Voici une petite rareté qu’on avait presque failli oublier sur une étagère, coincée entre Jack Burton et 48 Heures. Comme un oiseau sur la branche (Bird on a wire en version originale) se rappelle à notre bon souvenir cet été dans les bacs grâce à une restauration plus que bienvenue chez Rimini Éditions. Il faut dire que le timing est presque parfait, à l’heure où se profile un potentiel re-confinement. Le film évoque en effet aux trentenaires attardés ces longues soirées d’hiver passées cloîtrées – certes volontairement – dans une chambre d’ado à bidouiller le magnétoscope familial pour enregistrer les films soigneusement repérés dans la grille des programmes de Télé Poche. D’aucuns pousseront le vice jusqu’à le considérer comme un véritable totem d’une époque révolue, celle des vidéoclubs et de leurs posters fantasmatiques. A chaque génération son Rosebud…
MEL GIBSON, BIRTH OF THE COOL
L’argument scénaristique de Bird on a wire est relativement simple, voire peut-être rocambolesque. Jugez-en par vous-même : Rick Jasmin se lance bien malgré lui dans une fuite en avant effrénée pour échapper aux griffes des deux ripoux qu’il a balancés. Il entraîne dans sa course folle Marianne Graves, une avocate délurée qu’il a lutinée dans sa jeunesse avant de se faire passer pour mort. Les deux oiseaux prennent la poudre d’escampette par voie de mer, de terre et des airs, jouent en route les prolongations de leur amourette avortée et ponctuent leurs échanges de sarcasmes pas piqués des hannetons. Ce pitch simple et éculé, mais savoureux, invoque le spectre du buddy movie première époque oscillant entre l’action et la comédie, un genre dans lequel des « pellochards » – vous nous passerez le néologisme – tels que Walter Hill et Tony Scott ont creusé leur sillon tout au long des années 80. Comme un oiseau sur la branche assume cette prestigieuse filiation dans ses grandes lignes, bien qu’il soit sorti à l’aube des années 90. Les Stallone, Chuck Norris et consorts font désormais rêver la jeune génération sur petit écran. Rambo défend la veuve et l’orphelin dans son propre dessin-animé. Le Colonel McCoy – Chuck, pour les intimes – s’apprête à troquer le commandement de la Delta Force contre celui d’une unité de Texas Rangers. La nouvelle décennie s’apprête à consacrer le règne d’un « nouveau venu » over the top : Mel Gibson. Mad Mel n’est alors pas aussi « bleu » qu’on ne pourrait se l’imaginer. Le grand public le connaît sous les traits du road warrior Max Rockatansky devant la caméra de George Miller, du dealer repenti McKussic dans le délicieux Tequila Sunrise de Robert Towne, mais aussi (et surtout) de Martin Riggs, le jeune chien fou du canonique Lethal Weapon (L’Arme fatale dans nos contrées), réalisé par Richard Donner. Entre ces productions survitaminées, Mel Gibson s’est aussi taillé une sérieuse réputation dans le drame historique en Australie grâce à Peter Weir (Gallipoli en 1981 et L’Année de tous les dangers en 1982) puis au Royaume-Uni (Le Bounty, R. Donaldson) en 1984, une année charnière pour l’acteur qu’on retrouve outre-Atlantique dans des rôles « à contre-emploi » – il incarne un fermier victime collatérale du capitalisme galopant dans La Rivière de Mark Rydell et un proto Clyde Barrow éperdument amoureux de Diane « Bonnie » Keaton dans Mrs Soffel de Gilliam Armstrong.

