Au sortir de la guerre du Viêt-Nam et avec le retour d’une présidence conservatrice, les États-Unis connaissent, au tournant de la décennie 80, une période délétère cristallisant des comportements radicaux. La ville devient alors une jungle pernicieuse jusque dans les bastions censés nous protéger, en l’occurrence, un établissement scolaire. Sorte de revenge movie utilisant les attributs du film pour ados, Class 1984 dépeint une société malade à l’autorité impuissante et encapsule son époque sans ménager son audience.
Ça commence comme tant d’autres films ayant un lycée pour décor principal. On voit des jeunes se bécoter aux abords de l’établissement, des éléments plus ou moins perturbateurs courir dans les couloirs ou tagger l’enceinte, la bombe à la main. Des trucs d’ados en somme. Une sensation de noirceur et d’agressivité se superpose pourtant à cette image d’Épinal. Tapissant cette atmosphère inquiétante, le synthé menaçant de la bande-son convoque immédiatement John Carpenter et la suite nous montrera que l’inspiration du maître n’est pas seulement musicale. Ces quelques minutes suffisent donc pour diffuser la charge anxiogène de la bobine et nous renseigner sur une évidence : on est peut-être au lycée, mais certainement pas dans un film de John Hugues.
WE DON’T NEED NO EDUCATION
Pourvu d’idéaux pédagogiques et d’un état d’esprit on ne peut plus positif, un nouveau professeur fait sa rentrée au lycée Abraham Lincoln. Andy Norris, qui enseigne la musique, voit sa bonhomie rapidement douchée par une bande de néo-nazis dépourvus de toute valeur morale. Norris va d’abord jouer d’autorité et de fermeté avant de comprendre que ces armes ne seront pas adaptées pour venir à bout de ce gang qui s’applique à semer la terreur dans l’établissement, tant auprès des élèves que du corps enseignant.
D’ailleurs, la première image du film est un carton pointant le caractère réel des événements du film et la recrudescence depuis quelques années des violences faites par les élèves sur leurs professeurs. Le réalisateur Mark L. Lester semble s’inspirer d’Another brick in the wall, le tube des Pink Floyd sorti trois ans auparavant, pour mieux en prendre le contre-pied. Persuadé du facteur aliénant que les professeurs peuvent avoir sur leurs élèves, le chanteur Roger Waters leur intime l’ordre, dans ses paroles légendaires, de laisser ces derniers tranquilles (« Hey, teacher ! Leave those kids alone »). Ici, on est catapulté dans un monde où cette leçon n’aurait pas été retenue. En montrant un professeur isolé face à ce groupe terrorisant, Class 1984 s’inscrit dans la veine du film de vigilante, cette mouvance protectionniste qui a fleuri au cinéma durant la décennie précédente et dans laquelle un homme comprend que la justice ne sera jamais rendue tant qu’il ne s’y collera pas lui-même.
HARD SIXTEEN
Il est paradoxal qu’un film a priori destiné aux ados reçoive une classification qui en interdit l’accès aux moins de 16 ans, mais au regard de la violence et du côté dérangeant de certains passages, cette mesure n’a pas été donnée à la légère. Si on est globalement moins choqué aujourd’hui, il n’en était pas de même pour l’Amérique puritaine de Reagan aux début des années 80. Lester n’a pas lésiné sur l’aspect ténébreux voire cauchemardesque de son récit. L’atmosphère globale n’est jamais rassurante et le nihilisme qui habite la bande malfaisante est en totale opposition avec l’image proprette et calme de la classe moyenne érigée en modèle partout ailleurs.
Loin aussi, le cliché du rebelle qui en a dans le crâne et qui sera sauvé de ses mauvaises fréquentations ou de ses pulsions malsaines par un professeur qui brisera les barrières pour l’aider à s’en sortir. Car nous ne sommes pas non plus dans Esprits Rebelles (J. N. Smith, 1985). Ici, point de Michelle Pfeiffer à l’horizon pour raisonner le terrible Peter Stegman qui semble trop animé par la haine pour être sauvé. Ce n’est donc pas une joute cérébrale qui se joue dans ces couloirs, c’est un combat de plus en plus féroce qui ne pourra connaître qu’une issue radicale.
Quelque chose qui n’a jamais vraiment existé ne peut connaître l’obsolescence, c’est pourquoi Class 1984 est resté figé dans une temporalité qui le rend hermétique au vieillissement. La facture esthétique vaguement SF du film, propre à son époque, y est pour beaucoup. La direction artistique puise dans le vestiaire punk et le post-apocalyptique façon Mad Max de George Miller autant que dans le côté coupe-gorge de The Warriors de Walter Hill, tous deux datant, comme la chanson des Pink Floyd, de 1979. Ainsi, les décors véhiculent un état de désolation généralisée où règne l’insécurité et les costumes ont cette touche « fin de siècle approchant » où les manches n’existent plus et où les boutons-pressions sont rois.
Nourri par la décennie précédente, Class 1984 est donc un film contestataire qui sonne comme un pamphlet sans concession. Sa sortie, en 1982, a d’ailleurs été accompagnée de nombreuses attaques critiquant sa morale, ce qui n’a pas empêché de belles recettes au box-office. On peut imaginer que cette vision de l’avenir ait en effet de quoi rendre nerveux. Accusé d’un côté d’être fasciste, de promouvoir la violence et d’inciter au chaos, il peut aussi être vu comme un outil de propagande conservateur, un appel à éradiquer la vermine ambiante. Ce fantasme de la confrontation élèves/professeurs a fait des émules et a vu naître d’autres productions utilisant ce créneau, tels que Le Proviseur (C. Cain, 1987), Esprits Rebelles, donc, et même The Faculty (R. Rodriguez, 1998). Si l’on doute qu’il atteigne un jour le stade ultime d’objet culte, son parfum sulfureux, son casting peuplé de relatifs inconnus (avec en prime un tout jeune Michael J. Fox) et son efficacité à transposer le sentiment d’une époque confèrent néanmoins à Class 1984 un statut de petite pépite eighties de niche.
A la production : Mark L. Lester, Arthur Kent & Merrie Lynn Ross pour Guerilla High Productions.
Derrière la caméra : Mark L. Lester (réalisation). Mark L. Lester, Tom Holland (II), John Saxton & Barry Schneider (scénario). Albert Dunk (chef opérateur). Lalo Schifrin (musique).
A l’écran : Perry King, Merrie Lynn Ross, Tim Van Patten, Roddy McDowall, Stefan Arngrim, Michael J. Fox, Keith Knight, Lisa Langlois.
Sur Ciné + en : septembre 2023.