Blow the Man Down

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Blow The Man Down

Un petit village de pêcheurs à l’extrême Nord-Est des États-Unis, baigné de lumière, l’océan à perte de vue, le grand air, le vent qui pique, une petite route qui serpente entre les maisons d’où chacun se salue, un ciel immense. Deux jeunes sœurs qui, après la mort de leur mère, doivent décider quel chemin prendre : rester pour reprendre la boutique, partir en ville faire des études ? Les vieilles amies de leur mère pourraient-elles être de bon conseil ? Non, nous ne sommes pas dans une chronique intimiste de la vie qui va : le prologue en forme de chanson de marin nous l’a d’emblée annoncé. La mer, même étale, est une réserve de tempêtes qui peuvent faire ployer les vaisseaux les plus solides – c’est le Blow the Man Down du titre, chanté par un chœur de virils pêcheurs campés sur les rochers.

DEUX SOEURS

Les deux sœurs n’ont rien de figures héroïques, leurs jeunes vies sont déjà pleines de frustrations, et comme dans Thelma et Louise (R. Scott, 1991), une agression sexuelle les fait basculer. Contrairement aux deux plus célèbres femmes en cavale du cinéma, leur fuite en avant ne les fera pas prendre la route mais s’enfoncer dans le passé de leur cher Eastern Cove, Maine. On aurait dû se méfier de ce nom de crique paisible – les petits villages de pêcheurs du Maine ont un lourd passif depuis Dark Shadows, la série télévisée des années 60 rajeunie par Tim Burton en 2012, sans oublier la sinistre Dolores Clairborne inventée par Stephen King. Peu à peu, ce sont d’autres souvenirs de films qui nous assaillent. C’est malin : sans alourdir le récit qui reste très compact, ces échos multiples nous aiguillent vers des pistes contradictoires. Lesquelles nous déstabilisent complètement, au fur et à mesure que les héroïnes se retrouvent plongées dans un tourbillon de péripéties. Sommes-nous dans une farce horrifique à la Fargo (J. Coen, 1996) ? La silhouette géante de pêcheur de homard en carton aperçue au bord de la route très tôt dans l’histoire a des petits airs de bûcheron à l’entrée de Brainerd. Pourtant ici, il y a plus qu’une femme forte, ou qu’un tandem – la bourgade semble tout entière peuplée de femmes de tous âges vivant en vase clos et ressassant de vieilles rancunes, réveillant un malaise plus glauque, comme un vague souvenir des Proies (D. Siegel, 1971). 

Toutes ces références soutiennent l’action sans nous en couper, car le fim renferme ce qu’il faut de rebondissements et un beau MacGuffin sous la forme d’un magot, tout cela soutenu par une musique bien dérangeante – assez pour amener à lâcher la posture de critique et se surprendre à trembler pour de bon jusqu’au twist final ! Vraiment ? N’est-on pas trop plombés en ces temps de confinement pour se laisser happer ainsi ? Eh non, car Blow the Man Down a encore un autre atout : sa distribution. Face au duo de jeunes actrices (Morgan Saylor, explosive, et Sophie Lowe, accablée) qui incarnent les deux sœurs si différentes, deux personnages de vieilles dames promènent leur ambiguïté, leur duplicité peut-être. Laquelle est vertueuse, laquelle est corrompue ? June Squibb, avec ses petits yeux bleus rieurs, avait déjà exprimé toute la violence d’une épouse étouffante dans Nebraska (A. Payne, 2013). Quant à l’impressionnante Margo Martindale, comme déjà dans la série The Americans (2013-2018), elle oscille entre sagesse, bienveillance et menace, avec sa voix grave et sa lourde silhouette presque titubante. Que cherchent-elles, ces vieilles ? Sont-elles toxiques ou bienveillantes ? Motus !

© Amazon Studios

Blow the Man Down (2019 – États-Unis) ; Réalisation : Bridget Savage Cole. Scénario : Bridget Savage Cole et Danielle Krudy. Avec : Morgan Saylor, Sophie Lowe, Margo Martindale, Will Brittain, Gayle Rankin, Annette O’Toole, Marceline Hugot, Skipp Sudduth, June Squibb, Ebon Moss-Bachrach, David Coffin, Meredith Holzman, Mark S. Cartier et Owen Burke (II). Chef opérateur : Todd Banhazl. Musique : Brian McOmber et Jordan Dykstra. Production : Drew Houpt, Alex Scharfman, Tim Headington, Lia Buman, Albert Berger, Ron Yerxa et Lucas Joaquin – Secret Engine et Tango Entertainment. Format : 1.85:1. Durée : 91 minutes.

Disponible sur Amazon Prime Video le 20 mars 2020.

Copyright illustration en couverture : Amazon Studios.