Ce samedi de juillet au Katz’s Delicatessen, la clientèle ne désemplit pas. Les assiettes de pastrami agrémentées de pickles défilent à une cadence infernale en cuisine pour satisfaire les habitués et les curieux venus particulièrement en masse pour assister depuis hier à un événement peu commun. Hommes et femmes de tous âges se précipitent en effet chacun à tour de rôle pour participer au concours d’orgasme organisé tout le week-end par le restaurant niché au cœur du Lower East Side, jusque sur son compte Instagram, sous les hashtags « katzsdeli » et « fakeitlikesally ». Cette idée a priori saugrenue (surtout de la part d’un établissement casher !) prend tout son sens dès lors qu’on remarque ce panneau suspendu au plafond pour désigner une table a priori anodine, qui concentre pourtant toute l’attention des visiteurs. « Where Harry met Sally… Hope you have what she had ! Enjoy ! »…
MEATHEAD
Impossible de se remémorer Quand Harry rencontre Sally, réalisé par Rob Reiner en 1989, sans évoquer l’orgasme simulé par Meg Ryan face à Billy Crystal dans ce petit delicatessen juif new-yorkais devenu depuis un temple dédié à la jouissance cinéphile et gastronomique. Si la scène aura marqué les mémoires des spectateurs, voire même peut-être des amateurs de pastrami, elle fera néanmoins pleurer à chaudes larmes (de fierté) le fils de la comédienne, Jack Quaid, qui aura attendu ses 26 ans pour découvrir ce petit morceau de bravoure. Mais si cette scène fait surtout parler d’elle à nouveau cette année, c’est tout simplement parce qu’il y a déjà trente ans que Harry Burns rencontrait Sally Albright le temps d’un voyage en voiture à destination de New York, théâtre de leur chassé-croisé amoureux sur près d’une décennie. Après tout, quand on aime, on ne compte pas ! TCM Classics gratifie donc à son tour les spectateurs américains de deux jours de projections exclusives en décembre pour (re)découvrir sur grand écran la plus culte des romcom. Ce lot de consolation réconfortera sans aucun doute les perdants du concours organisé par le delicatessen qui offrait pour l’occasion des T-shirts, des tote bags et des pins à l’effigie d’un couple mythique dont l’histoire commence à l’université de Chicago en 1977.
C’est bien pourtant à l’automne 1988 que Rob Reiner pose ses caméras sur le campus près du quartier résidentiel de Hyde Park pour filmer la rencontre de Harry et Sally, tous deux enchoucroutés comme il se doit à la mode des années 70, façon Jack Lord (aka Steve McGarrett dans Hawaï police d’État) pour lui, Farrah Fawcett pour elle. Mais si le cinéaste semble passer un bon moment aux côtés de son ami Billy Crystal, tout n’est pas si rose dans sa vie privée, notamment depuis le divorce avec son ex-épouse Penny Marshall sept ans plus tôt. Difficile en effet pour notre homme de se remettre d’une vie conjugale longue de dix années brutalement interrompue en 1981. Reiner ne parvient tout simplement pas à panser ses blessures, ni même à se remettre en couple alors que les occasions de rencontrer les dix autres tant promises ne se présentent pas. Car côté carrière, le réalisateur peut se vanter d’avoir croisé du beau monde depuis la fin des années 60 durant lesquelles il a multiplié les apparitions dans des programmes télévisés comme Batman, le Andy Griffith Show ou encore Gober Pyle.

Penny Marshall et Rob Reiner aux Golden Globes, en 1978 © HFPA
Car en effet, Reiner a été à bonne école grâce à son père, Carl, qui a écrit et produit de 1961 à 1966 le Dick Van Dyke Show, un sitcom populaire américain sur les coulisses d’une émission de variété fictive. Côté maternel, Estelle chante dans les cabarets quand elle ne suit pas les cours du fameux Lee Strasberg. Cet environnement familial plutôt stimulant mènera droit le jeune Rob vers des études de cinéma à l’Université de Los Angeles (UCLA), étape indispensable avant commencer sa carrière en 1968 aux côtés de son ami Steve Martin comme auteur pour le show satirique des frères Smothers diffusé sur NBC… Pendant une petite année ! Ses galons d’auteur, il les gagnera surtout grâce à la série la plus populaire du moment aux États-Unis, All in the Family (1971-1979) qui met en scène le quotidien des Bunker, une famille ouvrière du Queens. Les téléspectateurs découvrent Reiner à l’écran sous les traits de Michael Stevic aka « Meathead » (« tête de lard » ), le beau-fils du patriarche, un étudiant contestataire. Le sobriquet comique collera à la peau de l’acteur des années après avoir entamé sa carrière de réalisateur, sans doute amusé par cette drôle d’association qui lui aura valu quand même de remporter deux Emmy Awards, mais surtout de rencontrer un ami fidèle, Billy Crystal. Rob Reiner poursuit son bonhomme de chemin à la télévision en créant son propre sitcom, The Super, une série dont le succès ne s’avérera pas à la hauteur de son titre puisque seuls dix épisodes seront diffusés en 1972. L’aventure lui permettra quand même de travailler avec un certain Bruno Kirby, un acteur aujourd’hui resté dans les mémoires cinéphiles comme l’interprète de Peter Clemenza dans Le Parrain 2 (F.F. Coppola, 1974). En attendant, Rob se lance dans l’aventure cinématographique pour inaugurer la nouvelle décennie. Après tout, pourquoi pas ? Sa mère vient de franchir le pas en faisant des petites apparitions dans un film de son amie Anne Bancroft (Fatso, 1980) et même de son mari (L’Homme aux deux cerveaux, 1983). Reiner junior, quant à lui, fera ses premiers pas sur grand écran avec un « mockumentaire », le cultissime Spinal Tap (1984) sur un groupe de heavy metal britannique fictif déjà croisé à la télévision dans un sketch diffusé six ans plus tôt. C’est aussi l’occasion pour lui de réunir quelques-uns de ses camarades, parmi lesquels Bruno Kirby, dans le rôle d’un chauffeur de limousine, et Billy Crystal, dans la peau d’un mime bien singulier. Ce premier film restera dans les mémoires comme une petite prouesse puisqu’il est désormais préservé au National Film Registry de la Bibliothèque du Congrès pour son importance culturelle et esthétique. Les critiques, elles, souligneront la justesse d’une satire à la fois du milieu du rock mais aussi du genre documentaire en lui-même.

