Le Monstre du train

par

Terror Train Rimini

Après avoir échappée à Michael Myers dans Halloween (J. Carpenter, 1978) premier du nom, Jamie Lee Curtis affronte le monstre du train dans Terror Train (1980), un classique du genre « slasher » réalisé par Roger Spottiswoode, mettant en vedette Ben Johnson et un tout jeune magicien alors débutant, David Copperfield.

Lors d’une fête sur le campus d’une faculté de médecine, Kenny, un étudiant malingre, inhibé et puceau (tête de turc parfaite pour ses camarades de classe), est victime d’une blague morbide qui tourne mal – il y perdra la raison, apprendra-t-on par la suite. Trois ans plus tard, afin de fêter comme il se doit la remise des diplômes, le même groupe d’étudiants organise une fête costumée dans un train à vapeur. Entre alcools, drogues et divertissements, la soirée promet d’être chaude. Mais un tueur masqué s’est introduit dans le train et commence à les décimer un par un. Est-ce Kenny, revenu pour se venger ? Ou bien est-ce autre chose… ?

De Hitch à big John

Dans les années 90, le magicien David Copperfield, alors au sommet de sa popularité, se plaisait dans les interviews à raconter l’anecdote suivante… Lorsqu’il était en tournée pour ses spectacles, à chaque fois qu’il arrivait dans une nouvelle ville, la première chose qu’il faisait était de se rendre au vidéo club pour y louer la VHS de Terror Train. Non pas pour revoir ce film dans lequel il faisait ses débuts, mais pour se livrer à son tour d’escamotage favori : ne pas rendre la K7 au vidéo club. Ainsi, l’ex mari de Claudia Schiffer espérait que ce film dont il affirmait avoir honte, circulât le moins possible. Une anecdote savoureuse mais Ô combien injuste… Car non seulement David Copperfield n’a pas à rougir de sa performance (il se livre dans le film à quelques numéros de magie plutôt étonnants), mais Le Monstre du train, même quarante ans après sa sortie, reste l’un des fleurons du genre. Premier film mis en scène par Roger Spottiswoode, ancien monteur de Sam Peckinpah sur Les Chiens de paille (1971) puis Pat Garrett et Billy le Kid (1973), mais aussi scénariste de Walter Hill sur 48 Heures (1982) et plus tard réalisateur de l’un des meilleurs James Bond de l’ère Pierce Brosnan, Demain ne meurt jamais (1997), Terror Train a depuis toujours fait l’objet d’un malentendu auprès d’une partie des fans purs et durs de films d’horreur. La raison étant que le film n’est pas gore, Roger Spottiswoode ayant préféré, suivant l’exemple de John Carpenter avec le premier Halloween, livrer un métrage qui suggère plus qu’il ne montre en jouant la carte du suspens hitchcockien. Un parti pris qui permet au film de toucher un plus large public et notamment ceux qui ne sont pas forcément friands d’horreur graphique (on vous rassure, c’est tout de même bien gratiné quand il faut). 

