Après l’excellent Waking Sleeping Beauty (2009) qui dévoilait le passage à vide des années 80 au sein des studios Disney, Don Hahn, producteur de la dernière grande décade prodigieuse de la firme – on retrouve son nom aux génériques de La Belle et La Bête (G. Trousdale et K. Wise, 1991) et Le Roi Lion (R. Allers et R. Minkoff, 1994) – s’intéresse précisément à l’une des figures importantes du renouveau des années 90 dans la maison de l’oncle Walt : « monsieur » Howard Ashman.
HOWARD, LA VIE ET L’OEUVRE
Howard Ashman, figure incontournable du Tout-Broadway, accepta de travailler chez Mickey en 1986 dans l’espoir de retrouver la flamme, après le cuisant échec de sa comédie musicale Smile, d’après le film éponyme de Michael Ritchie, co-écrite en collaboration avec Marvin Hamlisch. Howard, le documentaire, suit dans les grandes lignes la vie d’Ashman, de l’enfance jusqu’au triomphe de La Petite Sirène (1989) puis La Belle et la Bête, tout en luttant contre le SIDA, qui le terrassera à l’âge de 40 ans. Don Hahn ponctue son documentaire d’interviews d’artistes prestigieux, témoignages nourris d’anecdotes mêlant humour et émotion. On pense notamment à Alan Menken, son fidèle compositeur, qui évoque les prises de bec injustifiées en plein travail et l’annonce de la maladie d’Ashman. Ce flot de paroles donne un rythme haletant au film d’une courte durée (1h30 à peine) mais captivant. Don Hahn décide d’ouvrir le bal par les répétitions de l’enregistrement des chansons du film d’animation, La Belle et La Bête que le parolier ne verra jamais achevé. Son riche héritage se composera de chansons mémorables, de personnages attachants et de séquences majestueuses récompensées d’un Oscar à titre posthume. Oui, Howard Ashman a marqué le monde de Disney, ce que Don Hahn nous signale dès les premières minutes du film grâce au témoignage précieux de Sarah Gillespie, sœur du parolier. Le réalisateur ponctue son documentaire d’innombrables images d’archives rares qui laissent deviner le génie en devenir, un véritable bourreau de travail, passé d’abord par l’univers du théâtre. C’est au cours de cette période entrecoupée de hauts et de bas qu’Ashman rencontre le compositeur Alan Menken avec lequel il collaborera entre autres sur La Petite Boutique des horreurs (F. Oz, 1986), adaptation cinématographique de la plus mythique des séries B du même nom réalisée par Roger Corman en 1960. Le film doit surtout son succès et sa renommée aux chansons pop et inventives du tandem, soutenu par le producteur David Geffen. Ce dernier influencera plus tard Jeffrey Katzenberg, alors président de Walt Disney Pictures, à le rencontrer et à l’engager. Malgré sa focalisation « excessive » sur la période Disney (production maison oblige), le documentaire, très instructif, laisse entrevoir l’univers du théâtre dans le New York des années 70, mettant ainsi en lumière la fabrication de quelques-unes des pièces signées Ashman telle que Kurt Vonnegut’s God Bless You, Mr. Rosewater (1979) qui impose le nom de Howard sur la scène musicale newyorkaise et lui assure ainsi une carrière à Broadway.

© Disney

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ASHMAN, UN ARTISTE INTRANSIGEANT
La seconde partie du documentaire se concentre sur l’implication d’Ashman dans un projet intitulé La Petite Sirène, réalisé par les auteurs de Basil Détective Privé (1986), John Musker et Ron Clements à la fin des années 80. Le parolier s’y investit au point de modifier allégrement la trame de l’histoire originale, davantage tragique, en ayant notamment l’idée d’affubler au personnage éponyme un crabe jamaïcain. Ashman et Menken apporteront une touche unique au film à partir du schéma classique du conte de fées, avec une princesse, un prince et une sorcière maléfique. Don Hahn tente de comprendre l’acharnement d’Ashman à croire en son génie : l’homme se révèle intransigeant lorsqu’il s’agit de prendre des décisions. Jeffrey Ketzenberg sera par exemple sommé par l’artiste de conserver au montage une séquence musicale (« Partir là-bas ») malgré les mauvais retours d’une projection-test désastreuse. Entrecoupé de moments moins « joyeux » parfois excessifs, surtout au chapitre de la maladie, mais finalement essentiels à son « intrigue », le documentaire décrypte la construction d’une légende érigée au panthéon de la maison Disney. Howard ne se prive pas non plus au passage de touches d’humour et d’anecdotes savoureuses prodiguées avec malice par des proches collaborateurs, et notamment les réalisateurs Gary Trousdale et Kirk Wise, mais aussi l’animateur Glen Keane. Dohn Hahn illustre leurs propos d’un nombre conséquents d’images d’archives, des vieux films amateurs tournés en 8mm aux reportages télévisés des années 80-90, en passant par les vidéos internes du studio Disney, les dessins signés de la main de Glen Keane ou Rob Minkoff avec quelques caricatures amusantes et des extraits de making-of d’époque.
Le film explore enfin timidement la sexualité d’Howard Ashman notamment par le prisme du SIDA – un « cancer » qui laissa à jamais son empreinte tragique sur les années 80 – sans jamais s’attarder – et c’est bien dommage – sur des témoignages plus intimes et des réactions plus « sincères » des proches de l’artiste. Howard reste dans l’ensemble un documentaire réussi, touchant et rondement mené qui parvient à mettre en lumière un homme de l’ombre reconnu par sa profession – son palmarès compte deux Oscars, trois Golden Globes et trois Grammy Awards – avant sa disparition tragique car prématurée. Avant son dernier souffle, Howard Ashman lèguera à sa « nouvelle maison » quelques chansons écrites pour Aladdin (R. Clements et J. Musker, 1992), souvent considéré comme l’un des derniers grands classiques du studio d’animation. La « magie de Disney » se serait-elle évanouie au départ d’Ashman ? Peut-être. Ne manquons toutefois pas de rendre hommage à Don Hahn et à son excellente initiative.

© Stone Circle Pictures
Nous sommes allés le voir, il pesait 35 kilos, il avait perdu la vue, sa voix n’était qu’un murmure. La Belle et la Bête n’était pas fini, et nous lui avons rendu visite. Nous étions conscients que c’était la dernière fois qu’on le voyait. Je me suis penché pour lui dire au revoir et combien il comptait pour nous, et j’ai dit : « Howard, tu ne me croiras pas, les gens adorent le film, qui l’aurait cru ? » Et Howard a dit : « Moi. »
Howard (2018 – États-Unis) ; Réalisation et scénario : Don Hahn. Avec : Howard Ashman, Alan Menken, Jeffrey Katzenberg, Peter Schneider (VII), Bill Lauch, Jodi Benson, Paige O’Hara, Sarah Gillespie, Ron Clements, Randy Cartwright, Mike Gabriel, Glen Keane, Angela Lansbury, Rob Minkoff, Jon Musker, Jerry Orbach, Peter Schneider, Gary Trousdale et Kirk Wise. Musique : Alan Menken. Production : Don Hahn, Jesse Draper, Jonathan Polenz et Lori Korngiebel – Stone Circle Pictures. Format : 1.78:1. Durée : 94 minutes.
Disponible sur Disney+ à partir du 7 août 2020.
Copyright illustration en couverture : Disney.