On se souvient encore douloureusement de Harley Quinn surnageant dans le marécage nauséabond offert par Suicide Squad (D. Ayer, 2016). Tout ça ne devrait plus être qu’un mauvais souvenir puisque la voilà de retour cette année dans une oeuvre complètement déjantée, fluorescente, divertissante et féministe ! En somme, Birds of Prey et la fabuleuse histoire de Harley Quinn est un film de femmes, conçu par des femmes, à l’image de l’ex de Monsieur J, tout en folie colorée et en péripéties loufoques.
Après les désastres consécutifs de Suicide Squad et de Justice League (Z. Snyder, 2017), Warner Bros a décidé de revoir totalement sa stratégie en proposant des films qui se suffisent à eux-mêmes dans le monde des comics estampillés DC, rejetant l’aspect sériel précédent. Fatigué de courir après Disney et Marvel avec leur univers étendu connecté, le studio fait le choix de produire des films à « plus petit budget », laissant ainsi davantage de liberté aux artistes investis dans la conception des nouvelles adaptations. Shazam! (David F. Sandberg, 2019), avec son protagoniste adolescent, aura ainsi réussi à apporter un peu de fraicheur au DCEU (DC Extended Universe, pour le profane). Si le Joker (2019) de Todd Phillips lorgnait vers le drame social d’inspiration scorsesienne, Birds of Prey suit certes ce même élan de liberté et de distinction mais cette fois-ci pour donner une oeuvre atypique et déjantée.
C’est un préjugé de croire que parce que l’on est une femme, on a seulement envie de comédie dramatique ou de comédie romantique. L’action est tellement fun.
HAPPY TREE QUINN
Articulée par et concentrée autour du personnage de Harley Quinn (Docteur Harleen Quinzel à l’état civil), l’intrigue de Birds of Prey se permet une organisation un peu chaotique et haute en couleur. Harley (Margot Robbie) n’est pas véritablement une bad girl mais se rapproche bien plutôt de l’archétypale anti-héroïne, capable des pires atrocités comme de bravoure et de bonté. Après une première apparition dans la série animée Batman (1992-1995), DC Renaissance (en France) et The New 52 (sur le marché américain) lui consacrent un comic book narrant ses exploits et déboires en marge de la ligne narrative dédiée à son complice grimaçant. Son univers coloré façon Arlequin entre là directement en concurrence avec un autre anti-héros farfelu de l’écurie Marvel, le mercenaire en roue libre Deadpool. Le scénario de Birds of Prey emprunte sans surprise certains éléments au travail d’Amanda Conner, principale scénariste des aventures de la dame de carreau. Ainsi de ses talents au roller derby, du castor empaillé qu’elle entend parler ou encore de la cible à l’effigie du Joker que Harley garde précieusement chez elle. Birds of Prey s’ouvre sur une scène d’animation bien utile pour le novice qui ignore (presque) tout du parcours du Doc’ Quinzel. Son design ravira d’ailleurs les adeptes de Happy Tree Friends, avec le même lot des couleurs pétantes et d’images violentes. Cette première séquence pose directement les bases d’un univers parallèle à celui de Suicide Squad dont il s’affiche pourtant comme une vague suite. Qu’on se le dise : le film de Cathy Yan prétend fonctionner seul et de ne demande pas une connaissance encyclopédique de l’univers DC. La voix de Quinn nous raconte sa propre histoire, comme elle l’entend et dans l’ordre qui lui sied. La structure scénaristique de Birds of Prey s’agrémente en conséquence d’aller-retours dans l’histoire, de freeze-frames et de commentaires directement adressés aux spectateurs. Bref, la protagoniste ne cesse de briser à l’envi le quatrième mur. Cathy Yan met en scène son univers en s’inspirant de la ville de Los Angeles, un Gotham à son image, paré de de couleurs fluo que tranche une grisaille cradingue, une palette chromatique à son apogée dans le parc d’attraction abandonné, climax du film.