© 20th Century Fox

© 20th Century Fox

un bizutage qui tourne au slasher

La première originalité du scénario, c’est le lieu de l’action, un train à vapeur des années 1900, véhicule hautement cinématographique par excellence. Et dès la séquence de générique, Roger Spottiswoode s’ingénie à présenter ce train comme un monstre de métal et de vapeur sorti des forges de l’enfer, comme s’il était l’émanation de la psyché du psycho-killer, une machine lancée dans sa course folle. L’autre force de Terror Train, c’est le thème qu’il prend comme point de départ, le bizutage qui tourne au drame (on sait que dans les écoles de médecine ces bizutages souvent à base d’humiliations sexuelles et de blagues morbides peuvent laisser des séquelles sur ceux qui en sont les victimes). Et que cela soit depuis Carrie (B. De Palma, 1976), en passant par Messe noire (E. Weston, 1981) jusqu’au plus récent Grave (J. Ducournau, 2016), le thème a souvent fait ses preuves dans le cinéma de genre. De fait, même si Kenny n’attire pas forcément la sympathie, on peut aisément comprendre qu’il ait une sérieuse dent contre ses anciens camarades de classe. Surtout que tous ces jeunes étudiants en médecine, fêtards et imbus d’eux-mêmes, sont très énervants. A commencer par Hart Bochner qui campe ici le personnage de Doc, instigateur de la sale blague du début qui excelle dans le registre du hâbleur véreux et fourbe (qu’on se souvienne de son rôle dans Piège de cristal où il ne faisait pas long feu face à Alan Rickman). L’une des règles fondamentales d’un bon « slasher movie » (littéralement « poignardeur » en anglais) veut que le serial killer agisse comme ange exterminateur, une mauvaise conscience punitive et moralisatrice qui s’attaque à des jeunes débauchées. Et si vous êtes à la fois un buveur, un fumeur de pétard et un fornicateur invétéré, dans un slasher, vous auriez vous-mêmes toutes vos chances pour y passer en premier. Alors dans le confinement exigu de ce train plein de recoins sombres où règne le stupre dans chaque couchette de chaque compartiment de chaque wagon, le psycho-killer va pouvoir s’en donner à coeur joie. Finalement, les seuls personnages positifs du film se révèlent être le chef du train interprété par Ben Johnson, magnifique acteur ayant démarré sa riche carrière dans les westerns de John Ford des années 40 (Le Fils du désert en 1948 et La Charge héroïque l’année suivante), avant de devenir deux décennies plus tard l’un des comédiens fétiches de Sam Peckinpah (La Horde sauvage en 69, Guet-apens en 72). Ici, il incarne la figure paternelle et rassurante, celui qui gère la situation avec des nerfs d’acier. Et bien sûr, il y a Jamie Lee Curtis, dans le rôle d’Alana, instrument malgré elle de la sale blague du début, et donc devenue principal objet de la vengeance et des fantasmes inassouvis du tueur.

© 20th Century Fox

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LA SCREAM QUEEN ET LE MAGICIEN

Scream Queen proclamée des films d’horreur au début des années 80 (Halloween, FogLe Bal de l’horreur, Le Monstre du train, donc, et Déviation mortelle et Halloween 2), Jamie Lee Curtis, alors à l’aube de sa carrière (elle n’a que 21 ans au moment du tournage) est parfaite en chic fille, courageuse, pleine de naturel et d’humour, belle mais pas trop, bref, de la bonne copine idéale que toutes les jeunes filles rêvent d’avoir. A ses côtés, il y a donc également David Copperfield dans un rôle de magicien, emploi qu’il connaît bien, ici dans son unique apparition notable au cinéma – pas un simple caméo, mais un personnage à part entière, rouage essentiel de l’intrigue. Bien qu’acteur non professionnel, David Copperfield s’en tire avec les honneurs, son personnage donnant lieu à plusieurs scènes intéressantes, notamment lorsqu’au début du voyage, il confie à son assistante redouter de faire ses tours de magie devant tous ces étudiants qui, au mieux, ne vont pas le regarder, ou au pire lui lancer des vannes (ce qui ne manquera pas d’arriver). Ou bien durant ses échanges de regards avec Jamie Lee Curtis, celle-ci ne semblant pas insensible au charme suranné de ce prestidigitateur aux yeux magnétiques, aux manières et au costume d’un autre âge, qui fait sérieusement tâche parmi tous ces jeunes débauchés. Et bien sûr il y a ses numéros de magie, exécutés directement devant la caméra, sans trucage visuel : la poétique scène au cours de laquelle l’illusionniste fait voler une rose devant une Jamie Lee Curtis en pâmoison (même en qualité HD, vous pouvez zoomer autant que vous voulez dans l’image de votre téléviseur, vous ne décèlerez aucun fil), ou celle de son numéro d’escamotage – filmée en plan-séquence sans coupure – au cours de laquelle il disparaît de sous un drap à l’extrémité d’un wagon, pour réapparaître quelques secondes plus tard à l’autre extrémité (on en vient à se demander si le secret du don d’ubiquité de David Copperfield, ne résidait pas dans le fait qu’à l’instar du personnage interprété par Christian Bale dans Le Prestige (C. Nolan, 2006), il n’avait pas un frère jumeau…). 