Le casting de All in the family, en 1972 © CBS Photo Archive

Le groupe Spinal Tap, en 1992 © Aaron Rapoport/Corbis
Conforté par ce premier succès, Rob Reiner se lance dans un remake du classique de Capra, New York-Miami (1934), en réalisant Garçon choc pour nana chic en 1985. Cette sympathique comédie romantique traditionnelle nous emmène déjà en voiture aux côtés d’un duo masculin/féminin étudiant… Mais elle ne fait office que de simple passe-temps pour Rob Reiner qui s’attèle déjà aux choses sérieuses depuis septembre 1984, date de lancement officielle de la production de Stand by me (1986), d’après une nouvelle de Stephen King. Qu’est-ce qui peut donc bien intéresser un réalisateur rompu à l’art de la comédie et à la satire sociale chez le maître de l’horreur ? La nouvelle en question, intitulée Le Corps, brosse le portrait de quatre amis âgés d’une douzaine d’années qui se lancent à la recherche du cadavre d’un enfant à l’été 1959. Son personnage central, Gordie Lachance (incarné par Will Wheaton), délaissé par ses parents, trouve un écho particulier du côté de Rob Reiner qui considère avoir vécu longtemps dans l’indifférence, voire à l’ombre, de son célèbre père. Les résultats au box-office et une pelletée de nominations prestigieuses (Oscars, Golden Globes, etc.) confirment une fois de plus au réalisateur qu’il semble avoir trouvé là sa véritable vocation. Aussi Reiner saura-t-il rendre hommage à ce succès et à son véritable auteur, Stephen King donc, en créant avec son ami Andrew Scheinman sa propre maison de production en 1987, Castle Rock Entertainment, d’après le nom de la ville fictive du Maine où se déroule non seulement l’action de Stand by me, mais également une bonne partie des histoires du romancier. En attendant, Rob s’intéresse à un livre offert par son père dans les années 70, Princess Bride, écrit par William Goldman. Lorsqu’il évoque le projet à la Paramount alors même qu’il est en pleine production de Stand by me, le scénario qu’en a tiré l’auteur original lui-même pour la 20th Century Fox est déjà passé entre des mains prestigieuses depuis dix ans, notamment celles de Richard Lester, Robert Redford, François Truffaut et Norman Jewison. Reiner, sûr de lui, obtient le soutien financier d’un proche collaborateur, Norman Lear, producteur à succès de All in the family, qui lui permet d’acheter les droits d’adaptation, et donc de se lancer dans une nouvelle mouture du script aux côtés de Goldman en personne. Même si ce brillant hommage fantaisiste aux films de cape et d’épée ne rencontrera pas le succès escompté au box-office, sa sortie en vidéo lui permettra d’imprégner l’imaginaire collectif cinéphile au fil des ans.

