Pourquoi faut-il encore aujourd’hui rendre visite à Flash Gordon ? Bonne question… Notre super-héros sans pouvoir n’a pu compter que sur son cœur pur, sa crinière blonde peroxydée et ses pognes de footballeur pour nous épargner un temps le triste sort auquel nous promettait l’infâme Empereur Ming de la planète Mongo – aucun rapport avec la Chine, ni les haricots ! Le sauveur de l’univers n’a pourtant jamais plus fait parler de lui sur Terre depuis l’hiver 1980. Certains lecteurs français ont réussi à le débusquer dans les pages du Journal de Mickey sous un ridicule pseudonyme : Guy l’Éclair. Son interprète, Sam J. Jones, met désormais ses talents au service des professionnels de la sécurité quand il ne prend pas la pose avec ses fans invétérés dans des conventions. « Flash, roi de l’impossible »… Queen nous aurait-il menti ? Oui, Flash, tu nous a beaucoup déçu !
PAR-DELÀ LES STÉRÉOTYPES DE GENRE
Bien sûr, tu ne faisais pas figure de favori dans la course à l’espace. Buck Rogers t’avait déjà damé le pion sur papier dans les années 30. Tu n’aurais pu faire qu’une bouchée de Luke Skywalker et de sa clique. Il n’y eut guère que des enfants et des ados attardés pour chanter tes louanges en salle. Devenus adultes et bedonnants, certains d’entre eux grappillent des souvenirs en provenance de Mongo et se rêvent propriétaires d’un sérail aux confins de la galaxie. Freddie Mercury n’est plus là pour chanter tes exploits. Toi-même oscilles entre le pathétique et le sublime dans le costume en lycra que tu as abandonné il y a quarante ans. Ton producteur, Dino de Laurentiis, sans doute échaudé par les refus en cascade de Fellini, Nicolas Roeg, puis Kurt Russell, t’aurait refusé la juste récompense de tes exploits. Sa grande diva Sam Jones lui a claqué la porte au nez à peine le tournage achevé. Dino, ce grand mégalo un peu naïf, t’avait rêvé, toi Flash, aussi grand que son balourd de King Kong. C’est pourtant bien lui qui t’a propulsé vers des mondes hostiles dans un vaisseau bâti à grands frais. Sous les marquises, on pensait en prendre plein les mirettes. Allais-tu survivre à une partie de football endiablée contre la garde impériale dans le palais de Ming ? Tu menais une attaque de front avec un drôle d’œuf de Fabergé pour les beaux yeux de ta pom-pom girl, Dale Arden. Personne n’a d’ailleurs jamais vraiment compris ni pourquoi ni comment tu t’étais entiché de cette jeune agent de voyages rencontrée brièvement à bord d’un avion. Lorsque Ming te condamnera à mort, Dale se souviendra d’une première rencontre dans un hôtel canadien. La séquence idyllique aura sûrement disparu dans les poubelles d’une salle de montage… Flash, tu es un sacré bourreau des cœurs ! Ta réputation te précède depuis Yale jusqu’à Mongo. La princesse Aura, fille de Ming, campée par la libidineuse Ornella Muti, s’est laissée séduire par tes yeux qu’on croyait d’un bleu azuréen – décidément Sam Jones aurait pu faire l’effort de porter ces satanées lentilles et toucher son salaire ! On regretterait presque de n’avoir jamais assisté à vos noces : une italienne de l’hyperespace mariée à un WASP d’Amérique du Nord, gendre par alliance d’un despote sino-extra-terrestre. Quel panache ! Mais Aura t’a préféré le prince Barin, un ersatz d’Errol Flynn campé par le jeune Timothy Dalton, venu cachetonner quelques temps avant d’enfiler le costume trois-pièces de James Bond. Tu faillis bien laisser quelques-unes de tes jolies mèches dans le duel qui t’opposa à lui dans le palais de Vultan, un ange Viking libidineux, cousin germain de Pavarotti et Gérard Depardieu. Mais que diable : tu ne manquais pas de superbe sur ton scooter volant, secondé par une flottille d’angelots barbus armés jusqu’aux dents ! Ton héroïsme viendrait à bout de Ming et de son effroyable acolyte masqué, Klytus – des années plus tard, le fermier redneck Clétus des Simpson se chargera de dissiper le parfum de soufre qui nimbait ce singulier sobriquet.