© 20th Century Fox

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nos amis les « vraisemblants »

Autre qualité notable de Terror Train, la photographie signée John Alcott, chef opérateur de Stanley Kubrick sur Shining (1980) qui pour l’occasion réutilise les lentilles de caméras provenant de la Nasa, déjà employées pour Barry Lyndon (1975) lors des scènes éclairées à la bougie. Le procédé permet à John Alcott de plonger les décors du train dans la pénombre, voire parfois même la quasi obscurité, suscitant chez le spectateur la crainte que le tueur ne puisse surgir de n’importe où. Et justement, parlons-en du tueur. Il ne se meut pas avec la démarche lente d’un automate comme Michael Myers dans Halloween, non, Kenny est vif comme l’éclair et très énervé (et Wes Craven et son scénariste Kevin Williamson reproduiront la recette pour Ghostface le tueur de la saga Scream). Il a également la particularité de changer d’apparence à plusieurs reprises durant le film , revêtant les costumes de chacune de ses victimes (rappelons que l’action a lieu durant une fête costumée). Ainsi, le tueur passera d’un masque de Groucho Marx (une bonne idée car derrière l’apparence amusante, on devine toute la folie destructrice qui s’y dissimule), à un costume d’homme-poisson, puis à un masque de vieillard hirsute et enfin à un uniforme de contrôleur, ce qui n’est pas plus rassurant selon les phobies de tout un chacun. Alors évidemment, il y a bien quelques petites facilités de scénario dans certaines scènes qui frisent l’invraisemblance. Mais comme le confiait Alfred Hitchcock à François Truffaut dans le fameux livre d’entretiens, si on écoutait nos amis les « vraisemblants », tous les films à suspens prendraient fin au bout d’un quart d’heure. Selon nous, plus que des invraisemblances, il s’agit de conventions propres au genre, d’accords tacites entre le réalisateur et le spectateur qui se doit de jouer le jeu. Quant à l’un des coups de théâtre final (le twist, comme disent les américains), soyons honnête, aujourd’hui, un spectateur sur deux devinera le pot aux roses avant la fin du film (notamment ceux qui ont l’oeil le plus exercé). Mais les autres, ceux qui comme lors d’un tour de magie auront l’attention détournée ailleurs, n’y verront que du feu et se laisseront surprendre avec délectation.

une série B de classe A

Certes, Le Monstre du train ne bénéficie pas de toute la science dans l’art des maquillages spéciaux d’un Tom Savini (qui venait de se faire remarquer avec les effets gores du Vendredi 13 de Sean S. Cunningham). Les quelques maquillages du film sont rudimentaires, et on a par exemple droit à une tête coupée franchement pas crédible mais qui fort heureusement n’apparaît que deux secondes à l’écran. Mais encore une fois l’intérêt du film ne réside pas dans ses effets gores, Roger Spottiswoode ayant choisi délibérément d’ellipser la plupart des meurtres, quand ils n’ont pas lieu hors champs. De même, dans ses choix de mise en scène, le cinéaste ne cède pas aux sempiternels effets de caméra subjective pour figurer la vision du tueur comme c’était alors la tendance dans de nombreux sous-Halloween de l’époque. Au contraire, la caméra est le plus souvent du côté des victimes potentielles et ne dévoile de la menace qu’uniquement ce qu’elles n’en voient.