Carl et Rob Reiner sur le plateau du Dick Van Dyke Show, en 1965 © CBS Photo Archive
QUAND ROB RENCONTRE NORA
La fin des années 80 approche, et Rob Reiner peut se vanter d’avoir plutôt bien réussi à creuser son trou à Hollywood. Seules ses activités de producteur chez Castle Rock peinent vraiment à démarrer. Andy Scheinman lui a pourtant chaudement recommandé de lire le dernier roman de Stephen King, Misery (1987), dont l’adaptation pourrait permettre à la société de démarrer sur les chapeaux de roue. L’histoire glaçante d’un écrivain à succès torturé par l’une de ses admiratrices séduit le cinéaste qui confie son adaptation pour l’écran à William Goldman. Si les projets professionnels vont bon train donc, Rob Reiner se décide à en finir avec un célibat de sept longues années. Le problème, c’est qu’il va devoir « se remettre sur le marché », ce dont il a perdu l’habitude. Cette danse de la séduction le fascine littéralement, surtout quand il entend les parents de son ami Alan Horn parler de leur rencontre. Reiner constate à quel point les deux octogénaires s’animent lorsqu’ils évoquent leurs premiers émois amoureux. Le cinéaste songe alors de plus en plus sérieusement à raconter sur grand écran sa propre expérience de célibataire pris dans l’incapacité de faire fonctionner une relation après des années de mariage. Ce projet, il souhaite surtout en parler à la romancière et journaliste Nora Ephron, co-auteure du scénario de Silkwood (Mike Nichols, 1983) et du roman Heartburn (1983), une évocation à peine voilée de l’échec de son mariage.
Rien d’étonnant quand on connaît les prises de positions féministes de cette journaliste passée par le New York Post ou encore Esquire. De plus, Ephron reste célèbre pour son action intentée en justice contre le magazine Newsweek qui refusait alors d’intégrer des femmes à sa rédaction. Rob Reiner l’avait déjà rencontrée en 1984 avec Andy Scheinman au Russian Tea Room de Manhattan pour lui proposer d’écrire un premier projet qu’elle avait poliment refusé. Les deux amis lui donnent à nouveau rendez-vous quelques temps plus tard pour lui proposer d’écrire cette fois une comédie romantique inspirée de leurs expériences amoureuses. Le sujet intéresse la scénariste au point de prendre en notes leurs histoires intimes et personnelles : les gémissements perpétuels du cinéaste qui se complait dans sa dépression, la possibilité de construire une amitié avec une femme attirante, les longues conversations téléphoniques entre les deux amis qui regardent chacun le même programme à la télévision, etc.

Nora Ephron, (1941-2012) © Ruven Afanador/Corbis Outline
Nora Ephron poursuit sa petite enquête dans les locaux de Castle Rock où elle interroge les employés sur leurs histoires de couples qui finiront interprétées à l’écran face caméra par des acteurs professionnels. L’idée originale de Rob Reiner commence peu à peu à prendre la forme d’une histoire de deux amis qui se rencontrent sans arrêt tout en se détestant pour finir par refuser de coucher ensemble dans le seul intérêt de maintenir leur relation. Le projet, pour l’heure sans titre, entend exposer clairement ce que pensent les hommes et les femmes sur le ton de la comédie, soit une version plus triviale des Scènes de la vie conjugale (1974) d’Ingmar Bergman. La chronique d’un couple suédois condamné à vivre ensemble sera transposée à New York sur une dizaine d’années (contre vingt chez Bergman). Le choix de réaliser une romcom à la fin des années 80 peut sembler plutôt anodin pour un spectateur habitué aux films d’un genre désormais usé jusqu’à la corde. Mais à l’époque, on compte sur les doigts d’une main le nombre de véritables comédies romantiques produites depuis le début de la décennie. La Bidasse(Howard Zieff, 1980) ? Trop gagesque. Tootsie (Sydney Pollack, 1982) ? Un commentaire sociologique. A la poursuite du diamant vert (Robert Zemeckis, 1984) ? L’action prend le dessus sur la romance. Splash (Ron Howard, 1984) ? Un mièvrerie de Disney à peine déguisée. Harry Burns et Sally Albright, eux, seront des extensions de leurs auteurs. Car oui, Harry névrosé, cynique et hypocondriaque partage les sombres pensées de Rob Reiner, capable de lire la fin d’un livre au cas où il mourrait avant de l’avoir terminé. Elle, plus solaire, compense par sa maniaquerie et sa rigidité. Une fois les personnages bien définis, Nora Ephron s’attaque à l’écriture du scénario, Reiner étant alors pris par les tournages successifs de Standy by Me puis Princess Bride. Le problème, c’est qu’elle ne parvient toujours pas à se décider sur la fin à donner son histoire. Selon les versions, Harry et Sally ne finissent pas ensemble ou alors des années plus tard, etc. Le choix du titre définitif se révèle tout aussi chaotique. Harry, this is Sally, Boy meets girl, How they met, Blue Moon, Words of love, Just friends, Playing Melancholy Baby, It Had To Be You, etc. : rien ne semble satisfaire la scénariste, pas même Quand Harry rencontre Sally ! Reiner organisera même un concours en interne chez Castle Rock, promettant une caisse de champagne à l’heureux gagnant capable de trouver un titre suffisamment au goût de Nora Ephron.

Susan Dey © DR

Elizabeth McGovern © Getty Images

Molly Ringwald dans The Breakfast Club, en 1985 © Social News Daily
Dernière étape essentielle : le casting. Rob Reiner envisage dans un premier temps de confier le rôle de Sally à la comédienne Susan Dey, célèbre aux États-Unis pour son rôle dans la série The Partridge Family (1970-1974), puis à Elizabeth McGovern, remarquée chez Sergio Leone (Il était une fois en Amérique, 1984), et enfin à Molly Ringwald, plutôt associée au teen movies de John Hughes (Seize bougies pour Sam en 1984 et The Breakfast Club l’année suivante). C’est bien pourtant une jeune comédienne encore méconnue qui frappe à la porte et dans l’œil de Rob Reiner. Elle s’appelle Meg Ryan, irradie de blondeur, a déjà cachetonné dans des publicités pour Burger King pendant ses études de journalisme (comme Sally), a fait une apparition dans le dernier film du grand George Cukor (Riches et Célèbres en 1981) avant d’obtenir des petits rôles dans des productions de qualité inégale, depuis Amityville 3-D (Richard Fleischer, 1983) jusqu’à Top Gun (Tony Scott, 1986) et au tout récent Innerspace (Joe Dante, 1987) dans lequel elle partage l’affiche avec son mari, Dennis Quaid. L’actrice insiste particulièrement pour incarner Sally Albright, au point de refuser le rôle proposé par Herbert Ross dans sa comédie Potins de femmes (1989) qui lui permettrait de jouer aux côtés de Sally Field, Shirley MacLaine et même Dolly Parton. L’histoire voudra que le personnage qui lui était destiné échouera à la jeune Julia Roberts, devenue célèbre par la suite pour son rôle d’escort girl dans Pretty Woman (Gary Marshall, 1990) dans un premier temps refusé par… Meg Ryan !

