Quand Elton John fait son cinéma

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1994. On entend des applaudissements et des cris de joie dans toutes les salles du monde entier. C’est la folie chez Disney. Le Roi Lion, film considéré à l’époque expérimental, va devenir l’un des plus gros succès de tous les temps. Et en effet, l’ouverture du film où le petit Simba est présenté au peuple animal, devait à l’origine être dialoguée. La séquence fut repensée dans son intégralité dans une version musicale, pour que l’on puisse réellement apprécier la chanson écrite par le parolier Tim Rice et par le compositeur-interprète, Elton John qui pour la petite histoire ne faisait pas l’unanimité au sein de la maison Disney. C’est même Tim Rice qui suggéra d’abord Elton John. Jeffrey Katzenberg, président de Walt Disney Pictures, numéro 3 de la compagnie, appuiera même cette idée, allant même jusqu’à renvoyer le co-réalisateur du film, Georges Scribner, en désaccord total avec la présence de l’artiste. Il sera ainsi remplacé par Rob Minkoff.

La suite, nous la connaissons. Elton John recevra l’Oscar de la meilleure chanson en 1994. L’album se vendra à des millions d’exemplaires dans le monde, laissant augurer pour le chanteur une longue suite de projets musicaux à Broadway, mais aussi au cinéma, particulièrement dans l’animation (The Road To El Dorado, Gnoméo et Juliette…). Elton John sera considéré comme une figure importante dans l’industrie cinématographique et sollicité par de nombreux réalisateurs (Baz Lurhmann, Mike Newell, Cameron Crowe…). Même si Le Roi Lion l’a révélé à Hollywood, sa carrière a constamment entretenu une relation étroite avec le 7ème art. Elton John brille incontestablement par son talent de mélodiste. Ses harmonies simples et claires permettent aux cinéastes d’utiliser sa musique avec d’autant plus de facilité que ses compositions évoquent chacune à leur façon un univers singulier. Dahn Han, producteur délégué du Roi Lion, ne s’y trompe pas en affirmant que « Elton John a le don de la mélodie et sait raconter une histoire en musique ». Et l’on ne compte plus le nombre de ses chansons présentes aux génériques d’oeuvres cinématographiques aussi diverses que variées : « Tiny Dancer » et « Mona Lisa and Mad Hatters » dans Almost Famous (C. Crowe, 2000), « Amoreena » dans Un après-midi de chien (S. Lumet, 1975), « Rocket Man » dans Rock (M. Bay, 1996), « Runaway Train » dans L’Arme fatale 3 (R. Donner, 1992), « I’m still standing » dans Tous en scène (G. Jennings, 2016)…

Pour moi le cinéma est un prolongement, une nouvelle dimension à mes visions musicales. Lorsque l’on fait de la musique, on a pleins d’images qui vous arrivent dans la tête et le cinéma permet d’organiser et structurer ces images pour raconter des histoires, histoires qui ont d’ailleurs peut-être été contées en cinq minutes de chansons ! J’ai vraiment de la chance de pouvoir faire tout ceci en plus de mes albums, de mes concerts. 
Elton John

Les ANNÉES 70, la décennie prodigieuse

Elton John fait partie de ces artistes mythiques, au même titre que David Bowie ou Phil Collins, à avoir vendu plus de 300 millions d’albums dans le monde grâce à des succès tel que « Your Song » « Tiny Dancer » « Rocket man » ou encore « Don’t go breaking my heart ». Depuis 1970, le musicien, de son vrai nom Reginald Kenneth Dwight, a réalisé 17 albums en 9 ans, dont 7 consécutivement hissés au sommet des charts US (Goodbye Yellow Brick Road, Captain Fantastic and the Brown Dirt Cowboy, Honky Château…). C’est officiellement en 1971 qu’il s’essaie à la musique de films avec l’oeuvre intimiste Friends (Deux enfants qui s’aiment) réalisé par Lewis Gilbert [qui restera surtout à la postérité pour Alfie (1966) et trois James Bond : On ne vit que deux fois (1967), L’Espion qui m’aimait (1977) et Moonraker (1979), N.D.L.R.], l’histoire d’amour entre le fils d’un riche homme d’affaires britannique vivant à Paris et une orpheline. La bande originale sera nommée aux Grammy Awards l’année suivant sa sortie en salle. Malgré le succès critique, l’album sera un échec commercial. Elton John, peu habitué à une si pauvre performance dans les charts, ne se lancera plus ou que rarement dans une telle entreprise jusqu’au Roi Lion. Sidney Lumet utilisera la chanson « Amoreena » dans Un après-midi de chien en 1975 qui mettra à nouveau en lumière l’album Tumbleweed connection sorti en 1970 et donc promis dès lors à une seconde vie.