© Joseph Lederer/Universal

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Comme un oiseau sur la branche est un retour aux sources salutaire. Mel y fait le bilan de ces dix dernières années. Sa panoplie synthétise la défroque de Riggs et le crasse de Mad Max. Et en effet, nous faisons connaissance avec Rick sous les traits d’un mécano discret en bleu de travail barbouillé d’huile de moteur. Notre sympathique doux dingue range son mythique Interceptor au garage et voyage indifféremment en moto trail, en BMW, en Chevrolet, en ferry, en train, en yacht et même en monoplan. Le road trip de Mel n’a rien à envier à celui de John Candy et Steve Martin dans Un ticket pour deux de John Hughes – dont le titre original trouve ici pleinement son sens : Planes, Trains and Automobiles ! L’éternel prolo abonné à la nourriture canine – il trompe ses envies de fumer en croquant des biscuits pour chien dans L’Arme fatale 2 et survit grâce à la pâtée de son bouvier australien dans Mad Max : Le Défi – convole en secondes noces avec sa pépée dans un motel infesté de cafards et ne rêve rien d’autre que de s’enfiler une bonne Bud. Mel Gibson érige à son insu la précarité en mode de vie, préférant les repas sur le pouce aux cafés-croissants prisés des sidekicks féminins qu’on lui adjoint. Le trait de caractère séduit un temps l’ado que nous fûmes, persuadé de faire la nique au système en arborant crânement un catogan comme Rick Jasmin. La toquade n’amusera plus quand Mad Mel érigera cette particularité idiosyncrasique en fascination perverse pour le martyr chrétien.
DU REMARIAGE EN TOUS SENS
Si vous n’êtes ni porté sur les cascades ni sur les textes de Leonard Cohen – auxquels Comme un oiseau sur la branche emprunte son titre – le film devrait vous permettre de vous convaincre du talent d’une actrice assez méconnue en France : Goldie Hawn. Le bibliophage averti – tendance Télé Poche, rappelons-le – aura pris soin de relever son nom entre un épisode de Derrick et le Cinéma de minuit. La pétillante Go-Go girl compte parmi ses plus célèbres frasques de jeunesse un road movie sudiste réalisé par Steven Spielberg (Sugarland Express, 1974), une satire grinçante de l’intelligentsia hollywoodienne par l’un des cinéastes les plus iconoclastes de sa génération (Shampoo de Hal Ashby, sorti en 1975), un film de casse « européen » de Richard Brooks (Dollars, 1972) et une adaptation très californienne d’une pièce de boulevard bien franchouillarde de Barillet et Grédy (Fleur de cactus, mis en scène par Gene Saks en plein Flower Power). Si la Goldie de Comme un oiseau sur la branche a conservé le tempo jazzy d’un Quincy Jones – the Q l’accompagne par deux fois dans la bande-son de sa carrière – Hawn délaisse cette fois ses oripeaux de blonde ingénue.

© Joseph Lederer/Universal
Place à la petite robe en cachemire cintrée de la working girl qui ne se laisse pas conter fleurette par la gente masculine… Ou presque. Parce que lorsque le Clochard (Rick) débarque bien malgré lui dans sa roseraie, la Belle sort les griffes et le darde de ses pointes façon Claude Colbert dans New York – Miami de Capra – vers lequel lorgne de temps à autres Bird on a wire – avant de succomber à la virilité d’un sex symbol que rien – pas même une nuque longue – ne peut contrarier. Marianne est un personnage sacrifié sur l’autel de la comédie de remariage testostéronée. Ses caprices à répétition finissent par agacer. On se surprend à éprouver de l’empathie pour ce pauvre Mel qui n’aurait accepté ce rôle dans une « panouille » que pour profiter des vacances avec le clan Gibson dans la grande maison du producteur, Rob Cohen. Kurt Russell, premier du nom sur la liste des Rick Jasmin potentiels, lui a refilé le « bon plan » – qui lui aurait quand même permis de tourner à nouveau avec sa compagne après la romcom