Albert Brooks dans Modern Romance, en 1981 © Columbia Pictures

Tom Hanks, en 1987 © Deborah Feingold
Côté masculin, peu d’acteurs semblent succomber aux charmes d’un consultant en politique juif newyorkais névrosé. Albert Brooks refuse par exemple d’incarner un personnage trop proche d’un autre célèbre cynique américain, Woody Allen, une critique qui reviendra d’ailleurs souvent à la sortie du film. Après avoir envisagé Jeff Bridges et Billy Murray, Reiner tente de jouer la carte du contre-emploi avec Tom Hanks… Qui juge de son côté le rôle « trop léger » ! Une évidence s’impose alors : seul l’humour de son ami Billy Crystal conviendrait à merveille au personnage de Harry Burns, un rôle qui semblerait presque écrit sur mesure pour lui. Et pour preuve : le comédien apportera une contribution non-négligeable aux dialogues du film. Reiner complète enfin le casting en recrutant Bruno Kirby (Jess) et Carrie Fisher (Marie) pour incarner les meilleurs amis respectifs de Harry et Sally. A y regarder de plus près, Rob Reiner compose sans doute inconsciemment une distribution intimement liée au show-business. Lui-même baigne en effet dans le milieu depuis sa plus tendre enfance, tout comme Carrie Fisher, fille de l’actrice Debbie Reynolds (qu’on ne présente plus) et du chanteur Eddie Fisher, ou encore Bruno Kirby, dont le père, Bruce, joue dans Stand by Me. Même la mère de Meg Ryan, Susan Jordan, a vaguement connu son quart d’heure de gloire à la télévision en son temps. Quant aux parents de Nora Ephron, Henry et Phoebe, Hollywood s’en souvient comme d’un couple de scénaristes à succès pour John Ford et Henry King. C’est enfin l’oncle de Billy Crystal, Milt Gabler, qui a fondé le label indépendant de jazz Commodore Records, passé à la postérité pour avoir produit LA chanson de Billie Holiday, « Strange Fruit ».
ÇA TOURNE À MANHATTAN
Le tournage de Quand Harry rencontre Sally débute en octobre 1987 à Manhattan dans une ambiance familiale. Rob Reiner avouera ainsi quelques années plus tard avoir eu l’impression de tourner un home movie en redécouvrant son film. Car si Billy Crystal invite son oncle à jouer un père Noël en arrière-plan, le cinéaste, lui, reçoit non seulement la visite de son père sur le plateau, demande à sa fille Tracy, âgée de 24 ans, d’incarner la petite amie de Harry, mais aussi et surtout confie à sa mère le rôle emblématique du film, celle de la cliente du Katz’s Delicatessen qui demande à ce qu’on lui serve le même sandwich orgasmique que Sally. Cette véritable yiddish mame n’accorde d’ailleurs que peu d’importance à cette réplique suggérée par Billy Crystal. Tourner ce petit bout de phrase, c’est surtout pour elle l’occasion de passer du temps avec son fils qu’elle adore plus que tout. De son côté, Meg Ryan n’envisage pas le tournage de la séquence comme une simple partie de plaisir, même si elle en est bien l’auteure.

© filmsdelover.com
Imaginez-vous devoir simuler un orgasme pour le moins « expressif » face à une équipe de techniciens et une petite assemblée de figurants qui n’auront d’yeux que pour vous… L’actrice le jouera donc avec retenue pour les premières prises, ce qui ne convainc pas vraiment Rob Reiner. Le réalisateur s’installe alors face à Billy Crystal pour simuler le plus volcanique des orgasmes au point de suer à grosses gouttes façon Victor Buono, cet acteur hollywoodien connu pour son « embonpoint » (180kg à la pesée quand même !) et son front rutilant. Meg Ryan retiendra la leçon et délivrera le plus célèbre des orgasmes au bout de 30 prises, l’équivalent des 27 sandwichs au pastrami douloureusement engloutis par Billy Crystal. C’est une autre scène située dans la première demi-heure du film à l’aéroport JFK qui nous convainc plus particulièrement du réel talent de comédien de ce-dernier. Harry vient de retrouver Sally pendant un vol durant lequel il a pris un malin plaisir à lui faire la démonstration de son cynisme. A l’arrivée, les voici tous deux sur le tapis roulant qui les mène droit en direction de la sortie. Rob Reiner cadre ses deux comédiens en plan séquence pendant une longue minute de monologue ininterrompue consacrée aux théories de Harry sur l’amitié entre les hommes et femmes. Billy Crystal assure là une petite prouesse technique et artistique, rendue possible par les deux semaines de répétitions imposées par le réalisateur avant le tournage, histoire que chacun puisse se familiariser avec son personnage. La méthode s’avérera utile quand Reiner soufflera un simple mot à Meg Ryan hors-caméra pour improviser à l’écran une partie de Pictionnary endiablée ou encore pour le drôle d’accent que s’amuse à prendre Billy Crystal au Met face à sa partenaire de jeu qui, prise au dépourvue, se fend d’un fou rire gardé au montage.

