent diverses formes pour nous illustrer son état d’esprit. Il s’agit peut-être d’un détail dans l’œuvre abondante que constitue le film, mais cela prouve l’attention portée à chacun des plans. Bien sûr, pour parler de la réussite de l’animation, on pense plutôt aux scènes de fin dans lesquelles Ruka voit la création de l’univers, ou encore quasiment toutes les scènes sous-marines. On notera aussi certains mouvements qui seraient impossibles à réaliser avec des caméras et qui attestent de l’utilisation pertinente de l’animation dans ce film. Ainsi, l’animation du film éblouit, et représentera sans aucun doute une œuvre importante dans l’histoire du STUDIO 4°C.

© 2019 Daisuke Igarashi, Shogakukan/ »Children of the Sea » Committee
Un coming-of-age traditionnel
Mais cela ne signifie pas qu’il faut mettre l’histoire de côté. Le film commence sur un épisode plutôt classique : une jeune lycéenne profite de ses vacances d’été pour jouer au handball, mais se fera renvoyer après une faute commise sur une autre élève. On comprend rapidement que Ruka ne peut supporter de rester chez elle avec sa mère et son problème d’alcool, et qu’elle ne sait quoi faire de son été. On initie donc l’intrigue avec un début classique de coming-of-age, grâce à un personnage qui ne sait s’exprimer et se sent perdue dans sa famille. Mais la séquence d’ouverture promettait tout autre chose, à savoir l’explication de la naissance des étoiles. Finalement, le film parvient à réunir les ces réflexions et le coming-of-age traditionnel. Ruka rencontre Umi, un garçon ayant été élevé par des dugongs, et son frère, Sora. Des scientifiques, dont le père de Ruka, essayent de comprendre la maladie qui touche les deux garçons, et, en arrière-plan, on perçoit une intrigue concernant des personnages haut placés, sans que cela ne soit jamais réellement expliqué. La véritable origine des deux garçons ne sera non plus jamais explicitée. La réponse la plus plausible se trouve sûrement dans les propos finaux de Dédé, qui raconte à la jeune fille avoir elle aussi rencontré des garçons venus de la mer lorsqu’elle était jeune. Umi et Sora servent donc au coming-of-age de Ruka, mais pas uniquement…

© 2019 Daisuke Igarashi, Shogakukan/ »Children of the Sea » Committee
Entre mer et ciel
Umi, « mer » en japonais, et Sora, « ciel », représentent cette naissance des étoiles, et de l’univers en général. Jusqu’à leur transformation finale, Ruka restera à leur côté, et grâce à la connaissance qu’elle acquiert en les aidant, elle grandit, mais elle prend également conscience de l’univers. Lors de la longue séquence où Ruka voit tout ce que la météorite contient, on passe ainsi par toutes les étapes de la création de l’univers. Pratiquement sans paroles, cette séquence apparait comme une réussite d’animation, et, par son propos, rappelle presque Tree of Life (2011) de Terrence Malick. Le film s’est donc largement éloigné de l’intrigue de départ pour effleurer un propos métaphysique. Pourtant, cela n’empêche pas des passages à d’autres personnages, avec un retour sur les parents de Ruka. Cela est utile dans le scénario, puisque cela permet d’expliquer comment ses parents réussissent à la retrouver finalement, et de réunir enfin les deux personnages, ce qui était l’un des enjeux du film. Mais cette coupure bloque un peu l’envolée lyrique. Il y a comme une hésitation constante entre le coming-of-age classique, avec des détails comme la voix off de Ruka qui ouvre le film de manière assez conventionnelle par exemple, et un intérêt pour l’origine du monde ainsi que tous ces propos bien plus complexes. Ainsi, lorsque le film se termine sur Ruka et l’écolière qu’elle a blessée, cela donne une brutale impression de retour à la réalité. Comme si tout ce que l’on venait de voir n’était réellement qu’un mirage destiné à pousser Ruka à cette situation finale. Mais c’est sûrement ce que le personnage ressent aussi. Bien que la manière d’aborder l’évolution du personnage de Ruka soit grandiose et métaphysique, celle-ci retourne à sa vie d’avant sans réelle transition.

© 2019 Daisuke Igarashi, Shogakukan/ »Children of the Sea » Committee
L’origine du monde
Les enfants de la mer recèle dans son sous-texte une poétique de l’adolescence. Chacun passerait par un questionnement métaphysique qui se résoudrait par la compréhension de l’origine du monde. Il y a quelque chose de rafraichissant à voir que les jeunes personnages, et avec eux un jeune public, ne sont pas considérés comme des imbéciles. Mais en même temps demeure le risque de perdre des spectateurs en route, comme cela a pu être le cas avec le film de Malick en question par exemple. Ainsi, Les enfants de la mer est un film d’animation ambitieux, avec des images superbes et une intrigue qui trouvera un écho singulier auprès d’un large public. On notera également la bande-son du compositeur Joe Hisaishi, qui revient pour la deuxième fois depuis 2013 au cinéma. Pour accompagner le film, il fait le choix d’une musique plutôt minimaliste, qui permet au spectateur de conserver son attention sur l’écran. Et il vaut mieux garder les yeux grands ouverts pour capter toute la beauté de ce film.
