Blackbird : encore une franche réussite de Roger Michell

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Vous reprendrez bien un peu de confinement ? Pour fêter la rentrée dans les salles obscures, Metropolitan FilmExport ne fait rien comme les autres et mise sur un huis clos familial autour de la fin de vie. Le réalisateur Roger Michell convie à sa petite sauterie familiale un casting des plus aguicheurs : Susan Sarandon, Kate Winslet, Mia Wasikowska, Sam Neill ou encore Rainn Wilson. De quoi, peut-être, justifier cette nouvelle déclinaison du sujet très éculé des familles dysfonctionnelles et pleines de secrets… Verdict.

LA CÉRÉMONIE DES ADIEUX

Demain, maman sera morte. Tel pourrait être, en quatre mots, le résumé du nouveau long-métrage signé Roger Michell (Coup de foudre à Notting Hill, 1999), un mélo familial adapté d’un film danois et qui fit pleurer bien des yeux dans les salles obscures du Festival international du film de Toronto en 2019. Jugez plutôt… Lily (Susan Sarandon) est atteinte d’une maladie dégénérative. Qu’importe l’intitulé exact de la chose, sa pathologie lui promet des lendemains de plus en plus douloureux. Pas d’amélioration possible, elle va perdre tour à tour sa capacité à se saisir des objets qui l’entourent, à se déplacer, à se nourrir. Une dégradation inéluctable, une dépendance intolérable qu’elle décide de court-circuiter en prenant la décision la plus dure – et pourtant la plus logique – qui soit : recourir au suicide assisté. La question est entendue et acceptée (en apparence) par ses proches, qu’elle décide de réunir le temps d’un dernier week-end avant son passage à l’acte. Une jolie manière de moderniser quelque peu la trame éculée du dîner d’adieu. De son scénario, Blackbird tire un trait de caractère qui le distingue de nombres des traditionnels repas de famille hystériques qui jalonnent l’histoire du cinéma. Malgré la douceur de sa lumière naturelle et des couleurs pastel des lieux, malgré son rythme qui ronronne comme un dimanche à la campagne, il subit la pression d’un compte-à-rebours. Le week-end tire en longueur mais tique comme une horloge, un détonateur. On est en pleine tragédie au sens premier, où l’issue des discussions est fatalement mortelle et où les secrets de famille remontent à la surface tels les cadavres d’un lac. On pense bien entendu à Juste la fin du monde (2016) de Xavier Dolan, à la différence près que la mort du protagoniste comptait parmi les tabous à révéler. Ici, elle occupe la scène aussi sûrement que n’importe quel acteur, elle est évoquée, redoutée, insaisissable mais omniprésente, on discute de ses modalités techniques et on en rigole autour d’une assiette de patates douces. Lily en parle, Lily s’en moque, et plus elle l’évoque, plus elle semble vivante et donc la repousser au loin. La décontraction dont elle fait preuve empêche presque ses proches (et le spectateur) d’en saisir la réalité à venir. Elle est palpable et abstraite tout à la fois. C’est donc paradoxalement non plus à la malade, mais à ses filles, à son amie, à son petit-fils qu’il revient d’accepter l’inéluctable et faire leur deuil par anticipation. Roger Michell filme cette prise de conscience progressive sans originalité aucune mais avec une pudeur certaine, conscient que le moindre effet de style peut tourner un mélodrame en une indigeste pâte pleine de grumeaux. L’écueil est le plus souvent évité.

BLACKBIRD SINGING IN THE DEAD OF NIGHT

Lorsqu’on décide d’enfermer huit personnages dans un huis clos, la moindre des choses consiste à soigner son casting. Il faut choisir des équilibristes, des laborantins du jeu capable d’extraire des larmes sans faire exploser le mélange. Force est de reconnaître que le pari est ici réussi, et il convient de saluer chez Roger Michell le désir d’offrir à tous ses acteurs l’opportunité de briller tour à tour. A l’instar des merles du titre, chacun chante sa partition désespérée avec une vérité qui fait la force du film. Passons sur Kate Winslet, toujours aussi juste et ce d’autant plus qu’elle avoue avoir vécu ce tournage comme une thérapie à la perte récente de sa mère. Passons sur Mia Wasikowska, touchante de mal-être contenu, sur les révélations Anson Boon et Bex Taylor-Klaus, tous deux d’une maturité exemplaire. Concentrons-nous plutôt sur les phares qui dominent et illuminent le long-métrage : Sam Neill et Susan Sarandon. S’il est une qualité à reconnaître à Blackbird, c’est de les rappeler à notre bon souvenir. On ne pense jamais assez à Susan Sarandon, et c’est donc avec surprise qu’on la redécouvre toujours, magnifique et déchirante, incroyable de justesse. Ce fut le cas dans la mini-série Feud (2017) signée Ryan Murphy, puis de nouveau dans Ma vie avec John F. Donovan (2018) malgré la maladresse de l’ensemble. Ici, elle jongle entre gouaille feinte et silences dignes, ses grands yeux niant l’assurance que sa voix prétend avoir. Il fallait toute son expérience et tout son talent pour jouer avec Sam Neill un couple plus vrai dans ses silences que dans ses discussions. Ils sont une raison plus que suffisante pour se laisser convaincre de donner une chance à ce film, rarement révolutionnaire mais souvent touchant, et dont on ressort paradoxalement en aspirant une grande bouffée d’air frais. En temps de Covid, cette respiration semble agréable comme la vie même.

A la production : Sherryl Clark, Mike Donovan & Robert Van Norden pour Busted Shark Productions, Eclectic Pictures, Millennium Films & SF Studios.

Derrière la caméra : Roger Michell (réalisation). Christian Thorpe (scénario). Mike Eley (chef opérateur). Peter Gregson (musique).

A l’écran : Kate Winslet, Sam Neill, Mia Wasikowska, Rainn Wilson, Susan Sarandon, Bex Taylor-Klaus, Lindsay Duncan, Anson Boon.

Sur Ciné + : en mai 2022.

Copyright photos : Metropolitan FilmExport.