de Garry Marshall, Un couple à la mer (1987) – avant de s’en aller rejoindre le tournage chaotique de Tango & Cash (1989) pour l’heure sous la direction d’Andreï Konchalovsky. Bien sûr, Comme un oiseau sur la branche ne résiste à aucune lecture inclusive digne de ce nom. Goldie Hawn exhibe sa culotte en contre-plongée par monts et par vaux. Les rues de Détroit grouillent de citoyens chinois qui râlent dans leur « patois » parce qu’on dézingue leurs portants à vêtements. Plus qu’une comédie de remariage, Bird on a wire est une récréation coupable, un objet filmique sur-identifié à bord duquel on ne se lasse pas d’embarquer à nouveau, quitte à s’attirer les foudres de la « woke culture » (comprenez une conscientisation morale). Le tandem à l’œuvre derrière la caméra n’est d’ailleurs pas habitué à faire dans la dentelle. John Badham, le réalisateur, peut se targuer d’être un « habile faiseur » à Hollywood depuis le succès de La Fièvre du samedi soir en 1977. On lui doit quelques-uns des piliers du cinéma populaire des années 80 parmi lesquels Tonnerre de feu (1983), Short Circuit (1983) et WarGames (1986). Son buddy movie Étroite surveillance avec Emilio Estevez et Richard Dreyfuss talonne de près L’Arme fatale en 1987. Bref, la rencontre avec la galaxie gibsonienne était inévitable. La réédition concoctée par Rimini propose d’ailleurs en bonus un abécédaire consacré à l’acteur sous la direction de Matthieu Rostac, auteur de Mel Gibson : Sur la brèche (éd. Capricci, 2019). Côté production, Rob Cohen, lui, ne cesse de se placer là où on ne l’attend pas : chez Sidney Lumet (The Wiz, 1978), Paul Schrader (Light of Day, 1987) ou encore chez George Miller (Les Sorcières d’Eastwick, 1987).
Nos deux compères ne sont pas du genre à se tourner les pouces. Comme un oiseau sur la branche devient ainsi une grand cour de récréation sexy où Mel et Goldie se taquinent au son d’Aquarius réinterprété par Hans Zimmer et ses synthés vrombissants. A notre grand étonnement, le compositeur d’ordinaire si peu subtile démontre ici sa capacité à tricoter de jolies variations et ainsi jouer sur une large palette d’émotions. Osons l’affirmer : la bande originale de Comme un oiseau sur la branche pourrait bien être sa meilleure œuvre pour l’écran dans les années 80-90. Ce véritable buddy movie ne restera certes pas gravé dans les mémoires de beaucoup de spectateurs. Rick Jasmin n’est ni Martin Riggs ni Axel Foley. Épaulé par un casting de grande classe – avec le génial David « Bill » Carradine en flic véreux – et un scénario efficace, Badham parvient à tenir le volant de son véhicule propulsé à toute allure jusqu’à un grand final jouissif et spectaculaire dans un zoo. Qui aurait un jour pu imaginer Mel Gibson et Goldie Hawn aux prises avec toute une jungle sous cloche ? Vous l’aviez rêvé, le Badham-Cohen Group l’a fait !

Article réalisé avec l’aide de Christopher Poulain.
Comme un oiseau sur la branche (Bird on a wire, 1990 – États-Unis) ; Réalisation : John Badham. Scénario : David Seltzer, Eric Lerner et Louis Venosta. Avec : Mel Gibson, Goldie Hawn, David Carradine, Bill Duke, Stephen Tobolowsky, Joan Severance, Harry Caesar, Jeff Corey, Alex Bruhansky, John Pyper-Ferguson, Clyde Kusatsu et Jackson Davies. Chef opérateur : Robert Primes. Musique : Hans Zimmer. Production : Rob Cohen, Fitch Cady, Eric Lerner, Louis Venosta, Robert W. Sort, Ted Field, Keith Rubinstein et Dana Satler – The Badham-Cohen Group et Universal Pictures. Format : 2.39:1. Durée : 110 minutes.
En salle le 18 mai aux États-Unis, puis le 12 septembre 1990 en France.
Disponible en VHS le 15 novembre 1990 / En édition restaurée DVD et Blu-ray chez Rimini Éditions à partir du 8 juillet 2020.
Copyright illustration en couverture : Pond5/Gone Hollywood.
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