© Stanley Bielecki/MCA Universal

© Stanley Bielecki/MCA Universal
FLASH GORDON, UN ATLAS POST-MODERNE
Ming et Klytus, Klytus et Ming… Que voilà une drôle de pair unie par un penchant commun pour les perversions interstellaires : « Klytus, je m’ennuie. Qu’as-tu à me proposer ? / Pourquoi ne pas détruire cette planète qu’on appelle la Terre ? » Klytus se charge de pourvoir aux menus-plaisirs de l’Empereur. Au programme de ces bêtises mortifères, on trouve un large panel de catastrophes naturelles (ouragans, typhons, tornades, séismes) et d’autres moins « naturelles » (les tempêtes de « grêle chaude » ne cessent de laisser dubitatif). Face à ce déchaînement de violence inouïe, toi, Flash, le bel athlète toujours prêt à rendre service, tu décides de porter le sort de l’Humanité sur tes épaules. Flash Gordon, un Atlas post-moderne ? On pourrait bien vite conclure à une réactualisation galvaudée d’un mythe trop souvent resservi à toutes les sauces. Ton lourd fardeau te sied à merveille. Osons l’affirmer : tu étais né pour en triompher. Mussolini l’avait le premier pressenti, au point d’interdire la lecture de tes aventures à son peuple. Ming, lui, t’aura par trop sous-estimé.
Quel autre que toi pourrait en effet revenir d’entre les morts et survivre à la piqûre d’un scorpion ? A croire que la compétition sportive t’a endurci le cuir et raffermi les neurones. On peine pourtant encore aujourd’hui à adhérer à tes grands discours un brin naïfs et à tes sautillements élastiques. Les vrais durs, eux, ne dansent pas. Ming l’a bien compris, empêtré dans sa trentaine de kilos d’étoffes chatoyantes, celles dont sont faits nos rêves et terreurs d’enfance. Sous ses couches de maquillage vaguement sinisant, le suédois Max von Sydow n’a de toute façon jamais vraiment trompé son monde. L’empereur mandarin « sans merci » exhale un âcre parfum de racisme à quarante ans de distance. Loin des extraterrestres bienveillants de l’oncle Spielberg, le Fu Manchu d’opérette tout droit sorti de l’encrier d’Alex Raymond caressait le sombre dessein d’anéantir l’homme blanc nourri aux cookies et au lait malté. Le péril jaune n’est heureusement plus qu’un mauvais souvenir, Ming une figurine poussiéreuse oubliée au fond d’un placard. A quoi ressemble la vie après Flash dans un monde covidifié ? À la même qu’avant, « en un peu pire » pour paraphraser Houellebecq, l’enthousiasme béat en moins.

Les gens essaient beaucoup trop de déblatérer sur le film. Il suffit juste de se détendre et d’en apprécier les images – ou seulement l’audio.
Flash Gordon (1980 – Royaume-Uni) ; Réalisation : Mike Hodges. Scénario : Lorenzo Semple Jr. et Michael Allin d’après l’oeuvre d’Alex Raymond. Avec : Sam J. Jones, Max von Sydow, Melody Anderson, Ornella Muti, Timothy Dalton, Brian Blessed, Mariangela Melato, Kenny Baker, Philip Stone, Robbie Coltrane, Terry Richards, Andy Bradford, Richard Jones, John Hollis, John Morton, Deep Roy, Derek Lyons, Burnell Tucker, Richard O’Brien, Chaim Topol, William Hootkins, George Harris, John Hallam, John Osborne, Suzanne Danielle et Peter Wyngarde. Chef opérateur : Gil Taylor. Musique : Howard Blake et Queen. Production : Dino de Laurentiis et Bernard Williams – Starling Productions Ltd., Dino de Laurentiis Company. Format : 2.35:1. Durée : 111 minutes.
En salle le 5 décembre 1980 aux États-Unis, puis le 28 janvier 1981 en France.
Disponible en VHS à partir de 1981 / En édition collector UHD chez Studiocanal à partir du 5 août 2020.
Copyright illustration en couverture : Angelo Fernandes/Studiocanal.