© Hemdale / DR

En 1975 sort également Tommy réalisé par Ken Russell. Dans ce film culte de la génération Woodstock, Roger Daltrey, le chanteur des Who, interprète un adolescent traumatisé par le meurtre de son père et replié entièrement dans son univers intérieur, avant de devenir un prophète tour-à-tour adulé et rejeté. Pour illustrer cet itinéraire violent à charge contre la société de consommation et l’exploitation commerciale du sentiment religieux, le cinéaste a multiplié les images chocs et fait appel à de nombreuses stars du rock comme Éric Clapton, prédicateur escroc dans une église vouée au culte de Marilyn Monroe, Tina Turner, prostituée adepte des drogues dures, mais aussi et surtout Elton John, connu ici sous le nom de Pinball Wizard, champion de flipper juché sur des semelles d’un mètre. C’est ici la première fois qu’il se met en scène devant une caméra de cinéma qui ne manque pas de capter son talent de transformiste aux yeux du monde. Cette séquence totalement psychédélique, à l’humour très décalé, accueille l’une des chansons phares du film, permettant ainsi au long-métrage de remporter un franc succès à la fois critique et commercial.

Destination hollywood 

Les années 80 marqueront par la suite un tournant dans la carrière d’Elton John alors qu’il produit des tubes incontournables tel que « I Guess that’s Why they Call it the Blues », « Sacrifice », « Blue Eyes ». Il enregistre aussi l’un de ses plus beaux concerts : Live in Australia, avec un orchestre symphonique dirigé par son ancien claviériste et arrangeur qui n’est autre que… James Newton Howard, devenu par la suite le compositeur attitré de M. Night Shyamalan, et l’un des plus importants musiciens hollywoodiens de sa génération.

On essaiera plus ou moins d’oublier sa participation en 1990 à la bande originale de Rocky V (J. G. Avildsen, 1990) avec le titre « The measure of a man » probablement écrit par amitié pour l’acteur/réalisateur/producteur Sylvester Stallone. Il travaillera néanmoins avec le compositeur Alan Menken (La petite Sirène, La Belle et La Bête ou encore Aladdin). On peut voir ça comme un signe. Cela se confirmera en 1994 par sa présence au générique de la bande originale du nouveau dessin animé de Walt Disney qui s’écoula à 18 millions d’exemplaires dans le monde et devient disque de diamant cette même année aux États-Unis et dans divers pays. Trois des chansons du Roi Lion finiront même en lice pour l’Oscar de la meilleure chanson : « Circle of Life », « Hakuna Matata » et « Can You Feel the Love Tonight » que la légende hollywoodienne inscrira au même rang des compositions aussi célèbres que « Over the Rainbow », « The Way We Were » ou encore « (I’ve Had) The Time of My Life ». Ironie du sort quand on sait que cette-dernière avait été d’abord écartée du montage… Jeffrey Katzenberg juge en effet la chanson trop superflue, au point de ralentir la narration globale du film.

