Pourquoi faut-il découvrir Dans la souricière ?

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En janvier 1959 sortait Dans la souricière, mis en scène par Norman Panama. Un film noir parmi tant d’autres s’il n’avait la particularité d’être transposé dans un décor de western.

Quelques mois plus tard, c’était au tour de La mort aux trousses (A. Hitchcock) de paraître sur les écrans. On se souvient de Roger Thornhill (Cary Grant) attendant quelqu’un en rase campagne et c’est un avion qui viendra lui rendre visite. Dans cette scène, Hitchcock reprenait toutes les caractéristiques du film noir pour les mettre sens dessus dessous : la ville devenait campagne, la nuit se transformait en jour, et la pluie était remplacée par un soleil éclatant. Norman Panama eut exactement la même idée, mais l’étendit à tout son film. Lequel, d’ailleurs, commence sur une route traversant le désert des Mojaves, et bientôt passe un avion qui plus tard aura un destin similaire à celui de La mort aux trousses mais chut ! N’en disons pas plus, contentons-nous de résumer le thème de l’histoire en deux mots : un avocat (Richard Widmark) est contraint d’aider un mafioso (Lee J. Cobb) recherché par toutes les polices à rejoindre un aérodrome perdu, afin qu’il s’enfuie vers le Mexique. L’endroit jouxte la petite ville de Tula, où le père et le frère du héros officient respectivement en tant que shérif et adjoint. Bien évidemment, l’affaire va très vite tourner en eau de boudin avec force coups de flingue, beauté fatale (Tina Louise) tiraillée entre les deux frères, et tout l’attirail habituel.

UN WESTERN EN TECHNICOLOR

Était-il pertinent de transplanter l’intégralité d’un film noir dans une atmosphère de western en Technicolor ? Norman Panama nous prouve que oui, sans aucun doute, mille fois oui. Alors certes, les chevaux sont remplacés par des voitures, mais pour le reste rien ne change puisque nous avons au menu une brochette de méchants qui arrivent en ville, un shérif qui s’interpose, une fusillade, une course poursuite, une autre fusillade, etc. Que ce soit dans les rues sombres de Chicago (Illinois) ou le désert étouffant entourant Tula (Californie), 1 108 habitants, peu importe, c’est du pareil au même alors oui, Norman Panama a eu raison. Et pourquoi donc, bloody hell ? Parce que le film noir n’est rien d’autre qu’une version actualisée, modernisée du bon vieux western. La preuve par l’exemple : en 1941, Raoul Walsh tourna High Sierra avec Humphrey Bogart et Ida Lupino. Ce film, éminemment noir, se concluait par une fusillade dans les montagnes de la Sierra Nevada en Californie. En 1949, le même Walsh fera le chemin à l’envers, tournera un remake à la sauce western de High Sierra et ce sera La Fille du désert. Comme quoi, tout est dans tout et inversement. Entretemps, et plus précisément en 1946, King Vidor avait tourné Duel au soleil, flamboyant western incarné par Gregory Peck et Jennifer Jones. Pour sa conclusion, Vidor avait repris la fin de High Sierra, en la modifiant à peine. Écriture, réécriture, adaptation, transposition de décors, de situations et de figures : c’est ainsi que par l’intermédiaire du cinéma les États-Unis ont créé leur légende, ont fabriqué leur Histoire à coups de scènes-types, de personnages-mythiques transposables dans différentes époques, de différents lieux emblématiques de la geste américaine. Avec souvent, icing on the cake, quelques recettes éprouvées issues de la vieille Europe ; c’est ainsi que Dans la souricière reprend le vieux conflit œdipien père-fils, nous refait le coup des frères ennemis aimant la même femme, entonne le couplet de la chute suivie par la rédemption.

POUR LES BEAUX YEUX DE RICHARD WIDMARK

Dans la souricière n’est pas un incontournable qui donnera lieu à moult thèses universitaires. Son réalisateur, Norman Panama, n’était pas un familier du film d’action (il préférait les comédies) et Richard Widmark, producteur de cette aimable bobine, ne cesse de widmarkiser (on notera, dans la troisième partie du film, sa manière très « westernienne » de tenir le revolver, le pouce sur la détente). Mais c’est un film très agréable à regarder et important à sa manière en ce sens qu’il cristallise à merveille ce chassé-croisé des genres, ainsi que ce mélange de scènes classiques du cinéma américain sans cesse réarrangées qui nous dit que l’Amérique, c’est ça et rien d’autre. Il nous fait enfin découvrir ou redécouvrir la merveilleuse Tina Louise, arrivée trop tard dans un Hollywood en chute libre, et qui n’a pas eu la carrière qu’elle méritait. 

Dans la souricière (The Trap, 1959 – États-Unis) ; Réalisation : Norman Panama. Scénario : Richard Alan Simmons et Norman Panama. Avec : Richard Widmark, Lee J. Cobb, Tina Louise, Earl Holliman, Carl Benton Reid, Lorne Greene, Peter Baldwin, Chuck Wassil, Richard Shannon et Carl Milletaire. Chef opérateur : Daniel L. Fapp. Musique : Irvin Talbot. Production : Melvin Frank et Norman Panama – Heath Productions, Paramount Pictures et Parkwood Entreprises. Format : 1.37:1. Durée : 84 minutes.

Sortie originale le 28 janvier aux États-Unis, puis le 11 septembre 1959 en France.

Disponible en combo Blu-ray + DVD chez Rimini éditions depuis le 20 janvier 2021.

Copyright illustration en couverture : Paramount Pictures Corporation/William Joel/The Verge.

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