Dans un jardin qu’on dirait éternel

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Dans un jardin qu’on dirait éternel est un film parfait, une espèce de chef-d’œuvre dû à l’immense talent de Tatsushi Ōmori. Mais expédions d’abord les choses qui fâchent : le titre français de ce film est d’une stupidité absolue puisqu’en vérité il n’y est question ni de jardin ni d’éternité ; l’affiche française, quant à elle, nous présente la maîtresse de thé inversée par rapport à l’affiche originale, et c’est ainsi que son kimono se retrouve à l’envers ; les deux caractères écrits en japonais ne sont pas une traduction du titre français mais constituent un seul mot, « éternité » (eien, 永遠). Pourquoi toutes ces complications ? Les desseins des distributeurs sont impénétrables. Nous leur recommandons toutefois le bain de pied au karashi – la moutarde japonaise – dont la moindre des qualités est celle d’aérer les neurones.

CHAQUE JOUR EST UN BON JOUR

Parlons maintenant de cette merveilleuse bobine, intitulée en japonais Chaque jour est un bon jour. Il s’agit là d’un proverbe issu du bouddhisme zen autour duquel s’articule tout le film. Il y apparaît à plusieurs reprises, il est la morale de cette histoire douce qui se déroule principalement dans une petite pièce où il est question d’instants fugitifs et de journées toujours différentes, à milles lieues d’un quelconque jardin éternel. Deux étudiantes décident de prendre des cours de cérémonie du thé, art traditionnel réservé aux femmes. Si les arts laissent, par définition, une totale autonomie à ceux qui les pratiquent, celui de la cérémonie du thé est une espèce de ballet dont le moindre des mouvements est codifié. Aucun geste n’est improvisé, aucun écart n’est toléré, tout est écrit à l’avance. La manière d’ouvrir une cloison, le nombre de pas pour entrer dans la pièce, le pliage ultra-complexe d’une serviette, la façon de saisir la louche en bois, etc. Aux questions de l’une des deux étudiantes sur la signification de ces mouvements toujours identiques, la professeure répond que c’est comme ça et c’est tout ; il faut cesser d’analyser, cesser de réfléchir, se laisser porter. « N’apprends pas, imprègne-toi, les mains finiront par bouger toutes seules. » C’est de cette apparente immuabilité que naîtra la surprise, la découverte, voire le bonheur. Car chaque jour est un bon jour, chaque jour est différent. C’est ainsi que tous les samedis, les deux jeunes filles apprennent l’art du thé. Le reste de la semaine s’écoule avec ses joies, et ses peines. L’une des jeunes filles s’en va travailler dans une entreprise d’import-export pendant que l’autre reste à la maison, rédige quelques piges pour une maison d’édition. L’une d’elles conclut un mariage arrangé pendant que l’autre renonce à se marier… Ainsi va la vie.

© Art House

© Art House

OSER ZIEUTER VERS OZU

Une action ténue, des gestes codifiés, des plans filmés au ras du tatami : on pense au cinéma d’Ozu, celui du Voyage à Tokyo (1953)et du Goût du saké (1962). Sans aucun doute, Omori rend hommage au maître. Et comme si ce n’était pas suffisant, l’héroïne évoque à plusieurs reprises La Strada de Fellini (1954) ; or les cinéphiles japonisants savent bien que le lien entre le néoréalisme italien et le cinéma d’Ozu est très étroit. Cela dit, Dans un jardin qu’on dirait éternel (puisqu’il faut bien nommer cette bobine ainsi) ne sombre pas dans la triste banalité qui imprègne le cinéma d’Ozu. Le film d’Omori est serein, joyeux, parfois même franchement drôle : les chutes et autres ratés des nouvelles élèves sont réjouissants et une scène vaut son pesant de caramel mou : les deux jeunes filles, debout sur un lit, se moquent gentiment de la vieille prof et entament un karaoké en se trémoussant à qui mieux mieux. 

Derrière, sur un meuble, une fleur de tournesol en plastique plantée dans un pot gigote au son de la musique. Encore derrière, des guirlandes lumineuses verticales. Cette scène contraste avec la sérénité de la maison de thé, avec l’impassible bouquet figé dans l’alcôve au-dessus d’une calligraphie verticale elle aussi, elle est son contraire absolu. Mais elle n’est pas insolente. Au contraire ! Ce défoulement des deux jeunes filles est tout autant un clin d’œil humoristique qu’une forme de révérence, une marque de profond respect envers la vieille professeure. « Même si vous servez toujours le thé aux mêmes personnes, chaque cérémonie est unique car une même journée ne revient jamais deux fois, dit-elle. Préparez toujours le thé comme si c’était la seule et unique fois de votre vie. » La vie, l’amour, le chagrin, le bruit de l’eau chaude versée puis celui de l’eau froide, la pluie de juillet puis celle d’automne, l’image du père sur la plage… Chaque jour est un bon jour.

© Jeff Maunoury/Art House

Dans un jardin qu’on dirait éternel (Nichinichi kore kôjitsu, 2018 – Japon) ; Réalisation : Tatsushi Ōmori. Scénario : Tatsushi Ōmori d’après l’oeuvre de Noriko Morishita. Avec : Haru Kuroki, Mikako Tabe, Kiki Kirin, Mayu Harada, Saya Kawamura, Meguma Takizawa, Mauy Tsuruta, Mizuki Yamashita Fuyuka Kooriyama, Chichiro Okamoto et Shingo Tsurumi. Chef opérateur : Kenji Maki. Musique : Hiroko Sebu. Production : Tomomi Yoshimura, Takaharu Kanai et Takahiko Yondo – Happinet Corporation, Yoake Pictures Inc. et Harvest Film. Format : 1.85:1. Durée : 102 minutes.

En salle le 26 août 2020.

Copyright photo de couverture : Jeff Maunoury/Art House.