© Columbia Pictures/Everett Collection

© Columbia Pictures/Everett Collection
Rob Reiner garde enfin un souvenir ému du tournage lorsqu’il évoque la scène durant laquelle Harry et Sally essaient « d’arranger le coup » respectivement avec Jess et Marie. Le cinéaste plante son décor au très chic Café Luxembourg, où il vient de rencontrer quelques jours plus tôt la photographe Michele Singer, une amie proche de son chef-opérateur Barry Sonnenfeld. « Vous ne devriez pas fumer. C’est mauvais pour votre santé » assène Reiner à la jeune femme, une cigarette en main. Cette-dernière lui répond du tac au tac : « Et vous, vous ne devriez pas être si gros ». C’est le début d’une belle histoire d’amour pour les deux tourtereaux… Rob Reiner peut dès à présent tourner son film le cœur léger, un détail qui mérite d’être souligné puisque quelques défis techniques l’attendent jusqu’à la fin du tournage, en novembre. Outre la conversation au téléphone entre Harry et Sally face à Casablanca (M. Curtiz, 1941), filmée en split-screen comme la scène dont elle s’inspire dans Confidences sur l’oreiller (M. Gordon, 1959), c’est une autre séquence « téléphonée » qui va demander une synchronisation parfaite de la part des acteurs. Ainsi du double coup de fil passé en même temps par les deux personnages principaux à leurs amis respectifs après avoir accidentellement cédé à la tentation, passant outre les barrières de l’amitié. Rob Reiner filme en plan séquence sur un même plateau ses quatre acteurs répartis dans trois décors différents : Billy Crystal chez lui à gauche, Meg Ryan dans son lit du côté opposé, Bruno Kirby et Carrie Fisher occupant l’espace central dans leur chambre. L’équipe technique se charge de relier les téléphones entre eux pour permettre aux comédiens de se synchroniser plus facilement, la moindre erreur les obligeant à reprendre toute la scène depuis le début. Aussi Bruno Kirby se mordra-t-il les doigts après avoir raté sa dernière réplique une fois tous les téléphones raccrochés… Au bout de 54 prises ! Seule la soixantième atteindra la perfection technique attendue.
IT HAD TO BE YOU
Le tournage prend fin le 15 novembre 1988, soit à huit mois de sa sortie américaine. Alors que commence le montage du film, Rob Reiner prend une décision singulière pour en composer la bande originale. Il choisit en effet d’aller à contre-courant de l’époque en sélectionnant des morceaux intemporels, histoire de ne pas faire souffrir son film de la patine tu temps, les années 80 étant abonnées aux mélodies pop sans saveur. Billy Crystal suggère dans un premier temps à Reiner de travailler avec Marc Shaiman, son pianiste répétiteur au Saturday Night Live, qui réarrangera plus tard les chansons sélectionnées pour la bande originale. Bobby Colomby, batteur du groupe de jazz-rock Blood, Sweat &Tears, recommande ensuite au cinéaste d’écouter l’album d’un petit jeunot d’à peine 20 ans, Harry Connick Jr., un pianiste endiablé capable d’interpréter du Gershwin comme pas deux. Reiner s’isole donc dans sa chambre d’hôtel pour écouter les neufs pistes enregistrées par le petit prodige. Sur son album sobrement intitulé Harry Connick Jr., le musicien alterne les classiques du répertoire avec des compositions de son cru – à quoi bon s’étonner quand on sait qu’il a sorti son premier disque à l’âge de dix ans seulement ?

