Adapté d’un roman d’Agatha Christie, Le miroir se brisa de Guy Hamilton possède tous les ingrédients d’un whodunnit classique et devrait ravir les amateurs du genre. Les autres pourront se rattraper sur l’autodérision et les références méta égrenées tout au long de l’histoire, lui apportant la légèreté et la distance dont est souvent dépourvu ce genre de film.
1953. En Angleterre, le petit village de St Mary Mead est en joie : l’équipe de tournage d’un film américain à grand budget sur la vie de la reine Marie Stuart s’y est installée pour plusieurs semaines. Au milieu de l’excitation générale, celle qui suscite le plus d’émoi est la grande actrice Marina Rudd. Mais à quelques jours du tournage, l’agitation est calmée par la mort d’une jeune admiratrice de la star. Un inspecteur de Scotland Yard commence alors une enquête qui se met rapidement à patiner. Qu’il se rassure, le hasard a voulu que le crime ait lieu dans le village où vit sa tante, la célèbre Miss Marple. Celle-ci pose alors sa tasse de thé et entreprend d’aller débusquer les coupables.
Comme dans toute incursion dans le genre de récit à énigme, l’intrigue est banale et le spectateur, sensé déduire l’identité du tueur, se retrouve un peu exclu du dispositif et doit attendre qu’une personne omnisciente, ici Miss Marple (mais cela aurait très bien pu être Hercule Poirot), lui révèle les dessous de l’affaire avec une grande décontraction. C’est un procédé particulier, qui a son charme autant qu’il peut frustrer. Alors mieux vaut y installer une valeur ajoutée. Ici, on la trouve dans l’autodérision joyeuse, les nombreuses références méta, et aussi dans le casting en or.
UN SOMMET D’AUTODÉRISION
En effet, quasiment tout l’intérêt du Miroir se brisa repose sur sa distribution. D’emblée, la rencontre des légendes hollywoodiennes que sont Rock Hudson, Elizabeth Taylor, Tony Curtis ou Kim Novak avec Dame Angela Lansbury, le tout au beau milieu de la verdoyante et pittoresque campagne du Kent ne manque pas d’attrait. Tout ce petit monde joue un rôle pas si éloigné de l’image qu’ils renvoient, ainsi, Elizabeth Taylor est Marina Rudd, une vieille gloire du grand écran qui espère retrouver le chemin du succès avec ce film, réalisé par son mari (Rock Hudson), face à sa rivale de toujours (Kim Novak), plus blonde, plus jeune et plus vacharde. Taylor se prête au jeu de la vedette décrépie avec un aplomb qui force le respect. On n’a pas l’habitude de voir des stars de cette trempe jouer avec leur image décatie, leur poursuite effrénée de la jeunesse et leurs kilos en trop. Hudson est parfait en réalisateur dépassé ne sachant pas comment rendre son épouse heureuse, tout comme Tony Curtis et son regard perçant. Il incarne le producteur roublard, tout de sombre vêtu qui a déjà tout vu. L’acteur connu pour son registre comique est filmé à la manière d’un antagoniste. Pas étonnant quand on sait que derrière la caméra, Guy Hamilton a réalisé auparavant de nombreux James Bond parmi les plus célèbres, comme Goldfinger (1964) ou Les Diamants sont éternels (1971). D’ailleurs, comme un heureux présage, le tout jeune Pierce Brosnan, l’un des futurs interprètes de l’agent au service de Sa Majesté, fait une courte apparition dans un de ses tout premiers rôles. Et au milieu de ce défilé camp, Géraldine Chaplin offre une partition mesurée et convaincante en incarnant la secrétaire du réalisateur, qui pense pouvoir démasquer le coupable.
En plus de son image soignée et de sa belle direction artistique, la grande réussite du Miroir se brisa est d’avoir su à ce point brouiller les lignes de la réalité et de la fiction et ce, dès la première scène qui déjà, installe un film dans le film. Le genre du whodunnit connaît un regain d’intérêt aujourd’hui, avec la franchise Knives Out ou les adaptations grandiloquentes (et dispensables) d’autres romans plus populaires d’Agatha Christie (Mort sur le Nil ou Le Crime de l’Orient-Express). Ces derniers ont tendance à se prendre trop au sérieux, alors si les productions de ce genre doivent se perpétuer, elles gagneraient à prendre exemple sur Le Miroir se brisa, qui assume son angle léger et amusé.
A la production : John Brabourne & Richard B. Goodwin pour EMI Films Ltd & G.W. Films.
Derrière la caméra : Guy Hamilton (réalisation). Barry Sandler & Jonathan Hales (scénario). Christopher Challis (chef opérateur). John Cameron (musique).
A l’écran : Angela Lansbury, Geraldine Chaplin, Tony Curtis, Edward Fox, Rock Hudson, Kim Novak, Elizabeth Taylor, Wendy Morgan.
Sur Ciné + en : juillet 2023.