Le long-métrage n’est pas non plus avare en morceaux de bravoures, en particulier durant son troisième acte. Ce plan où Jamie Lee Curtis, croyant s’être débarrassée du tueur, somnole dans un compartiment alors que Kenny apparaît en se plaquant derrière la fenêtre comme une araignée. Ou encore cette séquence d’action très dynamique où l’héroïne s’est enfermée dans une cage pendant que Kenny, increvable, tente de l’atteindre au-travers du grillage avec un pied-de-biche. Très bien écrit et dialogué, avec des personnages bien campés, une mise en scène élégante et une maîtrise indéniable dans la progression du suspens et l’orchestration des fausses pistes, Le Monstre du train est un modèle du genre. Pas une série B sous influence Z comme pouvait l’être Le Bal de l’horreur (1980) sorti peu de temps avant, déjà avec Jamie Lee Curtis – la mise en scène maladroite de Paul Lynch y fleurait bon le nanar -, mais une série B de classe A. 

© 20th Century Fox

un classique de l’épouvante

Poursuivant sa réhabilitation des classiques de l’épouvante des années 70 et 80, c’est donc Rimini Éditions qui ressort aujourd’hui Terror Train alias Le Monstre du train dans une édition combo Blu-ray/DVD. Comme pour tous les autres titres de cette collection, l’éditeur présente le film dans un élégant packaging doté d’un magnifique visuel signé Koemzo et d’un livret informatif rédigé par Marc Toullec. La copie, très belle, présentée dans son jus d’époque, n’est par conséquent pas exempte de quelques défauts de la pellicule d’origine, ce qui ajoute au charme en nous donnant le sentiment de voir un film de drive-in (ce qu’il était à la base). Question suppléments, on trouve une interview de 5 minutes avec la scénariste du film, Judith Rascoe (qui nous apprend qu’à l’époque elle était mariée avec un magicien, ceci ayant grandement aidé à l’écriture) et une autre de 16 minutes avec le réalisateur. Sympathique, plein d’humour et très modeste malgré son exemplaire carrière hollywoodienne, Roger Spottiswoode reconnaît avec le recul les quelques défauts et erreurs du film, mais avoue également l’adorer – et on le comprend ! De facture plus consensuelle, on trouvera aussi un portrait de 26 minutes de cette exceptionnelle comédienne qu’est Jamie Lee Curtis. 

Enfin, pour finir, quelques mots à propos de l’interprète du rôle de Kenny, le mystérieux comédien au visage androgyne si particulier : Derek McKinnon. Nous ne vous dévoilerons pas ici quelle était la profession d’origine de cet acteur amateur (nous risquerions de vous spoiler l’un des twists du film et vous le découvrirez par vous-même dans les bonus), mais après quelques recherches sur internet, il nous a semblé devoir vous préciser un petit quelque chose à son propos.  

En 2012, Derek McKinnon résidait à Montréal dans le même immeuble où Luka Rocco Magnotta démembra et dévora en partie son compagnon, Lin Jun, après l’avoir assassiné. Après l’arrestation du criminel, l’acteur, entendu en tant que témoin par le police, dira qu’à quelques reprises il avait pu brièvement échanger avec lui. Luka Rocco Magnotta était visiblement un grand fan du Monstre du train et en particulier de sa performance dans le film. Le soir de la nuit où Magnotta commit son terrible forfait, il avait proposé à Derek McKinnon de venir prendre le thé chez lui. Mais l’acteur, « ne sentant pas trop » le jeune homme, avait, par chance, décliné poliment l’invitation. Le lendemain matin, Luka Rocco Magnotta avait déménagé. Au pied de l’immeuble, Derek McKinnon et ses voisins découvrirent une valise abandonnée. Et dans cette valise, il y avait un tronc humain…

Le Monstre du train (Terror Train – 1980 – Canada). Réalisation : Roger Spottiswoode. Scénario : T.Y. Drake et Judith Rascoe. Avec : Ben Johnson, Jamie Lee Curtis, Hart Bochner, David Copperfield, Derek McKinnon. Chef opérateur: John Alcott. Musique : John Mills-Cockell. Production: Harold Greenberg, Sandy Howard – 20th Century Fox. Format : 1.85:1. Durée  : 97 minutes. 

En salle les 3 octobre 1980 (Royaume-Unis), 10 octobre 1980 (États-Unis) et 17 juin 1981 (France).

Disponible en Blu-ray et DVD le 4 janvier 2020 chez Rimini Éditions.