Harry Connick Jr., en 1989 © Tony Bock
Le cinéaste s’empresse de contacter le musicien pour lui demander d’enregistrer des instrumentaux et de poser sa voix sur deux ou trois chansons de Gershwin (« But not for me »), de Duke Ellington (« Don’t Get Around Much Anymure »), etc. C’est pourtant un morceau des années 20 composé par Isham Jones qui servira de thème principal au film, « It Had To Be You », reprise par Frank Sinatra pour le grand final au son de « Auld Lang Syne », une chanson traditionnelle du Nouvel An dont Harry ne saisit pas bien les paroles, tout comme un certain… Meathead ! Mais si la bande-originale de Quand Harry rencontre Sally retient autant notre attention, c’est grâce à l’usage extradiégétique qu’en fait Rob Reiner pour souligner plus particulièrement les émotions de Harry, qu’il s’agisse d’un commentaire ironique (« Where or When » de Rodgers & Hart lorsqu’à l’aéroport, Harry ne parvient pas à se souvenir où il a déjà croisé Sally) ou sentimental (« But not for me » lorsque Harry passe le réveillon seul). Le cinéaste se paie même le luxe de faire chanter ses acteurs dans une machine à karoké pour exprimer leur joie (la reprise d’une chanson d’Oklahoma par Billy Crystal dans le magasin) ou leur mélancolie (« Call me » pour interpeller Sally sur son répondeur).
LE SUMMER OF SEQUELS
Arrive l’heure fatidique des premières projections tests. Nora Ephron assiste à l’une d’elles, organisée à Las Vegas. Quelle n’est pas sa stupéfaction lorsqu’elle découvre le public masculin pétrifié d’effroi face à l’orgasme de Meg Ryan. Il faudra les rires contagieux des femmes dans la salle pour parvenir à les détendre petit-à-petit. On s’imagine très bien la scénariste esquisser un sourire en coin lorsqu’elle s’aperçoit avoir remporté son pari haut la main. En cette fin des années 80, les mœurs de la société américaine commencent en effet très timidement à s’émanciper des stéréotypes véhiculés par une société patriarcale qui se repaît du fantasme de la vierge effarouchée. Un best-seller de l’époque, Having It All: Love, Success, Sex, Money Even If You’re Starting With Nothing (1982) écrit par la rédactrice en chef de Cosmopolitan, Helen Gurley Brown, témoigne ce changement de cap.
Pourquoi un homme devrait-il croire que sa femme est vierge ? Il n’y a aucune raison, d’autant plus si elle ne l’est pas. Est-ce qu’il y a quelque chose de particulièrement attirant chez une femme vierge à 34 ans ?
Place à l’empowerment au féminin, place à la single girl, place à Sally Albright. Le film semble a priori emporter l’adhésion du public qui s’apprête à être très fortement sollicité au cinéma à l’été 1989, parmi un large choix de blockbusters distribués par les majors. Comment choisir entre le premier Batman de Tim Burton, la suite de Ghostbusters (Ivan Reitman), la 16e aventure de James Bond (Permis de tuer, John Glen), et la dernière croisade d’Indiana Jones ? On commence peu à peu à avoir des sueurs froides dans les bureaux newyorkais de Castle Rock qui plonge la tête la première dans ce que la presse américaine désigne comme le summer of sequels. Après une première londonienne réussie – la princesse Diana, conquise, demanda une copie du film à Reiner pour le regarder tranquillement avec ses amis à Buckingham Palace -, Columbia Pictures, en charge de la distribution aux États-Unis, tâte dans un premier temps le terrain en distribuant le long-métrage dans 41 salles américaines à partir du 12 juillet. Son premier week-end d’exploitation rapporte timidement 1 petit million de dollars, un prélude aux 7 millions de plus qu’il récoltera par la suite dans quelques 775 salles. Reiner et Scheinman rentreront finalement dans leur frais avec leur comédie romantique à 16 millions de dollars qui en remportera au total 92 millions en fin de carrière à l’international. La bande originale, elle, se vendra à plus de 10 000 exemplaires, un succès couronné par le Grammy Award remporté par Harry Connick Jr. en 1990 pour sa performance vocale. C’est enfin le scénario du film qui sera récompensé cette même année par le BAFTA reçu par Nora Ephron. Rob Reiner et ses acteurs ne devront se contenter que de nominations aux Oscars et aux Golden Globes.

Rob Reiner, Andy Scheinman, Marc Shaiman et Harry Connick Jr. pendant les sessions d’enregistrement de la bande originale, en 1989 © CBS Records Inc.

