Les Deux Sirènes

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On ne compte plus les innombrables productions montées sur le seul nom d’un artiste suffisamment bankable, ou du moins en prenant en compte son capital sympathie auprès du public. Les Deux Sirènes (Mermaids), réalisé en 1990 par Richard Benjamin, aurait ainsi pu devenir un simple produit promotionnel pour l’actrice et chanteuse pop Cher, alors à l’apogée de ses carrières musicale et cinématographique. Fort heureusement, il n’en est rien. Cette tendre chronique familiale ponctuée de tubes des années 60 passera même à la postérité comme une petite pépite cinéphile cultissime grâce à laquelle l’artiste fait à nouveau montre de ses talents de comédienne aux côtés de la jeune et prometteuse Winona Ryder qu’on retrouvait à la même période à l’affiche d’Edward aux mains d’argent (T. Burton). Quelle aubaine ! Il est désormais possible de redécouvrir le film dans un nouveau master DVD/Blu-ray grâce aux éditions Rimini.

CHER, ENCORE ET TOUJOURS !

Mermaids nous plonge dans le quotidien d’un foyer américain des années 60, quelques temps avant l’assassinat du président Kennedy. Rachel Flax (Cher), une mère célibataire « instable », séduisante et particulièrement fantasque, élève seule ses deux jeunes filles, Charlotte et Kate, respectivement interprétées par Winona Ryder et la toute jeune Christina Ricci qui du haut de ses 10 ans trouvait là son premier rôle au cinéma. Lasse d’une routine ponctuée d’échecs sentimentaux en cascade, Rachel impose à sa progéniture d’innombrables déménagements à travers les États-Unis. Le dernier en date les a ainsi menées à s’installer dans une petite bourgade du Massachusetts, non loin d’un couvent. Charlotte, fascinée par la communauté religieuse avoisinante, se découvre une vocation spirituelle au moment même où elle s’éprend du concierge des lieux (Michael Schoeffling), également chauffeur de bus. De son côté, Rachel s’intéresse de près à Lou Landsy, le modeste propriétaire d’une boutique de chaussures qu’incarne l’inoubliable détective de Qui veut la peau de Roger Rabbit (R. Zemeckis, 1988), Bob Hoskins. 

A partir de là, Richard Benjamin tire les ficelles d’une tendre comédie dramatique sur le passage à l’âge adulte. Si Cher évoque surtout aujourd’hui l’auto-tune et la chirurgie plastique, les spectateurs de ce début des années 90 la considèrent alors encore comme une talentueuse comédienne qui a fait ses armes tout au long de la décennie précédente chez Robert Altman (Reviens Jimmy Dean, reviens, 1982), Mike Nichols (Le Mystère Silkwood) et Peter Bogdanovich (Mask) en 1983, ou encore chez George Miller (Les sorcières d’Eastwick) et Norman Jewison (Éclair de Lune) en 1987. A l’écran elle côtoie aussi bien Meryl Streep, que Kurt Russel, Jack Nicholson et Nicolas Cage. Ses remarquables prestations lui vaudront même d’être sacrée meilleure actrice à Cannes et aux Oscars, en plus de fréquentes nominations aux Golden Globes. Après donc avoir reçu le soutien de réalisateurs de renom, Cher saute à pieds joints dans les années 90 avec un film qui use ouvertement de son nom et de sa réputation en guise de label qualité. Car à l’exception de Bob Hoskins, Les Deux Sirènes compte en effet à son casting nombre d’illustres inconnus, à commencer par son réalisateur, un certain Richard Benjamin.

© Orion Pictures

Cet acteur de premier plan au début des années 60-70 – on a pu l’apercevoir notamment chez Mike Nichols (Catch-22, 1970) ou encore Michael Crichton (Westworld, 1973) – deviendra un second couteau à l’écran avant de passer à la réalisation à partir de 1982, pour la télévision d’abord, puis le cinéma. Ne reste de lui qu’une poignée de petits films inégaux, dont Une baraque à tout casser (1986) avec Tom Hanks ou J’ai épousé une extra-terrestre (1988) avec Kim Basinger. Mermaids, c’est d’abord une thèse de l’étudiante Patty Dann qui la remaniera en 1986 pour la publier sous forme de roman, mais c’est surtout un pur produit de la société Orion Pictures, l’une des grandes stars de la production hollywoodienne des années 80 qui peut se vanter de posséder un prestigieux catalogue de SF (Terminator de James Cameron en 1984 ou Robocop de Paul Verhoeven en 1987), de biopics (Amadeus de Milos Forman en 1984) ou encore de films de Woody Allen. Les producteurs de la firme entendent d’abord confier la réalisation de leur projet au cinéaste suédois Lasse Hallström, tout juste auréolé du succès international de son film oscarisé Ma vie de chien (1985). Ce dernier abandonnera finalement la production, au même titre que Frank Oz d’ailleurs, suite à des désaccords avec Cher, cédant ainsi tous deux leur place à Richard Benjamin.

