Pourquoi faut-il revoir Le Trou ?

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Le trou est l’un des surnoms qu’on donne à la prison. En sortir plus rapidement que prévu n’est pas très compliqué : il suffit de creuser… C’est l’argument du Trou de Jacques Becker, chef d’œuvre sorti en 1960 qui demeure le classique absolu du genre, mais pas seulement.

DES FOURMIS ET DES HOMMES

Le Trou est une adaptation du roman autobiographique de José Giovanni, paru en 1957. Giovanni totalisait en effet un bon nombre d’années de taule à son compteur pour faits de collaboration avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale (il écopera de vingt ans) et pour avoir participé à un triple assassinat (il sera condamné à mort en 1948). De grâce en remises de peine, il sortira de prison en 1956 après onze ans passés derrière les barreaux. Il écrira un premier roman basé sur son expérience, Le Trou, qu’il transformera en scénario pour Jacques Becker. Ce premier texte sera suivi de plusieurs autres romans dont certains seront également adaptés au cinéma : Classe tous risques par Claude Sautet (1960), Un nommé La Rocca par Jean Becker (1961), Le Deuxième Souffle par Jean-Pierre Melville (1966) puis par Alain Corneau (2007). José Giovanni participera aussi à de très nombreux scénarios avant de réaliser lui-même moult bobines : Dernier domicile connu (1970), La Scoumoune (1972), Deux hommes dans la ville (1973), Le Gitan (1975), etc. Ses acteurs préférés étaient Lino Ventura, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Dans Le Trou, en revanche, point de vedettes, point de paillettes. Mais des acteurs de second plan, et même des amateurs comme Jean Kéraudy, ancien taulard spécialiste de l’évasion, et Michel Constantin dont c’était les premiers pas au cinéma. Cinq prisonniers, donc, incarcérés en préventive à la prison de la Santé dans l’attente de leur jugement aux Assises avec la promesse de dix ans de placard, au bas mot. Dix ans à l’ombre, c’est long. Alors ils décident de creuser un trou. Parviendront-ils à s’échapper ? Telle est la question. Mais si l’issue de l’histoire est évidemment importante, leur vie quotidienne l’est tout autant. C’est une vie de cloîtrés qu’on ne voit à peu près jamais sortir de leur cellule minuscule, une vie littéralement filmée au ras du sol et en gros plan à la manière d’un entomologiste étudiant des fourmis. Des mains confectionnent avec une brosse à dents un miroir capable de passer par l’œilleton de la porte de la cellule, taillent à coup de lame de scie un passe-partout dans un bout de sommier, déplacent à de multiples reprises les lattes d’un plancher, perforent le ciment, grattent la terre, scient un barreau… Les mains en gros plan sont omniprésentes. Ajoutons à cela des bruits incessants pour toute bande son : claquement des serrures qu’on ouvre ou qu’on ferme, coups de marteau, pas qui résonnent, ouverture et fermeture de lourdes portes, bruits de mastication, de boîtes de carton que les prisonniers assemblent, son des cloches, appels au mégaphone, respirations, essoufflements… Le silence ici n’a pas lieu de cité, sauf quand deux des prisonniers arpentent des salles voûtées évoquant Les Prisons de Piranèse, menant à d’obscurs couloirs souterrains ; ils s’éloignent alors de la caméra immobile, le son de leur pas diminue et parfois le silence surgit, l’espace d’une demi-seconde. 

© Henri Thibault/StudioCanal

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PAR-DELÀ LE TROU

Point de scènes de promenade dans Le Trou, pas un seul bout de ciel, point non plus de prisonnier sadique, de gardien ou de directeur psychopathe placés là pour donner du piment à l’histoire. Nous sommes à mille lieues de L’Évadé d’Alcatraz de Don Siegel (1979) et des Évadés de Frank Darabont (1994), mais tout près en revanche du Condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson (1956), adaptation d’un autre roman autobiographique narrant une évasion. Les deux films présentent bien des analogies : photographie en noir et blanc, nombre restreint de décors, gros plans, très grande importance accordée aux sons et à la psychologie des personnages. Celui de Bresson est un résistant capturé par les Allemands ; l’un des acteurs du Trou fut lui aussi un ancien résistant qui s’évada plusieurs fois de prison, et qui jouait là son propre rôle. Même si ce point n’est évidemment pas mentionné dans le film, la chose fut martelée dans une entrevue télévisée à caractère promotionnel accordée par Jean Keraudy – l’acteur – à France Roche – journaliste spécialisée dans le cinéma – au cours de laquelle il lui raconta ses multiples évasions. Rappelons enfin que le Condamné à mort de Bresson est sorti en 1956, et que Le Trou de Becker le suivit de près en 1960. Soit onze et quinze ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale mais bien avant les débats sur la résistance et la collaboration, avant Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls (1971). Car au-delà du film d’évasion dont celui de Jacques Becker est le modèle irremplaçable, c’est bien de cela qu’il s’agit : de la trahison, du pardon, et peut-être de la rédemption. 

Le Trou (1956 – France et Italie) ; Réalisation : Jacques Becker. Scénario : Jean Aurel, Jacques Becker et José Giovanni d’après l’oeuvre de ce dernier. Avec : Michel Constantin, Jean Keraudy, Philippe Roy, Marc Michel, Raymond Meunier, André Bervil, Eddy Rasimi, Catherine Spaak, Lucien Camiret, Jean Minisi et Marcel Rouzé. Chef opérateur : Ghislain Cloquet. Musique : Philippe Arthuys. Production : Serge Silberman, Georges Charlot et Jean Mottet – Filmsonor, Play Art et Titanus. Format : 1.66:1. Durée : 132 minutes.

En salle le 18 mars 1960 / Disponible en version restaurée Blu-ray chez StudioCanal depuis le 2 septembre 2020. 

Copyright illustration en couverture : Yunus Kiliç/Henri Thibault/StudioCanal/Gone Hollywood.

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