Billy Crystal, Meg Ryan et Lady Di à la première londonienne du film, le 30 novembre 1989 © Kent Gavin/Mirrorpix/Newscom/ZUMA Press
Car si le cinéaste a l’impression d’avoir tourné un petit film de famille qui lui a permis de rencontrer sa femme, épousée quelques mois avant la sortie de Quand Harry rencontre Sally, les critiques que lui réserve la presse américaine ne le réconfortent guère. Son cocktail de cynisme newyorkais aggrémenté de jazz suscite les reproches des journalistes qui ont l’impression de devoir supporter une énième variation allénienne, le talent en moins. Le Chicago Tribune et le tabloïd LA Weekly intituleront ainsi leurs articles respectifs : « When Rob Met Woody ». Rob Reiner devrait-il donc s’excuser d’être obsédé par l’amour, le sexe et la mort, comme son compatriote newyorkais ? Certes, mais il n’est pas anodin que ses personnages regardent en boucle Casablanca, un film qui fascine tout autant le personnage qu’incarne Woody Allen dans Tombe les filles et tais-toi (Herbert Ross, 1972)… Le journaliste du Village Voice poussera enfin le vice jusqu’à reprocher à Reiner de faire courir Harry dans les rues de Manhattan comme Woody Allen dans chacun de ses films. Aurait-il eu seulement le cran de s’en prendre à Dustin Hoffman, habitué à traverser la ville à grandes enjambées pour échapper à un dentiste tortionnaire (Marathon Man de John Schlesinger en 1977) ou rattraper son enfant (Kramer contre Kramer de Robert Benton en 1979) ? Quoi qu’il en soit, Reiner aurait dû s’en douter. Lui-même avait eu un mal de chien quelques mois plus tôt à trouver un endroit vierge de toute référence cinématographique pour y poser sa caméra. C’est bien simple : où qu’un cinéaste aille à Manhattan, il peut être sûr que Woody Allen l’aura devancé. Considérons donc que Quand Harry rencontre Sally n’est rien d’autre qu’une œuvre produite par des cinéphiles décidés à rendre hommage à leurs films favoris : Casablanca et Annie Hall (W. Allen, 1977) donc, mais aussi pêle-mêle Indiscret (L. McCarey, 1931), Une femme disparaît (A. Hitchcock, 1938), Le Magicien d’Oz (V. Fleming, 1939), Gilda (C. Vidor, 1946), etc. A la suite de cette première vague de critiques malhonnêtes, on souligne l’absence de dialogues centrés sur les professions de Harry et Sally. Rob Reiner leur répondra cette fois avec malice que ses caméras ne tournaient pas à ces moments-là. En revanche, comment répliquer à ceux qui trouvent que l’on parle et que l’on mange beaucoup dans son film ? Sûrement qu’on ne se débarrasse pas si facilement de ses vieilles habitudes, celles de Nora Ephron en l’occurrence, habituée au service « à part » comme son personnage, Sally.
Si de nombreux quotidiens et magazines américains n’hésitent pas à souligner la vacuité d’ensemble du long-métrage (et notamment le New York Times), sauvée in extremis par l’alchimie entre Meg Ryan et Billy Crystal, le Washingt Post félicite Nora Ephron d’avoir donné enfin vie à un personnage féminin émancipé du fantasme absurde de la working girl incarné par la pin-up Melanie Griffith à l’hiver 88. Non, Sally Albright n’est définitivement ni une vamp ni une ingénue. Côté français, les critiques ne manquent, elles, pas de souligner la sophistication du scénario de Nora Ephron (Cahiers du cinéma) digne des meilleures screwball comedies (Télérama), ce qui explique sans doute qu’elle fasse partie des « meilleures comédies romantiques de tous les temps » (L’Express). Et en effet, le public ne s’y trompera pas de deux côtés de l’Atlantique, plébiscitant la comédie romantique devenue culte au fil des ans.

© Castle Rock Entertainment
QUAND HARRY NE RENCONTRE PLUS SALLY
Le mariage réussi de Harry et Sally laissera augurer de beaux jours à leurs créateurs. Puisqu’adapter du Stephen King sur grand écran semble lui réussir, Rob Reiner fait ses valises pour la montagne où l’attend l’adaptation de Misery, un roman qu’on entraperçoit d’ailleurs entre les mains de Billy Crystal dans une séquence de son précédent opus. Il embarque avec lui Marc Shaiman, appelé d’ailleurs à devenir son compositeur attitré pour les trente ans à venir. Le musicien signera également la bande originale des deux volets de La Famille Addams (1991-1993), réalisés par Barry Sonnenfeld, convaincu de passer à la réalisation au tournant des années 90. Comme ce-dernier, Nora Ephron se sent désormais les épaules pour tourner son premier film en 1992, Ma vie est une comédie, co-écrit avec sa sœur Delia d’après le roman éponyme de Meg Wolitzer. Les critiques lui réserveront un accueil plutôt tiède, ce qui ne l’empêchera pas de réitérer l’expérience un an plus tard avec une romcom cultissime : Nuits Blanches à Seattle. Nora Ephron reprend pour l’occasion une partie de l’équipe de Quand Harry rencontre Sally puisque le rôle féminin échoue à Meg Ryan, Rob Reiner y apparaît comme le meilleur ami de Tom Hanks et Harry Connick Jr. s’occupe de chanter le thème du film (« A Wink & a Smile »), laissant à Marc Shaiman le soin de superviser la bande originale. Et puisque c’est dans les « vieux » pots qu’on fait la meilleure « soupe », qu’à cela ne tienne ! Cette nouvelle comédie romantique met à nouveau en scène deux personnages en mal d’amour qui se croisent cette fois… A quelques milliers de kilomètres de distance (Baltimore-Seattle). La réalisatrice troque également Casablanca pour un autre classique du genre, Elle et lui (L. McCarey 1957). Bref, à recette éprouvée, succès assuré. La méthode culminera surtout en 1998 lorsque Nora Ephron réalisera Vous avez un mess@ge, remake à la sauce romcom de l’incontournable The Shop Around the Corner (E. Lubitsch, 1940) et son histoire de romance inavouée entre deux libraires qui se détestent. Une librairie, dites-vous ? Si Nora Ephron revisite là un chef d’œuvre de l’âge d’or de la comédie américaine, c’est pourtant bien un décor traversé dix ans plus tôt qui l’inspirera pour écrire le scénario de son film avec Delia, encore une fois. Car en 1996, la librairie Shakespeare & Co, où Sally croise une énième fois Harry, fermera ses portes pour céder sa place à une succursale de Barnes & Noble, un poids lourd de la vente de livres à des prix défiant toute concurrence.

