En 1992, soit dix ans après le succès mondial du film oscarisé Gandhi, et sur le conseils de sa productrice Diana Hawkins, Richard Attenborough décide de porter à l’écran la vie extraordinaire d’un légendaire cinéaste vagabond dont l’œuvre reste à ce jour indémodable. Malgré les critiques élogieuses de la presse, le bien-nommé Chaplin n’aura droit qu’à un succès d’estime. Était-il sacrilège de faire revivre un pionnier du cinéma sous les traits d’un acteur de teen movie des années 80 ? Peu importe. Le film n’en reste pas moins un biopic en tout point réussi grâce au savoir-faire d’un réalisateur aguerri. C’est du moins notre impression quand on ressort du placard notre VHS de Chaplin pour la troquer contre une nouvelle réédition en Blu-ray… *
ROBERT DOWNEY JR. EST UN VRAI CLOWN
Il n’est pas nécessaire d’aimer Charlot voire même les biopics tout court pour s’intéresser à Chaplin qui raconte avec un certain enthousiasme manifeste l’ascension fulgurante d’un artiste depuis les faubourgs de Londres jusqu’à Hollywood au tournant du XXe siècle. Chaplin repose essentiellement sur l’excellente et impressionnante interprétation de Robert Downey Jr., jamais aussi explosif et fragile que dans le rôle d’un cinéaste anglais de l’âge d’or hollywoodien. Richard Attenborough et son producteur, Mario Kassar, ne cesseront d’ailleurs jamais de croire en son talent tout au long du tournage contre l’avis du studio Universal, distributeur original du film, qui aurait préféré Dustin Hoffman et Billy Crystal au jeune comédien cabotin. Provocateur invétéré, clown blanc et auguste à la fois, anticonformiste, politiquement incorrect : Charlie Chaplin a été tout ça à la fois en parallèle de sa vie personnelle discutable. Dénoncer la bêtise du monde capitaliste américain lui vaudra d’ailleurs de provoquer la colère de J. Edgar Hoover, maître de la chasse aux communistes. Ce dernier prendra un certain plaisir à l’épier en retour, pour finir par le « matraquer », le harceler jusqu’à l’expulser tout bonnement des États-Unis. C’est donc à travers ce portrait plus vrai que nature – on a envie de le croire – que la sincérité de Chaplin nous touche au cœur. Les innombrables frasques de l’artiste décomplexé servent néanmoins de toile de fond à la tragédie d’un homme fragilisé par son passé qui doit survivre et gagner à tout prix la bataille de l’existence. Robert Downey Jr. révèle pour la première fois à l’écran une palette de jeu toutes en nuances aux côtés d’un casting quatre étoiles suffisamment impressionnant pour l’inciter à se surpasser. A côté d’une jeune distribution (Milla Jovovich, Diane Lane, Penelope Ann Miller et David Duchovny), le comédien âgé d’une vingtaine d’années partage l’affiche avec Sir Anthony Hopkins, qui campe ici George Hayden, l’éditeur fictif des mémoires de Chaplin, Dan Aykroyd, en Mack Sennett, Kevin Kline, parfait Douglas Fairbanks, et Geraldine Chaplin, dans le rôle de sa propre grand-mère.

© David James/TriStar Pictures

© David James/TriStar Pictures
… SOUS LA DIRECTION DE « MONSIEUR JURASSIC PARK »
Derrière la caméra, le classicisme de Richard Attenborough, d’ordinaire mollasson – on vous laisse toutefois en juger – fait étonnamment des merveilles quand il s’agit de recréer le faste du vieil Hollywood des pionniers, celui du studio Keystone et des soirées scandaleuses. Le cinéaste s’entoure à cet effet de prestigieux collaborateurs parmi lesquels Ann V. Coates, monteuse de Lawrence d’Arabie (D. Lean, 1962), Elephant Man (D. Lynch, 1980), Greystoke (H. Hudson, 1983), ou encore le grand compositeur John Barry dont les nappes de cordes subliment les images mises en boîte par Sven Nykvist, chef opérateur attitré d’Ingmar Bergman passé dans les années 80 chez Woody Allen. Entre deux séquences larmoyantes, Attenborough signe également avec légèreté le portrait d’un rêveur invétéré doublé d’un génial entrepreneur touche-à-tout, d’un homme-orchestre en train d’écrire sa légende. L’excès de pudeur d’Attenborough atténue d’ailleurs à regret la folie visuelle de nombreuses scènes oniriques imaginées par Chaplin qui se raconte également dans un scénario bien trop programmatique, voire parfois peu subtil, notamment dans ses dernières pages – on soupçonne même le film d’avoir été calibré pour les Oscars [Chaplin sort d’abord dans un nombre de salles très réduit le 25 décembre 1992 aux États-Unis à la fois pour célébrer le quinzième anniversaire de la disparition du cinéaste et pour entrer en compétition avec ses compétiteurs aux Oscars en 1993, ndlr]. Ces quelques ombres au tableau sont vite balayées au terme de deux heures captivantes lorsque surgissent à l’écran en guise d’épilogue de vrais extraits des films de Chaplin sur la musique des Temps Modernes (1936). Impossible dès lors de remettre en question la sincérité de l’entreprise. Attenborough a consacré deux longues années à réaliser Chaplin, déclinant par exemple un rôle dans le Hook (1991) de Steven Spielberg qui adaptera le planning de tournage de Jurassic Park (1993) pour s’assurer de pouvoir lui confier le rôle de John Hammond. Ce sont donc dans ces sublimes et éternelles dernières minutes de Chaplin que se logent pour sûr le cœur d’Attenborough et le nôtre, soit dans une très belle et très sincère preuve d’amour au cinéma par-delà les décennies.
Chaplin (1992 – États-Unis, France, Royaume-Uni, Italie et Japon) ; Réalisation : Richard Attenborough. Scénario : Bryan Forbes, William Goldman et William Boyd (II) d’après un livre de Charles Chaplin et David Robinson. Avec : Robert Downey Jr., Geraldine Chaplin, Dan Aykroyd, Paul Rhys, Anthony Hopkins, Kevin Kline, Diane Lane, James Woods, Milla Jovovich, Moira Kelly, Penelope Ann Miller, Marisa Tomei, David Duchovny, Nancy Travis, Bill Paterson, Maria Pitillo, Robert Stephens et Sky Rumph. Chef opérateur : Sven Nykvist. Musique : John Barry. Production : Richard Attenborough, Mario Kassar, Terence A. Clegg et Diana Hawkins – Carolco Pictures, StudioCanal et RCS Video. Format : 1.85:1. Durée : 143 minutes.
Sortie originale le 8 janvier aux États-Unis, puis le 17 février 1993 en France.
Disponible en VHS depuis le 28 avril 1993 / * En Blu-ray chez StudioCanal depuis le 5 mars 2021.
Copyright illustration en couverture : David James/TriStar Pictures/William Joel/The Verge.
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