LES OISEAUX DE PROIE
Confiant de nouveau les rênes à une réalisatrice pour cette nouvelle adaptation, DC rattrape pour de bon son retard sur le terrain de l’inclusion. Quel autre artiste, sinon une femme, ne pouvait aussi mieux raconter à l’écran une histoire d’émancipation féminine et de lutte contre la masculinité toxique ? Car les hommes qui virevoltent autour d’Harley sont de la pire espèce : des gangsters assoiffés de pouvoir, de violence et de sexe, des opportunistes qui s’accaparent le travail de leurs collaboratrices, un ex destructeur… L’émancipation prend ainsi tout son sens pour Harley Quinn donc, mais aussi Renee Montoya (Rosie Perez), Cassandra Cain (Ella Jay Basco), Black Canary (Jurnee Smollett-Bell) et Huntress (Mary-Elizabeth Winstead). Chacune d’elles possède son prédateur masculin qui ne voue sa vie qu’à prouver sa supériorité. Harley cherche ainsi un nouveau moyen d’exister loin du Joker après une rupture violente. Renee, inspectrice, subit les ordres d’un capitaine qui s’attribue tout le mérite de son travail. Cassandra, jeune pickpocket, s’attire les foudres de Black Mask (Ewan McGregor) et de son gang après avoir volé le diamant qui donnait accès à des comptes bancaires sacrément bien remplis. Black Canary, chanteuse puis chauffeur de Roman Sionis, subit les innombrables excès de son patron quotidiennement. Huntress, elle, est partie en croisade contre les assassins de sa famille. Ces cinq femmes que le destin rassemble autour d’un ennemi commun feront groupe dans le cadre d’un revenge movie détonant.
On ne voit jamais ou peu de films Rated-R liés aux super-héros. On a pensé le film en tant que film Rated-R [Selon la classification établie par la MPAA, les mineurs de moins de 17 ans doivent être accompagnés d’un adulte pour voir cette catégorie de films, N.D.L.R.] C’est la classification qui correspond aux filles que l’on présente. Et à leur langage. Aux États-Unis, si tu places des F-Bombs, tu es automatiquement Rated-R
Les précédents films du DCEU avaient été étrillés par les critiques à cause de leur surabondante utilisation des technologies numériques pour habiller l’action. Cathy Yan a pris quant à elle le parti opposé, souhaitant donner un aspect plus brut et violent aux scènes d’action. Chad Stahelski, grand manitou derrière les chorégraphies endiablées de la franchise John Wick (2014-2019), vient prêter main forte à la réalisatrice sino-américaine pour l’entrainement des actrices et la préparation des cascades. La restriction impartie au film permet en retour d’accentuer la violence à l’écran, dans des effusions de sang bien gore qui satisferont les amateurs du genre. Les nombreuses interactions avec le décor pendant les scènes de combat rendent également les chorégraphies encore plus jouissives, dans la lignée des « vieux » films d’action asiatiques portés par le légendaire Jackie Chan. On verra par exemple Harley, grande adepte des marteaux et des battes de baseball, utiliser un fusil-canon à confetti pour braquer un commissariat de police, dans un nuage de fumigènes bleu et rouge, ses couleurs fétiches, rappelons-le. Margot Robbie, également productrice pour l’occasion, s’amuse toujours autant dans sa salopette jaune à paillettes, entre ses folies bubble-gum et ses acrobaties spectaculaires. Face à elle, Ewan McGregor compose un personnage extravagant et narcissique, accentuant en retour la touche cartoonesque d’un casting dans l’ensemble plus sobre et mesuré qu’autre chose. Black Canary, Huntress et René Montoya, les trois véritables Birds of Prey, se chargent des « badasseries » à l’écran (coups de poings et autres torgnoles toutes aussi appréciables), entre deux vannes savoureuses. Cathy Yan réussit là une triple prouesse : adapter comic book complètement déjanté, signer une oeuvre mainstream intelligente et féministe (si, si, ça existe, la preuve…), mais aussi tout simplement un diversement pur jus indépendant. Par la même occasion, sa mise en scène rend justice dans les grandes lignes à l’univers barré de Harley Quinn, tout en préparant le terrain aux oiseaux de proie avec un souci marqué de clarté et d’accessibilité. Bref, ce délire au féminin propose une véritable alternative aux superhero movies aseptisés que nous refourgue depuis bien trop longtemps la firme aux grandes oreilles.
Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn (Birds of Prey: And the Fantabulous Emancipation of One Harley Quinn, 2020 – États-Unis) ; Réalisation : Cathy Yan. Scénario : Christina Hodson, d’après les personnages créés par Chuck Dixon et Jordan B. Gorfinkel. Avec : Margot Robbie, Mary Elizabeth Winstead, Jurnee Smollett-Bell, Rosie Perez, Ella Jay Basco, Chris Messina, Ewan Mc Gregor et Charlene Amoia. Chef opérateur : Alan Stewart. Musique : Daniel Pemberton. Production : Margot Robbie, Bryan Unkeless, Sue Koll, Geoff Johns et Walter Hamada. Format : 2,39:1. Durée : 109 minutes.
En salle le 5 février 2020.
Copyright photo de couverture : Claudette Barius/Warner Bros./The Ringer illustration.