Dawson City : Le Temps suspendu

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Tout là-haut, dans le Yukon, au bord de la rivière Klondike, il était une fois un village de chercheurs d’or qui devint pendant quelques mois une grande ville avant de replonger dans sa torpeur. Assez longtemps cependant pour que des cinémas y voient le jour, et que des images s’y figent dans la glace jusqu’à ce que bien plus tard encore, un magicien les réveille…

LA RUÉE VERS L’OR

C’est d’abord l’histoire de la fameuse ruée vers l’or du Klondike, dont Dawson City fut l’épicentre en 1898 que raconte en un (long) préambule ce documentaire. Comment la ville passa subitement mais de façon tout à fait éphémère de 3000 à 40 000 habitants. Le réalisateur Bill Morrison avance dans sa narration sans aucune voix off, par des photos et des textes en surimpression. Elles sont pour la plupart l’oeuvre d’ Eric Hegg, immigré suédois qui se spécialisa dans les vues de cette région. Une de ses plus célèbres images fut reprise presque à l’identique dans La Ruée vers l’or de Chaplin (1925). Puis, peu à peu, le récit se tourne vers l’histoire des cinémas construits là-bas, qui diffusaient des films parfois deux ans après leur sortie, le temps que les bobines parviennent à l’extrémité de la chaîne d’exploitation. Si loin que les distributeurs renonçaient à les faire ensuite revenir vers eux. Trop cher. Mais que faire de toutes ces pellicules hautement inflammables quand on est un propriétaire de cinéma en bois, entouré d’autres constructions en bois, dans une bourgade qui flambe régulièrement ? Certains optèrent parfois pour la solution la plus simple : jeter tout cela dans les remous des eaux charriant des glaçons. Heureusement, pas tous ! Nombre de bobines furent enfouies dans des endroits pour le moins saugrenus… Certaines plaques photographiques de Hegg, quant à elles, échappèrent de peu à la furie ménagère d’une jeune mariée du cru !

© Hypnotic Pictures
© Hypnotic Pictures

LE TEMPS SUSPENDU

Comment aujourd’hui raconter l’étrange histoire de ces films perdus puis miraculeusement retrouvés ? Morrison a choisi d’en illustrer toutes les péripéties par des extraits de ces mêmes films de fiction. Peu à peu, un chassé-croisé s’opère alors : tandis que l’histoire invraisemblable de Dawson City et de ses cinémas bascule dans la fable, ces fictions muettes en deviennent l’illustration, la seule trace tangible, comme des découvertes archéologiques prises dans la glace. D’autant plus que ces extraits nous sont montrés en l’état, avec toutes les altérations matérielles apportées par le temps et l’humidité. La ville a presque disparu aujourd’hui, n’est plus à nouveau qu’un village, mais Morrison met bout à bout des bribes de comédies et de mélodrames qui palpitent toujour pour faire revivre cette époque. Hélas, la bonne idée est gâchée par une combine répétée ad nauseam : lorsqu’on nous raconte, par exemple, qu’un exploitant de salle téléphone à son distributeur, on nous montre dans la foulée cinq, six, dix scènes de films muets mettant en scène un personnage au téléphone. 

Quand des hommes d’affaires de Dawson signent un contrat, à nouveau nous avons droit à dix extraits où s’agitent dans un bureau des hommes en col cassé. Peut-être le réalisateur n’a-t-il pas eu le cœur de faire un tri, de décider quelle pépite gagnerait une place dans son oeuvre. Il faut dire que la seule énuméraion des titres de ces films est savoureuse : Until We Then Meet Again (1913), The Half-Breed (1916), Princess Virtue (1917), The Silver Girl (1919), The Hidden Scar (1916), The Lure of Woman (1915)… Mais sa tendresse bien compréhensible envers son fragile matériau finit par affaiblir l’effet percutant des premiers extraits montrés, tandis que résonne une musique tantôt envoûtante, tantôt crispante par sa monotonie. Dawson City, Le Temps suspendu est un conte cinématographique du grand nord, sur lequel quelques fées ont oublié de se pencher, mais c’est une bien belle histoire pleine de rebondissements qu’il fallait absolument raconter.
© Théâtre du Temple Distribution
Dawson City : Le Temps suspendu (Dawson City: Frozen Time , 2018 – États-Unis) ; Réalisation  et scénario : Bill Morrison. Musique : Alex Somers. Production : Madeleine Molyneaux, Bill Morrison et Paul Gordon – Hypnotic et Palace Pictures. Format : 1.33:1. Durée : 120 minutes.

En salle le 5 août 2020.

Copyright photo de couverture : Hypnotic Pictures.