Elton John et Tim Rice à la 67e cérémonie des Oscars, le 26 mars 1995 © BestImage

Elton John ne s’en laisse pas rencontrer pour autant. Il exige aussitôt la réintégration de sa chanson. « J’ai accepté de travailler pour vous parce que je voulais faire une chanson d’amour comme dans les grands films Disney. Et vous l’avez coupée ! C’est un hit ! Vous avez coupé le meilleur morceau du film abruti ! » hurla-t-il. L’équipe d’animation s’empressera donc de réintégrer la séquence. Après ce succès flamboyant, les années 2000 se révèlent tout aussi prolifiques théâtre comme au cinéma. Elton John compose en collaboration avec Hans Zimmer la bande originale du dessin animé La Route d’Eldorado (2000) de Don Paul et Eric Bergeron, mais aussi celle de La Muse (1999) d’Albert Brooks. Il écrit également la chanson « The heart of every girl » pour le film Le Sourire de Mona Lisa réalisé par Mike Newell en 2002. L’artiste collabore par la suite avec Baz Lurhmann qui, utilisa jadis « Your Song » dans son film Moulin Rouge (2001). Cette fois-ci, le réalisateur fait appel à lui pour composer le thème intitulé « The Drover’s ballad », que l’on peut entendre dans Australia (2008). Elton John s’amusera même à faire une apparition dans Kingsman 2 de Matthew Vaughn en 2018. Bref, le chanteur aime incontestablement le cinéma, ce qu’il confirmera à l’occasion d’un concert en France durant lequel il interprète l’une de ses chansons préférées, « Moon River », composée par Henry Mancini pour le film Diamants sur Canapé (1961) de Blake Ewards. Mais c’est surtout pour cette raison qu’il finira par créer en 1996 sa propre société de production, Rocket Pictures, avec son compagnon David Furnish.

C’était une évolution logique. J’ai écrit pas mal de comédies musicales, de musiques de films et le fait d’avoir travaillé avec Disney, notamment pour Le Roi Lion, m’a permis de monter ma compagnie de production, gérée par David Furnish et de nous lancer dans le long-métrage.
Elton John

ROCKET MAN

Elton John produira Women Talking Dirty de Coky Giedroyc en 1999, It’s a Boy Girl Thing de Nick Hurran en 2006 et Gnoméo et Juliette en collaboration avec Disney Pictures en 2011, puis sa suite en 2018. Rocketman est sa dernière production, un biopic réalisé par Dexter Fletcher (Bohemian Rapsody, 2019). Aussi Elton John s’impliquera-t-il profondément dans le long processus d’écriture entamé 2012 avec l’aide du dramaturge Lee Hall [scénariste pour le Billy Elliot (2000) de Stephen Daldry, puis plus récemment pour Spielberg sur l’adaptation cinématographique de Cheval de guerre (2012), N.D.LR.]. Pour le rôle-titre, le chanteur pense un temps à Justin Timberlake qui l’a déjà incarné dans le clip de sa chanson « This Train Don’t Stop There Anymore » réalisé par David LaChapelle. Le rôle reviendra finalement à Taron Egerton, déjà croisé dans un certain Kingsman (M. Vaughn, 2015) mais surtout dans Eddie The Eagle (2016) de Dexter Fletcher, lui-même parachuté sur le projet suite au départ du réalisateur Michael Gracey. Le film projeté hors-compétition à Cannes se veut une fantaisie surréaliste pleine de fantaisie et de magie qui ne manquera pas d’évoquer néanmoins « les bas très bas » comme « les hauts très hauts » du chanteur, comme se plaît à le rappeler lui-même le principal intéressé.

© Paramount Pictures UK

L’histoire s’apprête-t-elle à se répéter ? Disney produit une nouvelle version du Roi Lion en prise de vues réelles sous la houlette de Jon Favreau (Iron Man), film dont la sortie est prévue le 17 juillet 2019 en France, avant d’être l’une des premières productions à rejoindre la plateforme Disney+. Le projet initié en septembre 2016 s’inscrit dans la lignée des adaptations en live action des grands classiques de la firme : Alice au pays des merveilles, Cendrillon ou encore Le Livre de la jungle. C’est novembre 2017 qu’Elton John rejoint le casting du film afin de retravailler ses compositions originales en compagnie de la chanteuse Beyoncé qui interprètera, quant à elle, une chanson inédite écrite par Tim Rice pour le générique de fin.

Si vous écrivez de bonnes chansons avec sens et émotion, elles dureront éternellement car les chansons sont la clé de tout.
Elton John