© Orion Pictures

© Orion Pictures

MÈRES ET FILLES

On s’en doutera, Mermaids, le film, repose essentiellement sur l’interprétation de ses deux têtes d’affiche. Pour attirer un public de plus en plus jeune, la production décide d’engager la nouvelle coqueluche des prépubères, Winona Ryder, après le départ d’Emily Lloyd suite à une mésentente avec Cher, encore une ! L’actrice s’est en effet déjà plutôt bien positionnée dans le registre adolescent, notamment grâce aux pestes de Heathers (M. Lehmann, 1987) et à la gothique Lydia de Beetlejuice (T. Burton, 1988). A ce début de carrière artistique sur les chapeaux de roues s’ajoutent ses frasques amoureuses avec Johnny Depp étalées dans la presse. Bref, le rôle de Charlotte s’annonce comme une évidence pour la comédienne. Deux générations d’actrices extrêmement talentueuses se côtoient donc pour former un duo mère-fille éblouissant. Cher refait son apparition à l’écran trois ans après Éclair de Lune pour incarner un personnage aussi irrésistible qu’excentrique, prête à tout sacrifier pour que son aînée réalise la vie dont elle-même a rêvé si longtemps. De son côté, Winona Ryder campe une jeune ado touchante parce que désespérée et perdue au beau milieu de voyages incessants à travers le pays, écrasée par les velléités fantasques de sa mère. Et c’est peut-être bien là que réside la force du film, à savoir dans sa capacité à décrire une tranche de vie comme un épisode marquant et unique, composé d’une somme de mille et une fantaisies. Richard Benjamin, lui, parvient à filmer parfaitement ses deux héroïnes obstinées dans leurs combats respectifs. Et même si Les Deux Sirènes ne cherche jamais à s’affirmer comme un film coup de poing, sa justesse de ton signe à la fois la qualité et le défaut d’une œuvre qui ne parvient jamais réellement à décoller. Mentionnons également les quelques moments de douceur prodigués par Bob Hoskins, toujours aussi rafraîchissant, et Christina Ricci d’une justesse incroyable malgré son jeune âge. L’humour et la nostalgie du film gagneront le cœur du public. Ce succès au box-office se doublera en 1991 d’une remarquable performance de la bande originale dans les charts grâce à la chanson phare The Shoop Shoop Song, un standard pop des années 60 repris pour l’occasion par Cher qui l’ajoutera en bonus à son album Love Hurts, sorti la même année. 

Jusqu’à présent disponible en DVD dans une qualité standard, Les Deux Sirènes bénéficie (enfin !) d’une belle copie HD que l’on peut découvrir aux éditions Rimini. Cette remastérisation inattendue mais nécessaire (l’édition précédente date quand même de 2001 !) respecte la copie argentique d’origine. Le piqué s’avère de très bonne facture autant sur les plans larges que sur les gros plans avec une belle profondeur de champs à certains moments du film, en plus des couleurs chatoyantes très agréables. Le son a été également retravaillé et bénéficie aujourd’hui d’une piste DTS-HD Master Audio Stéréo 2.0 d’une limpidité exemplaire aussi bien sur la version originale que française. Le film est accompagné de la traditionnelle bande-annonce d’époque et d’une interview de dix-sept minutes d’Olivier Cachin, journaliste et écrivain chez Rock & Folk et Mouv’, dévoilant les secrets de fabrication des Deux Sirènes en plus d’une évocation de la carrière cinématographique de Cher et son impact sur le film. L’édition, passionnante, aurait mérité cependant un vrai documentaire sur le long-métrage avec l’intervention du réalisateur et de ses stars.

© Rimini éditions

Les Deux Sirènes (Mermaids, 1990 – USA) ; Réalisation : Richard Benjamin. Scénario : June Roberts d’après le roman de Patty Dann. Avec : Cher, Winona Ryder, Bob Hoskins, Christina Ricci, Michael Schoeffling, Caroline McWilliams et Jan Miner. Chef opérateur : Howard Atherton. Musique : Jack Nitzsche. Production : Lauren Lloyd, Wallis Nicita et Patrick J. Palmer – Orion Pictures. Format : 1.85,1. Durée : 110 minutes.

En salle le 14 décembre 1990 (États-Unis),  puis le 15 mai 1991 (France).

Disponible en Blu-ray et DVD le 5 novembre 2019 chez Rimini éditions.

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