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Harry et Sally seraient-ils donc condamnés à ne plus jamais se rencontrer ? Billy Crystal se consolera chez les Muppets (1996) avec un sketch inspiré de la scène de l’orgasme. Cette fois, Harry lance le défi à Miss Piggy de simuler un gigantesque éternuement qui incitera une cliente à commander la même chose qu’elle… Mais avec moins de poivre ! Billy Crystal réapparaîtra en 2011 dans une vraie/fausse suite écrite par son gendre et mise en scène par l’une des ses filles pour le site Funny or Die. L’acteur s’amuse à incarner son propre rôle aux côtés de Rob Reiner pour convaincre des producteurs peu scrupuleux de donner une suite à leur film. Le pitch ? Après le décès de Sally, Harry, inconsolable, vit désormais en maison de retraite où il s’éprend de Sharon (Helen Mirren), une résidente assoiffée d’amour… Et de sang. When Sharon Bit Harry met donc en scène nos deux « grampires » décimer une maison de retraite à grands coups de canines. Entre temps, Harry et Sally se seront brièvement retrouvés à Londres, au Royal Haymarket, en 2004, dans une adaptation théâtrale désastreuse avec Luke Perry et Alyson Hannigan dans les rôles-titres, plus tard remplacés par Michael Landes et une certaine Molly Ringwald… Il faudra attendre le mois d’avril 2019 pour que Billy Crystal, Meg Ryan et Rob Reiner se retrouvent sur le tapis rouge à Hollywood pour fêter les 30 ans de leur rencontre dans le cadre du TCM Classic Film Festival.
Si l’alchimie entre les acteurs originaux semble toujours bien vivace, qu’en est-il de la comédie romantique dans le paysage hollywoodien contemporain ? A en croire la journaliste Tatiana Siegel dans son article : Why Harry Wouldn’t Meet Sally (Hollywood Reporter, 2013), le genre semble désormais en extinction, du moins aux yeux des majors. A l’époque, Sony vient par exemple d’annuler le projet de romcom de Nancy Meyers, pourtant rompue à l’exercice, qui ne parvient pas à réunir son casting. La raison avancée ? Le public, amateur de romance, se lasse d’une formule usée jusqu’à la corde que les studios deviennent donc en retour frileux à financer, malgré de faibles coûts de production. A y regarder de plus près, seuls les indépendants peuvent se targuer d’avoir essayé de reproduire intelligemment la recette. Dans le genre, c’est Richard Linklater qui en aura sans doute le mieux saisi les ficelles avec sa trilogie romantique conceptuelle, Before Sunrise (1994), Before Sunset (2004) et Before Midnight (2013).

Rob Reiner, Meg Ryan et Billy Crystal à l’ouverture du TCM Classic Film Festival, le 11 avril 2019 © Axelle/Bauer-Griffin/FilmMagic
On mentionnera également L’Abominable Vérité (R. Luketic, 2009) et sa relecture graveleuse de la scène du delicatessen à l’aide d’un sextoy télécommandé, ou encore Et (beaucoup) plus si affinités (M. Dowse, 2014) qui met en scène une relation calquée sur celle de Harry et Sally. Ces quelques timides résurgences confirment la réussite, souvent imitée mais jamais égalée, du scénario de Nora Ephron qui peut, elle, se féliciter d’avoir amorcé en 1989 un nouveau tournant dans l’histoire de la romcom hollywoodienne. Car si Frank Capra ouvrit une première brèche à cinquante ans de distance avec sa screwball comedy New York- Miami, il aura fallu attendre les Confidences sur l’oreiller de Doris Day et Rock Hudson en 1959 pour amorcer ensuite une bataille des sexes qui n’arrivera à maturité qu’en 1977 grâce à Annie Hall et Woody Allen, bien avant Harry et Sally. C’est bien là tout le génie de Nora Ephron qui sut revitaliser et détourner les codes d’un genre alors tombé en désuétude. Les années 2000 n’auront enfin guère été favorables ni à la romcom ni au casting de Rob Reiner. Bruno Kirby disparaît en effet en 2006 sans avoir découvert comment faire miauler une femme, suivi dix ans plus tard par Carrie Fisher qui exerça le métier de script doctor, en parallèle de sa carrière d’actrice, une profession de l’ombre dans laquelle elle prouva définitivement son bon goût (Steven Spielberg et George Lucas lui sont encore aujourd’hui redevables pour Hook et Star Wars). Entre temps, Nora Ephron les aura quittés en 2012, sans laisser aucune réponse à la question que lui posèrent Rob Reiner et Andy Scheinman au Russian Tea Room trente ans auparavant… Ou presque !
Quand Harry rencontre Sally (When Harry met Sally, 1989 – États-Unis) ; Réalisation : Rob Reiner. Scénario : Nora Ephron. Avec : Billy Crystal, Meg Ryan, Carrie Fisher, Bruno Kirby, Steven Ford, Lisa Jane Persky, Michelle Nicastro, Kevin Rooney, Franc Luz, Tracy Reiner, Kyle T. Heffner, Harley Jane Kozak, Gretchen Palmer, Robert Alan Beuth, Joe Viviani et David Burdick. Chef opérateur : Barry Sonnenfeld. Musique : Harry Connick Jr. et Marc Shaiman. Production : Rob Reiner, Andrew Scheinman, Steve Nicolaides, Jeffrey Stott et Nora Ephron – Castle Rock Entertainment, Columbia Pictures et Nelson Entertainment. Format : 1.85:1. Durée : 96 minutes.
Sortie originale le 21 juillet aux États-Unis, puis le 15 novembre 1989 en France.
Copyright illustration en couverture : DR.
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