Le Milliardaire : Marilyn Monroe, incurable romantique

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Le Milliardaire

La postérité n’a pas été tendre envers Le Milliardaire. Moins drôle que Certains l’aiment chaud (B. Wilder, 1959), moins clinquant que Les hommes préfèrent les blondes (H. Hawks, 1953), souvent confondu avec Comment épouser un millionnaire (J. Negulesco, 1953) en raison de son titre, il n’a laissé derrière lui qu’une traînée de ragots et une phrase : « Mon cœur est à papa », en français dans le texte. Pourtant, il serait faux de dire que, soixante ans après sa sortie, il se regarde sans plaisir. Les critiques auront beau souligner son rythme balourd et sa conclusion parfaitement inadaptée aux mœurs d’aujourd’hui, le film déploie un charme doux, fondé sur des numéros musicaux soignés et une Marilyn adorable comme jamais.

LES QUATRE FONT LA PAIRE

Le principal souci du Milliardaire est de ne jamais se montrer aussi intéressant que l’histoire qui l’entoure. Dit autrement, son scénario paraît bien plat à côté des nombreux rebondissements connus par son tournage. Il y eut de l’amitié, du sexe, des jalousies et des manipulations, un soupçon de scandale politique même et, au bout du compte, deux femmes blessées et deux hommes triomphants dans leur masculinité. On ne saurait trop conseiller les studios actuels de préparer un film sur le sujet, un de ces longs-métrages Matriochka (un film dans un film) qui mêlerait les attraits du vieil Hollywood à un message pro-MeToo. Oscars garantis. Jugez plutôt…

Nous sommes au début des années 60. Marilyn Monroe a déjà tout de l’étoile qu’elle sera à jamais. Elle est splendide, dépressive, entourée par une horde de gourous en tous genres qui l’assomment de médicaments, capricieuse et fragile, une aubaine pour les producteurs mais un cauchemar pour les réalisateurs. Surtout, elle veut se débarrasser de son contrat avec la 20th Century Fox et accepte pour ce faire une petite comédie sympathique : The Billionaire. Le gentil George Cukor (My Fair Lady, Une étoile est née) sera à la réalisation et Marilyn y donnera la réplique au talentueux Gregory Peck. En bref, une affaire qui s’annonce rondement menée. Sauf que depuis le milieu des années 50 et l’expérience MMP (Marilyn Monroe Productions), la blonde légendaire refuse qu’on la cantonne aux rôles de ravissantes idiotes. Elle veut des personnages, des vrais, des profonds. Ni une, ni deux : la voilà qui impose l’écrivain primé et reconnu qu’elle a fraîchement épousé (Arthur Miller, pour ne pas le citer) dans un processus de réécriture du scénario. Son Amanda Dell gagne en effet en épaisseur, mais au détriment du personnage masculin. Effet domino : Gregory Peck se vexe et claque la porte, le studio peine à trouver un acteur pour le remplacer. Il y a les volontaires que Monroe refuse, et il y a les stars contactées (comme Cary Grant) mais effarouchées par la réputation désastreuse de Marilyn sur les plateaux de tournage. Dos au mur, la production accepte un nom soufflé par sa star : Yves Montand. Arthur Miller l’a aimé dans l’adaptation française de ses Sorcières de Salem, Marilyn l’a aimé sur scène lors de ses débuts à Broadway. Surtout, le couple Montand-Signoret partage avec le couple Miller-Monroe des idées politiques qui les rapprochent. Ils deviennent vite amis, et plus et affinités dans le cas de Marilyn et Yves. Il fallait bien des Français dans l’équation pour titiller les échotiers à coups de « ménage à quatre ». On les aguiche encore en renommant le film : The Billionaire  devient Let’s Make Love.

Le Milliardaire

© 20th Century Fox

Le Milliardaire

© 20th Century Fox

LE PRINCE ET LA DANSEUSE

Arrêtons là pour les potins de tournage* et occupons-nous du film, qui marque donc pour Yves Montand la réalisation d’un fantasme hollywoodien. Le dandy français y joue Jean-Marc Clément, héritier milliardaire, homme d’affaires mais surtout homme à femmes, qui pense naturellement que tout s’achète, l’art comme l’amour. Or, le voici qui apprend qu’une pièce se monte dans un petit théâtre de quartier dans laquelle il sera caricaturé. Par un quiproquo comme seuls les scénarios hollywoodiens savent en concocter, il est engagé pour jouer sa propre caricature (c’est vrai qu’il se ressemble pas mal). Il se fait alors passer pour un pauvre acteur sans le sou et profite de sa couverture pour tenter de séduire l’actrice principale de la pièce, la douce Amanda. Celle-ci résiste car, pauvre mais honnête, elle s’intéresse plus aux personnes qu’à leur pouvoir d’achat. On vous avait prévenus : la force du film ne réside ni dans l’originalité ni dans la puissance de son scénario. Tout y est cousu de fil blanc ; pire : le retournement final d’Amanda, transie d’amour pour son milliardaire enfin dévoilé, semble introduit dans le personnage au chausse-pied. Passons.

S’il est un intérêt dans le scénario, un seul, il est à porter au crédit d’Arthur Miller. En effet, pour quiconque connaît un peu la vie de Monroe, il semble impossible de ne pas la distinguer sous les atours de son personnage. Marilyn est sous couverture en Amanda, comme Jean-Marc Clément dans sa veste achetée en friperie. On la reconnaît dans ce qu’elle dit des hommes et de la manière dont ils se comportent avec les jolies femmes, dans sa volonté farouche de se développer une culture par des cours du soir. Tout au long du film, Amanda apparaît des livres à la main, des plans qui sont autant d’échos aux nombreuses photos que nous avons de l’actrice en pleine lecture. A cela s’ajoutent des clins d’oeil discrets aux grands succès de sa filmographie : un dialogue sur un bracelet en diamants dans laquelle elle fait preuve d’une expertise inexpliquée pour une fille de son milieu, une robe blanche soulevée par des ventilos lors d’un numéro musical, et même un échange sur un sofa, copie conforme de la scène du bateau entre Monroe et Curtis dans Certains l’aiment chaud. En poussant plus loin, trop loin, on pourrait même avancer qu’en choisissant Yves Montand pour le rôle, Arthur Miller a invoqué le sosie du précédant mari de son épouse : Joe DiMaggio.

La différence entre la Marilyn ainsi rappelée et celle qui apparaît à l’écran est pourtant béante. Dans Le Milliardaire, la bombe sexuelle n’est pas glamour. Ses costumes sont sobres, ternes comme ses cheveux brûlés, désormais plus blancs que blonds. On la boudine dans des justaucorps noirs qui soulignent la pâleur de sa peau, on la floute dans un pull XXL en grosses mailles devenu culte. « My name is Lolita. » Elle est la « paysanne » et « l’enfant », fragile mais résiliente, que ne cesseront de décrire par la suite Simone Signoret et Yves Montand. Bien que déjà lassé de sa poupée blonde, Arthur Miller lui a fait un joli cadeau avec cette réécriture, puisque Marilyn irradie le film de sa douceur, de sa tendresse et des fêlures qui font ressembler ses yeux au « ciel de Paris ». A ses côtés, Yves Montand barbote, empêtré dans des dialogues en anglais qu’il a dû apprendre phonétiquement et un personnage sans profondeur qui peine à se faire apprécier du spectateur. On lui préfère même Frankie Vaughan, attachant dans ses scènes et sensuel dans ses numéros.

Le Milliardaire

© 20th Century Fox

Le Milliardaire

© 20th Century Fox

QUAND LA MUSIQUE EST BONNE

Let’s Make Love contient les derniers numéros musicaux de la carrière de Marilyn et, par chance, ils sont réussis. Sans lien ou presque avec le propos (nous vous mettons au défi de comprendre le scénario de la pièce que les personnages répètent), ils offrent des respirations bienvenues et ce d’autant plus qu’ils sont filmés dans leur intégralité, comme de véritable petits films dans le film : « Let’s Make Love » et sa jolie mise en scène tournante, l’incontournable « My Heart Belongs to Daddy » (quelle entrée dans le film pour Marilyn que ce tableau !), la douce « Incurably Romantic », et surtout « Specialization », qui nous fait regretter que le duo Monroe-Vaughan ne soit pas plus développé. Qu’un film musical réussisse si bien ses tableaux musicaux, voilà qui constitue un argument tout à fait suffisant pour lui prêter un oeil. Ajoutez-y des invités prestigieux (Gene Kelly, Bing Crosby et Milton Berle dans leur propre rôle) et voici que se trouvent remplies les conditions d’une deuxième chance pour ce film sans doute mineur dans la carrière de Monroe, mais tout à fait charmant.

* Pour en savoir plus sur le contexte de tournage, nous vous conseillons le très documenté Deux couples à Hollywood, disponible jusqu’au 02 août 2021 sur Ciné + Classic.

Le Milliardaire (Let’s Make Love, 1960 – États-Unis) ; Réalisation : George Cukor. Scénario : Norman Krasna, Hal Kanter et Arthur Miller. Avec : Marilyn Monroe, Yves Montand, Tony Randall, Frankie Vaughan, David Burns, Wilfrid Hyde-White, Joe Besser, Milton Berle, Bing Crosby, Gene Kelly, Michael David, Mara Lynn, Dennis King Jr., Oscar Beregi Jr., Leonard Bremen, Harry Cheshire, Richard Collier, John Craven et Ray Foster (II). Chef opérateur : Daniel L. Fapp. Musique : Earle Hagen et Lionel Newman. Production : Jerry Wald – Twentieth Century Fox Film Corporation et The Company of Artists. Format : 2.35:1. Durée : 119 minutes.

Disponible sur Ciné + Classic jusqu’au 12 août 2021.

Copyright illustration en couverture : tous droits réservés.